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grande qu’elle ne devroit être, si les rayons qui rasent ce corps & qui doivent en terminer l’ombre, suivoient exactement la ligne droite. M. Newton a observé après lui ce phénomene. Le P. Grimaldi l’attribue à une diffraction des rayons, c’est-à-dire qu’il prétend que les deux rayons extrèmes qui rencontrent le corps & qui en sont les tangentes, ne suivent pas cette direction de tangentes, mais s’en écartent au-dehors, comme s’ils fuyoient les bords qu’ils ont rencontrés. M. Newton a adopté cette explication, & en a fait voir l’accord avec son système général de l’attraction. M. Maraldi, après avoir répété ces mêmes expériences, a cru devoir en donner une autre explication : on en peut voir le détail dans les mémoires de l’académie de 1723. Nous nous contenterons de dire ici que ces expériences & l’explication qu’il en donne ont beaucoup de rapport avec les expériences que nous avons rapportées sur les globes & les cylindres, & avec l’explication que ce même auteur en donne. Voyez Diffraction. Jusqu’ici nous avons supposé que les points qui sont dans l’ombre d’un corps sont absolument privés de lumiere, & cela est vrai mathématiquement, en ne considérant qu’un corps isolé ; mais il n’en est pas ainsi dans la nature : on peut regarder l’ombre, physiquement parlant, comme une lumiere diminuée. Dans ce sens elle n’est pas un néant comme les ténebres : des lois invariables aussi anciennes que le monde, font rejaillir la lumiere d’un corps sur un autre, & de celui-ci successivement sur un troisieme, puis en continuant sur d’autres, comme par autant de cascades ; mais toujours avec de nouvelles dégradations d’une chûte à l’autre. Sans le secours de ces sages lois, tout ce qui n’est pas immédiatement & sans obstacle sous le soleil, seroit dans une nuit totale. Le passage du côté des objets qui est éclairé à celui que le soleil ne voit pas, seroit dans toute la nature comme le passage des dehors de la terre à l’intérieur des caves & des antres. Mais par un effet des ressorts puissans que Dieu fait jouer dans chaque parcelle de cette substance légere, elle pousse tous les corps sur lesquels elle arrive, & en est repoussée, tant par son ressort que par la résistance qu’elle y éprouve. Elle bondit de dessus les corps qu’elle a frappés & rendus brillans par son impression directe : elle est portée de ceux-là sur ceux des environs ; & quoiqu’elle passe ainsi des uns aux autres avec une perte toujours nouvelle, elle nous montre ceux mêmes qui n’étoient point tournés vers le soleil.

L’écarlate semble changer de nature en passant dans l’ombre ; elle change encore en passant dans une ombre plus forte. Tous les corps, même ceux qui ont les couleurs les plus claires, se rembrunissent à mesure qu’ils se détournent des traits du soleil & des premieres réflexions de la lumiere, ce qui met partout des différences ; car en relevant ou détachant un objet par le secours d’un fond ou d’un voisinage plus ou moins brun, elle embellit, elle caractérise & démêle à nos yeux ce que l’éloignement ou l’uniformité de la couleur auroit confondu.

L’étude du mélange & des diminutions graduelles de la lumiere & des ombres, fait une des plus grandes parties de la Peinture. En vain le peintre sait-il composer un sujet, bien placer ses figures & dessiner le tout correctement, s’il ne sait pas par les affoiblissemens & par les justes degrés du clair & de l’obscur, rapprocher certains objets, en reculer d’autres, & leur donner à tous du contour, des distances, de la fuite, un air de vérité & de vie.

Les Graveurs, pour multiplier les copies des plus riches tableaux, ne mettent point d’autre couleur en œuvre que le blanc de leur papier, qu’ils convertissent en tant d’objets qu’ils veulent, par les masses & par les degrés d’ombre qu’ils y jettent ; ou bien

tout au contraire ils sillonnent de gros traits leur cuivre : ensorte que le papier qu’on appliqueroit sur cette planche noircie, ne présenteroit après l’impression qu’une ombre uniforme ou une noirceur universelle. Ils effacent ensuite sur ce cuivre plus ou moins de ces traits : les points d’ombre affoiblis deviennent autant de points de l’objet ; & plus ces points d’ombre sont applanis & bien effacés, plus les objets deviennent forts & relevés. M. Formey.

Ombre en perspective est la représentation de l’ombre d’un corps sur un plan. Elle differe de l’ombre réelle comme la représentation ou la perspective du corps differe du corps même. L’apparence d’un corps opaque & d’un corps lumineux dont les rayons sont divergens (par exemple d’une chandelle, d’une lampe, &c.), étant donnée, trouver l’apparence de l’ombre suivant les lois de la Perspective : en voici la méthode. Du corps lumineux qu’on considere dans ce cas comme un point, & qu’on suppose déjà rapporté sur le plan du tableau, de maniere qu’on sache en quel endroit l’œil doit le voir, laissez tomber une perpendiculaire sur le plan géométral, c’est-à-dire trouvez dans ce plan la position du point sur lequel tombe une perpendiculaire tirée du milieu du corps lumineux ; & des différens angles ou points élevés de ce corps, tracé scenographiquement, laissez tomber des perpendiculaires sur le plan : joignez ces points sur lesquels tombent les perpendiculaires par des lignes droites, avec le point sur lequel tombe la perpendiculaire qu’on a laissé tomber du corps lumineux ; & continuez ces lignes vers le côté opposé au corps lumineux ; enfin par les angles les plus élevés du corps opaque, & par le centre du corps lumineux tirez des lignes qui coupent les premieres, les points d’intersection sont les termes ou les limites de l’ombre.

Par exemple, supposez qu’on demande de projetter l’apparence de l’ombre d’un prisme ABCDED, Pl. de Perspective, fig. 8. n°. 2, tracé scénographiquement ; comme les lignes AD, BE & CF sont perpendiculaires au plan géométral, & que LM est pareillement perpendiculaire au même plan (car le corps lumineux est donné si la hauteur LM est donnée), tirez les lignes droites GM & HM par les points MD & E ; par les points élevés A & B, tirez les lignes droites GL & HL, qui coupent les premieres en G & en H. Comme l’ombre de la ligne droite AD se termine en G, & l’ombre de la ligne droide BE en H, & que les ombres de toutes les autres lignes droites conçues dans le prisme donné sont comprises entre les points GHDE ; GDEH sera l’apparence de l’ombre projettée par le prisme.

Cette construction suppose au reste que l’élévation de l’œil soit la même que celle du corps lumineux. Mais en général, quelle que soit la position de l’œil, on peut avoir la perspective de l’ombre par les regles ordinaires, en regardant l’ombre comme une figure donnée.

M. l’abbé de Gua a démontré, dans les usages de l’analyse de Descartes, que la projection de l’ombre d’une courbe sur un plan quelconque, étoit une autre courbe du même ordre ; ce qu’il est très-aisé de prouver en considérant que l’équation entre les coordonnées de l’ombre montera toujours au même degré que l’équation entre les co-ordonnées de la courbe. Cette proposition est analogue à celle-ci, que la section d’un cône quelconque par un plan quelconque, est toujours du même degré que la courbe qui est la base du cône. Pour la démonstration de ces deux propositions, il ne faut que deux ou trois triangles semblables, au moyen desquels on verra que les co-ordonnées de la courbe & de l’ombre seront réciproquement exprimées par des équations où ces coordonnées ne monteront qu’au premier degré : d’où