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qui périssent par le défaut d’alimens ou par le marasme, qui provient de ce que le sang n’est pas propre à fournir le suc nourricier.

Ce n’est cependant pas la partie rouge du sang qui sert à la nutrition non plus que le chyle, dans lesquels il ne se trouve point de parties gélatineuses bien travaillées, bien développées. Ces fluides operent la réplétion des vaisseaux, réparent par conséquent la perte des fluides, qui se dissipent continuellement. Ils fournissent aussi plus ou moins les sucs huileux qui forment la graisse, qui contribuent par conséquent à augmenter le volume du corps ; mais ils n’ont pas les qualités nécessaires pour nourrir immédiatement les parties qui les contiennent, pour entrer dans leur composition intime, & être changées en la propre substance de l’animal, en ce qui fait la matiere de ses parties solides, des fibres qui forment toute son organisation : ils sont trop grossiers pour pouvoir pénétrer dans les différentes divisions de filieres, par lesquelles cette matiere doit être filtrée, subtilisée avant d’être propre à remplir sa destination.

Il suit donc que puisque la véritable matiere de la nutrition est un suc gélatineux, les alimens qui contiennent le plus de matiere mucide, de cette matiere qui est regardée par un des plus ardens scrutateurs de la nature, le célebre Néedham, & par le savant auteur de l’histoire naturelle moderne, M. de Buffon, comme un composé de molécules organiques, sont les plus propres à réparer les pertes du corps animal, & à servir à sa conservation individuelle ; au lieu que les matieres que l’on prend pour se nourrir, qui contiennent peu de suc gélatineux, ne fournissent que très-peu de suc nourricier, & sont par conséquent très-peu propres pour la nourriture : ainsi les chairs des jeunes animaux, comme les poulets, les agneaux, les veaux, celles des bœufs, des moutons, de la volaille ; les œufs, le lait, les extraits de ces différentes matieres alimentaires faits par décoction ou de toute autre maniere qui peut séparer en plus grande abondance les sucs gélatineux mucides des parties fibreuses terreuses qui les contiennent, comme une éponge chargée d’eau, & forment la partie inutile, inerte, non alimentaire ; en un mot des corps dans la nature destinés à fournir la matiere de la nutrition, sont les substances les plus propres à fournir une bonne nourriture, à réparer le sang & les autres humeurs d’où se tire le suc nourricier ; lorsqu’il s’est fait une grande déperdition de ces différentes humeurs par maladie ou par toute autre cause ; c’est par le défaut de matiere mucide, gélatineuse, c’est-à-dire, par le peu qu’en contiennent les substances végétales, qu’elles sont très peu propres en général, excepté leurs semences, à fournir une bonne nourriture. Ce sont les plantes succulentes, à fleurs cruciformes, dont la partie mucide est la plus analogue à celle des animaux & abonde le plus, qui, de tous les végétaux sont employés avec le plus d’avantage pour fournir la matiere de la nutrition.

En recherchant plus particulierement la nature de cette matiere, il paroît qu’on doit la regarder comme homogene, & d’une qualité égale, similaire dans toutes les parties où elle est distribuée & mise en œuvre pour sa destination ; ensorte qu’elle ne differe dans ses effets, que par la figure, l’organisation même de la partie, à la nutrition de laquelle elle est employée. Cette qualité de la matiere nourriciere, Galien l’appelloit douce ; ce qui ne signifie autre chose dans le sens d’Hippocrate, qu’une qualité tempérée, dans laquelle rien ne domine, rien n’est irritant, & pour ainsi dire, altérant. Cependant il paroît, selon les observations d’un

savant physicien chimiste, M. Venel, professeur à Montpellier, que la plus grande partie des alimens, & les meilleurs, renferment dans leur substance nourriciere, une sorte de sel qu’il appelle microcosmique, c’est-à-dire, animal, qui venant à se développer à force d’élaborations dans les différens vaisseaux par où elle est filtrée, sert à aiguiser le suc nourricier parvenu dans les dernieres filieres de ses propres vaisseaux, & à donner de l’activité aux fibres élémentaires de l’organisation : ce qui peut contribuer beaucoup à différens phénomenes de l’économie animale. Voyez Sel, Animal, Irritabilité.

Ne pourroit-on pas ajouter en passant, à l’occasion du sel animal dont il vient d’être fait mention comme propre à favoriser la faculté irritable des solides, que ce peut être aussi ce mixte qui, étant trop développé ou trop abondant, excite avec excès cette propriété des solides dans plusieurs maladies inflammatoires, dans les fievres lentes, hectiques, dans les cacochimies chaudes, rhumatismales, arthritiques, cause une crispation dans les vaisseaux nevro lymphatiques, qui ne permet plus la distribution du suc nourricier, le fait refluer dans la masse du sang où il fournit la matiere plastique, concrescible, qui forme la coëne que l’on voit souvent dans les maladies se former sur la surface du sang qui est tiré par la saignée, où il est si dominant dans la masse des humeurs, qu’il détruit la consistence, la viscosité nécessaire au suc nourricier, qui revient par-là trop fluxile & susceptible de se dissiper, en se mêlant à la sérosité excrémenticielle, qui forme la matiere de la transpiration & des urines, ou qui prend son cours quelquefois par la voie des selles, ou qui se répand sur la masse dans quelques cavités sans issue, d’où s’en suivent la maigreur, le desséchement, qui résultent presque toujours de ces évacuations ou de ces hydropisies colliquatives.

Ne peut-on pas dire encore que, comme la qualité mucilagineuse balsamique des humeurs dans les premiers tems de la vie (d’où par conséquent celle du suc nourricier) favorise l’accroissement, la qualité saline ammoniacale que contractent de plus en plus les humeurs à mesure qu’on avance en âge, établissent peu à peu l’espece de cacochimie naturelle qui opere tous les mauvais effets de la vieillesse, pareils à ceux qui produisent la plûpart des maladies dont on vient de parler, dont le principal effet est aussi de procurer, pour ainsi dire, une vieillesse anticipée ?

Quoi qu’il en soit, de ces conjectures qui ne paroissent pas sans utilité, ni déplacées dans cet article, il reste au moins certain que le suc nourricier est de toutes les humeurs du corps humain, celle qui est la plus animale, puisqu’elle est la seule qui puisse se changer en la propre substance de l’animal, par l’analogie qu’elle a acquise avec les élémens qui le composent, par la qualité plastique que lui ont donnée les plus grandes élaborations qui puissent s’operer dans le corps animal, qui la font passer par le dernier degré d’atténuation, de coction possibles dans cette machine vivante, pour la séparer de tout ce qui lui est étranger ; mais de façon qu’à mesure qu’elle acquiert la plus grande fluidité pour pénétrer dans les filieres les plus fines que l’on puisse concevoir, elle devient par sa nature mucilagineuse & par la lenteur de son mouvement de plus en plus disposée à la concrétion.

On a cru que le fluide des nerfs se mêle au suc nourricier, parce que toutes les grandes évacuations qui sont suivies de la maigreur, de l’exténuation, sont aussi accompagnées de beaucoup de foiblesse ; mais 1°, la qualité des fluides dont il s’a-