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l’effort qui se fait à la surface extérieure de ces petits vaisseaux qui forme l’intérieur des grands, que l’on doit regarder comme étant la cause qui tend continuellement à détruire toute la consistance des solides, la lenteur du mouvement des humeurs dans les vaisseaux simples, concourt à opérer l’intus-susception des particules nourricieres qui s’oppose à cette destruction, en tant que la force d’attraction & de cohésion dont elles sont susceptibles d’éprouver les effets de la part des parois des serobicules ou cavités formées par l’enlevement des particules élémentaires, l’emporte sur le peu de force d’impulsion qui leur reste pour être portées plus avant dans leurs propres vaisseaux, ou même la simple force de suction, semblable à celle des tubes capillaires ou des racines des plantes, peut suffire vraissemblablement pour conserver le cours des fluides contenus tant qu’ils restent sous cette forme.

Il n’y a d’ailleurs que les parties surabondantes du suc nourricier qui ne sont pas employées à leur destination, qui arrivent à l’extrémité des arteres nevro-lymphatiques, qui sont les véritables vaisseaux nourriciers, pour être reportées dans la masse des humeurs par les veines correspondantes, tandis que les particules enlevées des parois des grands vaisseaux sont entraînées dans le torrent de la circulation, où elles se mêlent au sang & aux autres humeurs, comme parties redevenues susceptibles d’entrer dans la composition des fluides du corps animal ; mais d’une maniere qui les rend impropres à former de bonnes humeurs. La chaleur & le frottement qui la produit, dont elles ont éprouvé les effets, les ayant fait dégénérer, en leur faisant contracter une qualité lixivielle, qui ne les dispose qu’à se méler à la partie excrémenticielle de la masse des humeurs, avec laquelle elles ont le plus d’analogie, à être séparées de cette masse par les vaisseaux propres, à les attirer, à les recevoir, pour être rejettées hors du corps par les organes destinés à cet effet.

D’où il suit que les alimens ou les corps destinés à fournir la nourriture de l’animal, étant la plûpart sous forme solide, ne contribuent à leur destination, qu’après avoir passé sous forme fluide dans la masse des humeurs, par l’extrait qui se fait de la matiere alimentaire dans les premieres voies sous le nom de chyle, lequel est encore un assemblage grossier de parties hétérogenes, parmi lesquelles se trouvent la véritable matiere de la nutrition, qui ne se développe & n’est suffisamment préparée, atténuée, qu’après avoir souffert différentes élaborations, d’abord sous la forme de sang, ensuite sous celle de lymphe, qui se subtilise & s’évapore de plus en plus, en passant par différentes filieres de vaisseaux toujours plus petits & toujours moins composés, jusqu’à ce qu’il soit parvenu à la derniere division des vaisseaux, qui sont ceux dans la composition desquels il n’entre que des fibres simples, élementaires, formées par conséquent de particules plastiques, de la même nature que le fluide qu’ils contiennent, qui a toutes les qualités requises pour entrer dans la composition des fibres simples, dont sont formées toutes les parties solides, tous les organes, qui n’en sont que des aggrégés.

Ainsi l’extrait des alimens devenu un fluide, qui conserve cette forme pour passer en masse par différentes élaborations, redevient solide en détail, en parvenant à sa destination principale, qui est de nourrir le corps, en formant ou réparant ses parties solides, pour reprendre ensuite de nouveau sa fluidité, lorsqu’il ne forme plus que les débris de ces mêmes solides, dans la composition desquels il étoit entré par l’action de la vie, & dont il a été tiré par l’effet de cette même action : ensorte que par une

admirable disposition de la machine humaine, le principe de la vie, qui est en même tems inévitablement un principe de destruction, prépare aussi & opere en même tems ce qui est nécessaire pour corriger ce mauvais effet, & devient par ce moyen un principe de conservation, tant que l’état de santé se soutient & entretient les dispositions nécessaires pour ce principe, parce que ce n’est que du concours de toutes les fonctions, dont l’exercice est bien réglé & se fait bien naturellement, que résultent les conditions pour une bonne nutrition.

Voilà ce qui paroît pouvoir être dit de plus vraissemblable & de plus conforme, à ce que l’on connoît des opérations de l’œconomie animale, relativement à l’organisme & au mechanisme de la nutrition, qui, au reste, a toujours été regardée comme un des plus grands mysteres de la nature, & qui a conséquemment fourni matiere, ou au moins donné lieu aux hypotheses (en trop grand nombre, & dont l’exposition seroit trop longue, même en précis, pour trouver place ici), que les physiologistes ont proposées pour tenter de deviner le secret que la nature semble jusqu’à présent s’être réservé à cet égard : ensorte que les moyens dont elle se sert pour la conservation des individus, ne sont pas moins cachés, que ceux qu’elle emploie pour la conservation de l’espece. Voyez Génération.

Les lumieres de la théorie ne peuvent donc qu’être extrèmement bornées, lorsqu’on est réduit à conjecturer sur les causes & les effets physiques qui se dérobent à nos sens, comme il en est de l’opération dont il s’agit : mais il est presqu’aussi avantageux d’avouer simplement notre ignorance à cet égard, & la difficulté de la dissiper, comme à l’égard de toutes les autres premieres causes physiques, telles que la gravitation, l’attraction, l’elasticité, &c. pour épargner des recherches, qui, après tout, sont fort inutiles, puisque les principes de ces objets étant bien connus, n’en seroient pas plus susceptibles de modification de notre part, & que d’ailleurs il reste toujours impossible de porter jusqu’à la démonstration l’explication de pareils effets.

Tout ce qu’il y a de plus certain sur la nature de la matiere de la nutrition, & qu’il importe de savoir, c’est que toutes les parties solides des animaux, les os même comme les chairs, dont on fait la décoction dans la machine de Papin, se dissolvent entierement & se réduisent en un suc qui paroit homogene, gélatineux & diaphane ; d’où on peut conclure, que ce qui forme principalement le corps de l’animal, est ce qui résulte constamment & également de toutes ses parties ; que c’est par conséquent un fluide mucide qui fournit les élémens des fibres & les matériaux de tous les organes.

On observe que les premiers rudimens des animaux sont formés d’un suc lymphatique de la nature du blanc d’œuf, & que les embryons mis dans de l’eau tiede, se liquéfient & se changent entierement en une matiere visqueuse, diaphane, d’où on peut inférer avec fondement que la matiere dont les animaux sont engendrés, sont formés originairement, doit aussi être conséquemment celle de leur nutrition.

Ainsi il paroît que l’on peut assurer que la partie mucilagineuse la plus fine des matieres destinées à notre nourriture, qui sont portées dans la masse des humeurs & qui y éprouvent différentes élaborations, est le véritable suc nourricier : c’est pour quoi l’on observe que dans les animaux robustes, vigoureux, le sang est fort chargé de parties gélatineuses, & qu’au contraire il ne se trouve presque point de parties concrescibles dans le sang des animaux