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pe aîlée renaît à la joie, & sent l’aurore des desirs. Le plumage des oiseaux mieux fourni, se peint de vives couleurs ; ils recommencent leurs chants long-tems oubliés, & gazouillent d’abord foiblement ; mais bien-tôt l’action de la vie se communique aux ressorts intérieurs ; elle gagne, s’étend, entraîne un torrent de délices, dont l’expression se déploie en concerts qui n’ont de bornes, que celles d’une joie qui n’en connoît point.

» La messagere du matin, l’alouette s’éleve en chantant à-travers les ombres qui fuient devant le crépuscule du jour ; elle appelle d’une voix perçante & haute, les chantres des bois, & les éveille au fond de leur demeure. Les taillis, les buissons, chaque arbre irrégulier, chaque arbuste enfin, rend à la fois son tribut d’harmonie. L’alouette semble s’efforcer pour se faire entendre au-dessus de la troupe gazouillante. Philomele écoute, & leur permet de s’égayer ; certaine de rendre les échos de la nuit préférables à ceux du jour.

» Le merle sifle dans la haie ; le pinçon répond dans le bosquet ; les linotes ramagent sur le genêt fleuri, & mille autres sous les feuilles nouvelles, mêlent & confondent leurs chants mélodieux. Le geai, le corbeau, la corneille & les autres voix discordantes, & dures à entendre seules, soutiennent & élevent le concert, tandis que le ton gémissant de la colombe tâche de le radoucir.

» Toute cette musique est la voix de l’amour ; c’est lui qui enseigne le tendre art de plaire à tous les oiseaux du monde. L’espece chantante essaie tous les moyens que l’amour inventif peut dicter ; chacun d’eux en courtisant sa maîtresse, verse son ame toute entiere. D’abord dans une distance respectueuse, ils font la roue dans le circuit de l’air, & tâchent par un million de tours d’attirer l’œil rusé & moitié détourné de leur enchanteresse, volontairement distraite. Si elle semble s’adoucir & ne pas désapprouver leurs vœux, leurs couleurs deviennent plus vives ; attirés par l’espérance, ils avancent d’un vol léger ; ensuite comme frappés d’une atteinte invisible, ils se retirent en desordre ; ils se rapprochent encore en tournant amoureusement, battent de l’aîle, & chaque plume frissonne de desir.

» Les gages de l’hymen sont reçus ; les amans s’envolent au fond des bois où les conduisent leur instinct, le plaisir, leurs besoins, ou le soin de leur sûreté : ils obéissent au grand ordre de la nature, qui a son objet en leur prodiguant ces douces sensations. Quelques-uns se retirent sous le houx pour y faire leurs nids ; d’autres dans le fourré le plus épais. Les uns confient aux ronces & aux épines leur foible posterité ; les fentes des arbres offrent à d’autres un asyle ; leurs nids sont de mousse, & ils se nourrissent d’insectes. Il en est qui s’écartent au fond des vallons déserts, & y forment dans l’herbe sauvage l’humble contexture de leurs nids. La plûpart se plaisent dans la solitude des bois, dans des lieux sombres & retirés, ou sur des bords mousseux, escarpés, rivages d’un ruisseau dont le murmure les flatte, tandis que les soins amoureux les fixent & les retiennent. Il en est enfin qui s’établissent dans les branches du noisettier penché sur le ruisseau plaintif.

» La base de l’architecture de leurs maisons, est de branches seches, construites avec un artifice merveilleux & liées de terre. Tout vit, tout s’agite dans l’air, battu de leurs aîles innombrables. L’hirondelle, empressée de bâtir & d’attacher son fragile palais, rase & enleve la fange des

étangs : mille autres arrachent le poil & la laine des troupeaux ; quelquefois aussi ils dérobent les brins de paille dans la grange, jusqu’à ce que leur habitation soit douce, chaude, propre & achevée.

» La femelle garde le nid assiduement ; elle n’est tentée d’abandonner sa tendre tâche, ni par la faim aiguë, ni par les délices du printems qui fleurit autour d’elle. Son amant se met sur une branche vis-à-vis d’elle, & l’amuse en chantant sans relâche. Quelquefois il prend un moment sa place, tandis qu’elle court à la hâte chercher son repas frugal. Le tems marqué pour ce pieux travail étant accompli, les petits, nuds encore ; mais enfin, parvenus aux portes de la vie, brisent leurs liens fragiles, & paroissent une famille foible, demandant avec une clameur constante la nourriture. Quelle passion alors ! quels sentimens ! quels tendres soins s’emparent des nouveaux parens ! Ils volent transportés de joie, & portent le morceau le plus délicieux à leurs petits, le distribuent également, & courent promptement en chercher d’autres. Tel un couple innocent, maltraité de la fortune ; mais formé d’un limon généreux, & qui habite une cabane solitaire au milieu des bois, sans autre appui que la providence, épris des soins que méconnoissent les cœurs vulgaires, s’attendrit sur les besoins d’une famille nombreuse, & retranche sur sa propre nourriture de quoi fournir à sa subsistance.

» Non-seulement l’amour, ce grand être du printems, rend la troupe aîlée infatigable au travail, mais il lui donne encore le courage de braver le péril, & l’adresse de l’écarter de l’objet de ses soins. Si quelque pas effrayant trouble la tranquillité de la retraite, aussi-tôt l’oiseau rusé vole en silence d’une aîle légere sur un arbrisseau voisin ; il sort ensuite de-là comme allarmé, pour mieux tromper l’écolier qu’il éloigne ainsi de son objet. Par un semblable motif, le pluvier à l’aîle blanche, rôde autour de l’oiseleur errant ; il fait raisonner le bruit de ses aîles, & dirigeant son vol en rasant la plaine, il s’écarte pour l’éloigner de son nid. Le canard & la poule de bruyere vont sur la mousse raboteuse & sur la terre inculte, voltigeant comme leurs petits ; pieuse fraude, qui détourne de leur couvée l’épagneul qui les poursuit.

» Muse, ne dédaigne pas de pleurer tes freres des bois, surpris par l’homme tyran, privés de leur liberté & de l’étendue de l’air, & renfermés dans une étroite prison. Ces jolis esclaves s’attristent & deviennent stupides ; leur plumage est terni, leur beauté fanée, leur vivacité perdue. Ce ne sont plus ces notes gaies & champêtres qu’ils gazouilloient sur le hêtre. O vous, amis de l’amour & des tendres chants, épargnez ces douces lignées, quittez cet art barbare, pour peu que l’innocence, que les doux accords ou que la pitié aient de pouvoir sur vos cœurs !

» Gardez-vous sur-tout d’affliger le rossignol en détruisant ses travaux : cet Orphée des bois est trop délicat pour pouvoir supporter des durs liens de la captivité. Quelle douleur pour la tendre mere, quand revenant le bec chargé elle trouve son nid vuide & ses chers enfans en proie à un ravisseur impitoyable ! Elle jette sur le sable sa provision désormais inutile ; son aîle languissante & abattue peut à peine la porter sous l’ombre d’un peuplier voisin pour y pleurer sa perte : là livrée à la plus vive amertume, elle gémit & déplore son malheur pendant la nuit entiere ; elle s’agite sur la branche solitaire ; sa voix toujours expirante, s’épuise en sons lamentables : l’écho des bois sou-