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rangement dans cette harmonie. Du reste, il établissoit de même que les anciens historiens sacrés qui avoient tiré cette doctrine des Chaldéens, une ame étendue depuis le cœur jusqu’au cerveau, & il pensoit que la partie qui est dans le cœur étoit la source des passions, & que celle qui résidoit dans le cerveau produisoit l’intelligence & la raison ; on ne sait point quel usage avoient les autres parties, situées entre le cœur & le cerveau.

Alcmeon son disciple, dont le nom doit être célebre dans les fastes de la Médecine, pour avoir le premier anatomisé des animaux (ce ne fut que longtems après lui, qu’Erasistrate & Hérophile oserent porter le couteau sur les cadavres humains). Alcmaeon, dis-je, croyoit que la santé dépendoit d’une égalité dans la chaleur, la sécheresse, le froid, l’humidité, la douceur, l’amertume & autres qualités semblables ; les maladies naissoient, lorsque l’une de ces choses dominoit sur les autres & en rompoit ainsi l’union & l’équilibre : ces idées ont été les premiers fondemens de toutes les théories anciennes, des différentes classes d’intempéries, & des distinctions fameuses reçues encore aujourd’hui chez les modernes, des quatre tempéramens. Héraclite, ce philosophe fameux, par les larmes qu’il a eu la bonnehommie de répandre sur les vices des hommes, établit la célébre comparaison du corps humain avec le monde, que les alchimistes ont ensuite renouvellée, désignant l’homme sous le nom de microcosme, (petit monde) par opposition à macrocosme (grand monde) : il prétendoit que les deux machines se ressembloient par la structure, & que l’ordre & le méchanisme des fonctions étoient absolument les mêmes : tout se fait, dit-il, dans notre corps comme dans le monde ; l’urine se forme dans la vessie, comme la pluie dans la seconde région de l’air, & comme la pluie vient des vapeurs qui montent de la terre & qui en s’épaississant, produisent les nuées, de même l’urine est formée par les exhalaisons qui s’élevent des alimens & qui s’insinuent dans la vessie. On peut juger par là de la physiologie d’Héraclite, de l’étendue & de la justesse de ses connoissances anatomiques.

Le grand Hippocrate surnommé à si juste titre, le divin vieillard, joignit à une exacte observation des faits, un raisonnement plus solide : il vit très-bien que les principales sources où l’on pouvoit puiser les vraies connoissances de la nature de l’homme, étoient l’exercice de la Médecine, par lequel on avoit les occasions de s’instruire des différens états du corps, en santé & en maladie, des changemens qui distinguoient un état de l’autre, & sur-tout des impressions que faisoient sur l’homme, le boire & le manger, le mouvement & le repos, &c. soit lorsque cet usage étoit moderé, réduit au juste milieu, soit lorsqu’il étoit porté à un excès absolu ou relatif aux dispositions actuelles du corps, lib. de veter. Med. Ces sources sont assurément très-fécondes, & les plus propres à fournir des principes appliquables à l’économie animale ; mais Hippocrate persuadé que l’anatomie étoit plus nécessaire au peintre qu’au médecin, négligea trop cette partie, qui peut cependant répandre un grand jour sur la théorie de l’homme. Le livre des chairs ou des principes, περὶ σαρκῶν, ἢ περὶ ἀρχῶν qui contient sa doctrine sur la formation du corps & le jeu des parties, est toute énigmatique ; il n’a point été encore suffisamment éclairci par les commentateurs ; les mots de chaud, de froid, d’humide, de sec, &c. dont il se sert à tout moment n’ont point été bien expliqués & évalués ; on voit seulement, ou l’on croit voir qu’il a sur la composition des membranes ou du tissu cellulaire des idées très justes, il les fait former d’une grande quantité de matiere gluante qui répond au corps muqueux des modernes. Toutes les fonctions du corps humain

