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miers organes de l’odorat paroissent être les cornets osseux ; ces cornets par leur nombre de contours en volute, multiplient les parties de la sensation, donnent plus d’étendue à la membrane qui reçoit les divisions infinies des nerfs olfactifs, & par conséquent rendent l’odorat plus exquis. Plus un animal a de nez, plus ses cornets ont de lames. Petham dit que dans le chien de chasse, les nerfs ont une plus vaste expansion dans les narines, & que les lames y sont plus entortillées, que dans aucune autre bête. Dans le lievre, animal qui a du nez, & un nez qu’il remue toujours, les petits os sont à cellules en-dedans, avec plusieurs cornets ou tuyaux. L’os spongieux du bœuf a intérieurement un tissu réticulaire ; cet os dans le cheval, forme des cornets entortillés avec des cellules à rets, selon les observations de Cassérius, de Schneïder & de Bartholin. C’est par le même méchanisme que le cochon sent merveilleusement les racines qu’il cherche en terre. La main de l’éléphant n’est qu’un nez très-long, & sa trompe, dont Duverney a seulement décrit la fabrique musculeuse, n’est presqu’un assemblage de nerfs olfactifs : cet organe a donc une énorme surface dans cet animal.

Sténon a démontré la même chose dans les poissons, dont les nerfs olfactifs ressemblent aux nerfs optiques, & se terminent en un semblable hémisphere. Ainsi regle générale, à proportion de la longueur des narines, des cornets osseux & contournés, la finesse & l’étendue de l’odorat se multiplient dans l’homme & dans les autres animaux. Quant aux oiseaux, ils ont dans les narines des vessies à petits tubes, & garnies de nerfs visibles, qui viennent des processus mamillaires par l’os cribleux. Il y en a beaucoup dans le faucon, l’aigle & le vautour. On dit qu’après la bataille qui décida de l’empire du monde entre César & Pompée, les vautours passoient de l’Asie à Pharsale.

7°. Comment des corps odoriférans, très-petits, peuvent-ils répandre si long-tems des odeurs si fortes, sans que les corps dont ils s’exhalent paroissent presque avoir perdu de leur masse à en juger par leur pesanteur ? Un morceau d’ambre gris ayant été suspendu dans une balance, qu’une petite partie d’un grain faisoit trébucher, ne perdit rien de son poids pendant 3 jours, ni l’assa fœtida en 5. Une once de noix muscade ne perdit en 6 jours que cinq grains & demi ; & une once de clous de gérofle sept grains & trois huitiemes : ce sont des expériences de Boyle. Une seule goutte d’huile de canelle dans une pinte de vin, lui donne un goût aromatique. On fait avec cette même huile un esprit très-vif, lequel évaporé laisse le reste sans odeur ni diminution. Une goutte d’huile de Galanga embaume une livre de thé. Les plus subtiles particules odoriférantes ne passent cependant point au-travers du verre, ce corps que pénétrent le feu, la lumiere & la matiere de l’aimant : donc elles sont d’une nature plus grossiere. Mais les sels fixes, les terres les plus arides, l’alun, le vitriol, démontrent avec quelle facilité la partie humide de l’air va pénétrer différens corps, & constitue un tout avec eux. Tout cela porte à croire que les petits corpuscules odoriférans reçoivent des parties d’air commun, qui les remplacent à mesure qu’ils s’exhalent ; & c’est la raison pour laquelle cette évaporation se fait sans diminution de la masse.

