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truit pour y savourer les odeurs, y laisse peu d’espace vuide.

Méchanisme des odeurs, objet de l’odorat. Les vapeurs odorantes qui font l’objet de l’odorat, sont, en fait de fluides, ce que les saveurs sont parmi les liqueurs & les sucs ; mais les vapeurs odorantes, dont la nature nous est inconnue, doivent être très-volatiles ; & la quantité prodigieuse de ces fluides volatiles qui s’exhalent sans cesse d’un corps odorant sans diminuer sensiblement son poids, prouve une division de la matiere qui étonne l’imagination. Cette partie des végétaux, des animaux ou des fossiles qui réside dans leurs esprits, dans leurs huiles, dans leurs sels, dans leurs savons, pourvu qu’elle soit assez divisée pour pouvoir voltiger dans l’air, est l’objet de l’odorat.

Parmi les minéraux, le soufre allumé a le plus d’odeur, ensuite des sels de nature opposée dans l’acte même de leur effervescence, comme les métaux dans celui de leur érosion. Quelle odeur pénétrante n’ont point les sels alkalis volatils des corps animés durant la vie, des particules odorantes que le chien distingue mieux que l’homme ? du sein de la putréfaction quelle odeur fétide ne s’éleve-t-il pas ? Les corps putréfiés donnent une odeur désagréable, malgré ce que Plutarque dit du corps d’Alexandre le grand, & ce que le bon Camérarius dit d’une jeune fille. La plûpart des végétaux ont de l’odeur, & dans certaines classes ils ont presque tous une bonne odeur. Les sucs acides, simples ou fermentés, en ont de pareilles, ensuite la putréfaction alkaline d’un petit nombre de plantes n’en manque pas. La feu & le broyement, qui n’est qu’une espece de feu plus doux, tire des odeurs du regne animal & végétal. La Chimie nous fournit sur ce sujet quantité de faits curieux. On sait par une suite d’expériences, que cette matiere subtile qu’on nomme esprit, & qui est contenue dans l’huile, est la principale chose qui excite le sentiment de l’odeur. En effet, si l’on sépare des corps odoriférans tout l’esprit qu’ils contiennent, ils n’ont presque plus d’odeur ; & au contraire les matieres qui ne sont point odoriférantes le deviennent lorsqu’on leur communique quelques particules de ce même esprit.

Boyle a écrit un traité curieux sur l’émanation des corpuscules qui forment les odeurs : celle du romarin fait reconnoître les terres d’Espagne à 40 milles, suivant Bartholin, à quelques milles, suivant la vérité. Diodore de Sicile dit à-peu-près la même chose de l’Arabie, que Bartholin de l’Espagne. Un chien qui a bon nez reconnoît au bout de six heures la trace d’un animal ou de son maître ; de sorte qu’il s’arrête où les particules odoriférantes le lui conseillent. Je supprime ici quantité d’observations semblables ; je ne dois pas cependant oublier de remarquer que l’odeur de plusieurs corps odoriférans se manifeste ou s’accroît par le mouvement & par la chaleur : le broyement donne de l’odeur à tous les corps durs qui n’en ont point, ou augmente celle qu’ils ont ; c’est ce qu’on a tant de fois éprouvé sur le succin, sur l’aloës. Il est des bois qui prennent de l’odeur dans les mains du tourneur.

Cette odeur des corps odoriférans augmente aussi quand on en mêle plusieurs ensemble, ou quand on mêle des sels avec des corps huileux odoriférans. Le sel ammoniac & le sel alkali, l’un & l’autre sans odeur, mêlés ensemble, en ont une très-forte. Un grain de sel fixe donne un goût brûlant & nulle odeur, à-moins qu’il ne rencontre une salive acide & qui aide l’alkali à le dégager. L’esprit de sel, l’huile de vitriol dulcifiés, ont une odeur fort agréable, différente de celle de l’alcohol & d’une liqueur acide. L’eau de mélilot, qui est presque inodorante, augmente beaucoup les odeurs des corps qui en ont.

L’odeur de l’ambre lorsqu’il est seul, est peu de chose, mais elle s’exhale par le mélange d’un peu de musc.

C’est dans ce mélange de divers corps que consistent les parfums, hors de mode aujourd’hui, & si goûtés des anciens, qu’ils les employoient à table, dans les funérailles, & sur les tombeaux pour honorer la mémoire des morts. Antoine recommande de répandre sur ses cendres des herbes odoriférantes, & de mêler des baumes à l’agréable odeur des roses.

Sparge mero cineres, & odoro perlue nardo
Hospes, & adde rosis balsama puniceis.

Maniere dont se fait l’odorat. Le véhicule général des corpuscules odorans, est l’air où ces corpuscules sont répandus ; mais ce n’est pas assez que l’air soit rempli des particules odorantes des corps, il faut qu’il les apporte dans les cavités du nez, & c’est ce qui est exécuté par le mouvement de la respiration, qui oblige sans cesse l’air à passer & repasser par ces cavités pour entrer dans les poumons ou pour en sortir. C’est pourquoi ceux qui ont le passage du nez fermé par l’enchifrenement & qui sont obligés de respirer par la bouche, perdent en même tems l’odorat. M. de la Hire le fils a vu un homme qui s’empêchoit de sentir les mauvaises odeurs en remontant sa luette, en sorte qu’elle bouchoit la communication du nez à la bouche, & il respiroit par cette derniere voie. On peut croire que les odeurs ne laissent pas pour cela de venir toujours frapper le nez, où est le siége du sentiment ; mais comme on ne respire point alors par le nez, elles ne sont point attirées par la respiration, & ont trop peu de force pour se faire sentir.

Ce même passage de l’air dans les cavités du nez, sert quelquefois à nettoyer ces cavités de ce qui les embarrasse, comme lorsqu’on y pousse l’air des poumons avec violence, soit qu’on veuille se moucher, soit que l’on éternue, après quoi l’odorat se fait beaucoup mieux. Un animal qui respire par la trachée-artere coupée, ne sent point du tout les odeurs les plus fortes : c’est une expérience de Lower. On sait que quand l’air sort du poumon par les narines, on a beau présenter au nez un corps odoriférant, il ne fait aucune impression sur l’odorat. Lorsqu’on retient son haleine, on ne sent aussi presque point les odeurs ; il faut pour les sentir les attirer avec l’air par les narines. Varolius l’a fort bien remarqué, tandis que Cassérius l’a nié mal-à propos : car plus l’inspiration est forte & fréquente, plus l’odorat est exquis. Il faut cependant avouer, & c’est peut-être ce qui a jetté Cassérius dans l’erreur ; il faut, dis-je, avouer qu’on ne laisse pas de sentir dans l’expiration. La sensation n’est pas entierement abolie, ainsi qu’elle l’est lorsque la respiration est absolument retenue : elle est seulement très-foible ; la raison de ce fait est que toutes les particules odorantes n’ayant pû être réunies & ramassées dans le tems que l’air passe dans la cavité du nez pendant l’inspiration, il reste encore dans l’air quelques particules odorantes qui repassent dans l’expiration, qui ne peuvent produire qu’une legere sensation.

L’odorat se fait donc quand les particules odoriférantes contenues dans l’air sont attirées avec une certaine force dans l’inspiration par les narines : alors elles vont frapper vivement les petites fibres olfactives que le nez par sa figure, & les osselets par leur position, leur présentent ; c’est de cette impression, communiquée ensuite au sensorium commune, que résultent les différentes odeurs d’acide, d’alkali, d’aromatique, de pourri, de vineux, & autres dont la combinaison est infinie.

Explication des phénomenes de l’odorat. On peut