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Toutes ces différentes sortes de dissipation des fluides du corps animal sont suffisamment prouvées par l’inspection, par la pondération & par les effets de l’exercice, du travail excessif, par ceux de la fievre, des purgatifs & de toutes les évacuations artificielles, qui produisent une diminution considérable du poids du corps, par la maigreur & le desséchement, qui sont les suites de ces déperditions excessives.

Ainsi, la dissipation continuelle des fluides du corps vivant étant suffisamment établie, il s’agit à présent d’examiner celle des parties solides : elle se démontre facilement par ses causes : en effet, les colonnes du sang, c’est-à-dire, de celui de nos fluides qui est-mû avec le plus de force & de vîtesse, étant par l’action du cœur, poussées avec impétuosité contre les courbures, les angles des vaisseaux, & les points de rétrécissement de leur cavité, contre ceux de séparation entre leurs ramifications, en écartent les tuniques, les redressent, les alongent & les mettent dans un état de distractilité, qui ne cesse avec tous les autres effets qui s’ensuivent, que lorsque la force de l’impulsion cesse elle-même, & que la force d’élasticité des fibres reprend le dessus & les remet dans l’état de flexion qui leur est naturel ; ce qui produit des efforts alternatifs qui se répetent environ cent mille fois par jour, & seroient suffisans par les frottemens qui s’ensuivent pour user des machines de bois très-dur, & même de métal.

Ainsi, il ne doit pas paroître surprenant qu’il se fasse une déperdition de parties dans les organes du corps humain, qui ne sont composés que d’une terre friable, dont les particules ne sont unies entr’elles que par la seule force de cohésion dont elles sont douées, comme le prouve la combustion des os, & même celle des cheveux, & sans perdre leur forme ; & par la matiere mucide visqueuse, qui entre dans la composition de toutes les parties solides de l’animal. Ensorte que ces parties considérées en détail ont si peu de consistence, qu’elle peut être détruite par la dissolution qu’operent la chaleur animale, la putréfaction qui les réduisent en une espece de liquament mucilagineux dans lequel il ne reste plus aucune marque d’organisation.

La dissipation des élemens de nos solides qui exige la réparation, la nutrition dans tous le cours de la vie se fait dans tous les vaisseaux de notre corps, c’est à-dire dans toutes les parties qui-le composent ; puisqu’elles ne sont toutes qu’un assemblage de vaisseaux : mais c’est sur les plus petits, qui forment la surface intérieure des grands, que portent les effets du frottement, du tiraillement, par lesquels les élemens des fibres, qui forment leurs tuniques, étant ébranlés par la répétition des chocs qu’ils éprouvent, & les fibres elles mêmes étant alongées, il se fait un écartement entre les particules terreuses & glutineuses dont elles sont formées, & il s’ensuit nécessairement une diminution dans la force de cohésion, qui unit ces élemens entr’eux ; ensorte que cette force n’est plus suffisante pour résister à l’effort, à l’abrasion, qui enleve, qui détache entierement celles des particules élementaires qui cedent le plus, & qui, ayant éprouvé le plus d’ébranlement, se trouvent le plus disposées à la solution de continuité ; & sont, en conséquence, séparées en tous sens de tous les élemens voisins, au point d’être entierement hors de la sphère d’attraction réciproque, & d’être entraînées par le torrent des fluides, avec lesquels il est un contact immédiat, de maniere qu’il se fait un vuide, une fossette à la place de la particule qui est emportée ; laquelle fossette est remplie en même tems par une autre particule analogue, fournie par l’humeur lymphatique mucide, lente, contenue dans les vaisseaux nourriciers ; ensorte que

cette particule, proprement alimentaire, qui est un mélange d’élemens de terre & de gluten, se moule dans le vuide, le scrobicule de la membrane ou tunique du vaisseau simple, & ne differe de la particule qu’elle remplace, qu’en ce que la nouvelle a plus de viscosité, de force, de cohésion, n’ayant pas encore été exposée à l’action du frottement, à la chaleur animale qui subtilisent, qui volatilisent les élemens même des parties solides, & qui sont bientôt éprouver à son tour la même altération à la particule subsidiaire, comme à toute autre : ensorte qu’elle est aussi enlevée à son tour, & remplacée par une autre, ce qui se répete ainsi continuellement dans tous les points du corps, plus ou moins promptement, à proportion que les parties sont plus ou moins exposées à l’action de la vie.

On voit par-là que les corps animés ne pourroient pas subsister long-tems, s’il n’y avoit quelque chose de propre à réparer les pertes qu’ils sont continuellement, puisque dans toute leur étendue il n’y a pas une seule partie qui ne perde quelque chose à chaque instant.

Cette déperdition est très-considérable pendant les premieres années de la vie, que toutes les parties solides sont plus molles, & qu’elles sont plus en mouvement : elle diminue à proportion qu’on avance en âge ; mais il s’en fait toujours : ensorte que pendant l’enfance & la jeunesse, la dissipation est proportionnée à la quantité de matiere mucilagineuse, qui abonde alors dans la masse des humeurs pour fournir celle de la nutrition : la quantité de la dissipation, comme celle de cette matiere, diminue de plus en plus, à mesure qu’on avance en âge, que toutes les parties solides acquierent plus de consistence, & tendent presque toutes à l’ossification. Voy. Vieillesse.

Ce n’est pas dans le même tems qu’il est enlevé des parties élémentaires de tous les points de la fibre par les frottemens, par les chocs qu’éprouvent les solides de notre corps ; chacune de ces parties se trouvant douée respectivement d’une force de cohésion un peu différente, eu égard au plus ou moins d’efforts qu’elle a essuyés, qui tendent à détruire cette force, c’est-à dire, à la surpasser & la rendre nulle, résiste plus ou moins a ces efforts, par lesquels elle doit être tôt ou tard séparée du tout qu’elle compose, selon que cette force est plus ou moins considérable, à proportion que cet effort est plus ou moins violent, & que l’organe dans le tissu duquel il se fait a plus ou moins de consistence.

C’est dans l’intérieur des grands vaisseaux où le mouvement des humeurs, leur choc contre les parois sont les plus considérables, que se fait en conséquence l’enlevement des parties élémentaires des solides, c’est-à-dire, des élémens des fibres qui forment les membranes extrèmement déliées des vaisseaux simples, dont l’assemblage compose les tuniques, & conséquemment les surfaces intérieures de ces grands vaisseaux.

Mais ce ne peut être que dans les petits vaisseaux simples, qui forment les tuniques des grands vaisseaux, que peut se préparer & s’opérer la répartition des particules enlevées, parce que les humeurs contenues dans ces petits vaisseaux étant très éloignées du principe d’impulsion, & ayant eu dans leur cours une infinité de résistances à surmonter, leur mouvement progressif, qui ne subsisteroit plus dans les derniers vaisseaux, sans l’action que leur donne vraissemblablement l’irritabilité dont ils sont doués, ce mouvement ne peut au moins qu’être très petit, & favoriser conséquemment l’application des particules destinées à remplacer par intus-susception celles qui ont été emportées au-dehors de ces vaisseaux simples ; ensorte que comme c’est