8°. Pourquoi la puanteur qui s’exhale de parties d’animaux, ou de végétaux putréfiés, fait-elle sur les narines une impression si longue, si opiniâtre & si désagréable ? La fétidité d’une maladie mortelle porte au nez pendant plusieurs jours. L’odorat n’est-il pas long-tems affecté des rapports nidoreux d’une matiere indigeste qui croupit dans l’estomac ? Comme il y a beaucoup de détours dans la membrane

pituitaire, & qu’il s’y trouve toûjours de la mucosité, cette mucosité vicieuse y retient, & prend pour ainsi-dire à sa glu, ces corpuscules empoisonnés qui s’exhalent des corps malades, des parties d’animaux, ou de végétaux putréfiés. On a besoin de prendre beaucoup de matiere sternutatoire pour dissiper ces corpuscules ; l’agitation qui survient alors à la membrane pituitaire, & l’humeur muqueuse qui coule en abondance produit cet effet ; si de pareilles odeurs étoient portées au nez après l’éternuement, elles feroient encore plus d’impression, comme on l’éprouve à son lever.

9°. Pourquoi l’odorat est-il émoussé quand on s’éveille le matin, & devient-il plus vif après qu’on a éternué ? Nous venons de l’expliquer. Alors, c’est-à-dire au reveil, une humeur épaisse couvre la membrane pituitaire, parce que la chaleur a évaporé la partie aqueuse, & a laissé la matiere grossiere qui n’a pu être chassée durant le repos de la nuit ; cette humeur visqueuse arrête les corpuscules odoriférans, mais quand on l’a rejettée par la force de la sternutation ou l’émonction, les nerfs se trouvent libres & pleins du suc nerveux, ils sont plus sensibles qu’auparavant.

10°. Pourquoi les plus forts odoriférans sont-ils sternutatoires ? Parce qu’en ébranlant fortement les nerfs olfactifs, ils ébranlent les nerfs qui servent à la respiration & qui communiquent avec eux.

11°. Pourquoi ne sent-on rien quand on court contre le vent ? Parce que le vent desséche le mucus qui lubrefie la membrane pituitaire, & qu’aucun nerf n’a de sentiment s’il n’est humecté.

12°. Enfin il y a des odeurs si fortes, comme celle de l’oignon, du vinaigre, du soufre allumé, de l’esprit de nitre, qu’elles n’agissent pas seulement sur l’organe de l’odorat, mais qu’elles blessent les yeux. On en peut trouver la cause dans la communication du nerf ophthalmique avec celui de l’odorat.

Le sentiment que les yeux souffrent des odeurs fortes, est un sentiment du toucher, pareil à celui que la lumiere ramassée cause sur la peau, ou à celui que des saveurs très vives, telles que les âcres & les acides exaltés, causent sur la langue ; mais comme la peau n’est émue par les objets de la vûe & du goût, que quand ils agissent avec une véhémence extraordinaire ; de même les yeux ne souffrent de la douleur des odeurs, que lorsqu’elles ont une force assez grande pour blesser leur délicatesse ; & comme les odeurs en général sont d’une nature particuliere qui ébranle toûjours leur propre organe, ceux de la vûe & du goût ne sont point ébranlés de la même maniere, & par conséquent ne sont point affectés de la sensation de l’odorat.

Le sens de l’odorat est plus parfait dans les animaux. Les hommes ont l’odorat moins bon que les animaux ; & la raison en est évidente par l’examen de la construction de l’organe. Je sais que le P. du Tertre, dans son voyage des Antilles, & le P. Laffitau, dans son livre des mœurs des Sauvages, nous parlent, l’un de negres & l’autre de sauvages qui avoient l’odorat plus fin qu’aucun chien de chasse, & qui distinguoient de fort loin la piste d’un noir, d’un françois & d’un anglois : mais ce sont des faits trop suspects pour y donner confiance. Il en est de même d’un garçon dont parle le chevalier Digby, qui élevé dans une forêt où il n’avoit vécu que de racines, pouvoit trouver sa femme à la piste, comme un chien fait son maître. Pour ce qui est du religieux de Prague, qui connoissoit par l’odorat les différentes personnes, distinguoit une fille ou une femme chaste de celles qui ne l’étoient point, c’est un nouveau conte plus propre à fournir matiere à quelque bon mot, qu’à la créance d’un physicien.

Je conviens que les hommes par leur genre de