étoient produites, suivant ce médecin célébre, par l’exercice constant de quatre facultés qu’il appelloit attractrice, retentrice, assimilatrice & expultrice ; la faculté attractrice attiroit au corps tout ce qui pouvoit concourir au bien être de l’homme ; la faculté retentrice le retenoit ; l’usage de la faculté assimilatrice étoit de changer tout corps étranger héterogène, susceptible de changement, & de l’assimiler, c’est-à-dire, de le convertir en la nature propre de l’homme : enfin, les matieres qui pouvoient être nuisibles par un trop long séjour, par leur quantité ou leur qualité étoient chassées, renvoyées dans des reservoirs particuliers, ou hors du corps par la faculté expultrice. Ces facultés appliquées à chaque viscere, à chaque organe, & entretenues dans l’état naturel & dans une juste proportion établissoient la santé ; la maladie étoit déterminée, lorsqu’il arrivoit quelque dérangement dans une ou plusieurs de ces facultés : Hippocrate admettoit aussi pour premier mobile de ces facultés, un principe veillant à la conservation de la machine, qui dans la santé, en regloit & dirigeoit l’exercice, & le conservoit dans l’état nécessaire d’uniformité ; lorsque quelque cause troubloit cet équilibre exact, ce même principe guérissoit des maladies, τῶν νούσων ἰητρὸς, faisoit des efforts plus ou moins actifs pour combattre, vaincre & détruire l’ennemi qui travailloit à l’anéantissement de sa machine. Ce principe est désigné dans les écrits d’Hippocrate sous les noms d’ame de nature, de chaud inné, d’archée, de chaleur primordiale, effective, &c. Sennert a prétendu que le chaud inné n’étoit autre chose que le principal organe dont l’ame se sert pour exercer ses fonctions dans le corps. Fernel remarque, au contraire, fondé sur la décision expresse de Galien, voyez Inflammation, que tous ces noms ne sont que des synonymes d’ame & employés indifféremment par Hippocrate dans la même signification. C’étoit une grande maxime d’Hippocrate, que tout concourt, tout consent, tout conspire ensemble dans le corps : maxime remarquable, très-vraie & très-utile pour l’explication de l’économie animale. Il attribuoit à toutes les parties une affinité qui les fait compatir réciproquement aux maux qu’elles souffrent, & partager le bien qui leur arrive. Nous remarquerons en terminant ce qui le regarde, qu’il plaçoit le siege du sentiment autour de la poitrine, qu’il donne à la membrane qui sépare la poitrine du bas ventre le même nom que celui par lequel les Grecs désignoient l’esprit, φρήν ; les plus anciens Médecins avoient ainsi nommé cette partie, parce qu’ils pensoient qu’elle étoit le siége de l’entendement ou de la prudence. Platon avoit imaginé une ame, située dans les environs du diaphragme, qui recherche & appette le boire & le manger & tout ce qui est nécessaire à la vie, & qui est en outre le principe des desirs & de la cupidité. Galien, admirateur enthousiaste d’Hippocrate, n’a rien innové dans sa doctrine sur l’économie animale, il n’a fait que la commenter, l’étendre, la soutenir & la répandre avec beaucoup de zele ; toutes ses opinions ont été pendant plusieurs siecles la théorie régnante, la seule adoptée & suivie dans les écoles sous le nom de Galenisme. Les Médecins chimistes qui parurent dans le treizieme siecle, y apporterent quelques changemens, & Paracelse qui vécut sur la fin du quinzieme, l’abandonna entierement : il avoit l’ambition de changer tout-à-fait la face de la Médecine, & d’en créer une nouvelle ; une imagination bouillante, vive, mais préoccupée, ne lui laissa trouver dans le corps humain qu’un assemblage de différens principes chimiques ; le corps de l’homme, s’écria-t-il, paramis. lib. de origin. morbor. n’est autre chose que soufre, mercure & sel ; l’équilibre & la juste proportion de ces trois substances lui parut devoir faire la