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ties, surtout des sphincters : c’est ainsi que les lochies peuvent être supprimées, à cause du spasme, de l’éréthisme dominant, comme cela arrive aux femmes hystériques : en ce cas-là, les narcotiques, qui diminuent naturellement les excrétions, étant administrés convenablement, bien loin de diminuer ou de supprimer ces excrétions, les rétablissent en faisant cesser la cause, qui occasionnoit cette suppression. Ainsi, il est des causes singulieres qui font que les narcotiques produisent, en apparence, des effets opposés à ceux qu’ils produisent généralement.

Les narcotiques sont indiqués 1°. dans les maladies aiguës, dolorifiques : la douleur dépend de la distraction des fibres nerveuses, qui sont en disposition de se rompre, si le tiraillement dure ; ainsi une partie affectée de douleur est une partie dont la tension, la sensibilité, le ton sont trop augmentés, par conséquent tout ce qui diminuera la sensibilité, relâchera aussi le ton : les narcotiques produisent cet effet, comme il a été dit ci-devant ; ils sont donc indiqués dans les maladies dolorifiques : car, s’il y a des douleurs vives, aiguës, c’est principalement alors que les narcotiques conviennent : si les douleurs sont sourdes, gravatiques, on ne doit employer ce reméde qu’avec beaucoup de circonspection.

2°. Dans les insomnies fatigantes, dans les veilles opiniâtres, qu’elles soient essentielles ou symptomatiques : elles sont essentielles, lorsqu’elles proviennent d’une trop grande contention, d’un trop grand travail d’esprit, de quelque forte passion de l’ame : elles sont symptomatiques, comme dans la plupart des maladies aiguës, fiévreuses, le sommeil est nécessaire pour rétablir les forces ; ainsi, on doit tâcher de les procurer par les secours de l’art.

3°. Dans les maladies spasmodiques, convulsives ; mais seulement dans celles qui dépendent d’une tension dolorifique, comme il arrive dans une attaque de passion hystérique, ou à l’occasion d’une piquûre, d’une blessure : dans l’épilepsie essentielle, l’usage des narcotiques seroit très-dangereux.

4°. Dans les maladies évacuatoires ; lorsqu’elles affoiblissent trop les malades : les narcotiques conviennent, en tant qu’ils sont propres, à suspendre & à arrêter les évacuations ; soit que les évacuations soient séreuses, comme dans les cours de ventre séreux, dans le vomissement de même nature, dans le cholera morbus ; soit qu’elles soient sanguines, comme dans le vomissement de sang, dans la dissenterie, l’hæmophthysie produite par un sang âcre, qui a rongé les vaisseaux capillaires des poumons ; lorsque les malades toussent presque continuellement & expectorent peu : en un mot, dans toutes les maladies évacuatoires qui affoiblissent notablement, excepté cependant le cas de grande sueur ; parce que, comme il a été dit, le narcotique, bien loin de diminuer cette excrétion, l’augmentent ou la procurent.

5°. Dans les cas où les excrétions naturelles, où les évacuations périodiques ou critiques sont difficiles, laborieuses, suspendues ou supprimées, à cause de l’éréthisme, de la convulsion de quelque partie, sur-tout de quelque sphincter, comme dans le cas d’une espece d’ischurie, d’une entiere suppression d’urine, qui dépend de l’éréthisme du sphincter de la vessie : dans le cas d’un accouchement difficile & laborieux ; lorsqu’il dépend du spasme de l’uterus ; dans le cas des menstrues, des lochies, du flux hémorrhoïdal, supprimés par une cause de cette nature ; dans le cas d’expectoration difficile : lorsqu’elle est occasionnée par l’irritation, l’éréthisme des vésicules pulmonaires, ou des vaisseaux aëriens.

En faisant attention aux effets que les narcotiques produisent, on sent aisément les cas où ils sont contr’indiqués. On a observé, & l’expérience journa-

liere fait voir que les narcotiques relâchent & diminuent

le ton, la sensibilité, la contractilité, le mouvement des parties. Ils peuvent donc affoiblir, sur-tout lorsqu’ils ne sont pas donnés avec toute la précaution requise, laissant des lassitudes, des pesanteurs de tête, & dérangeant souvent l’estomac : souvent aussi en diminuant la sensibilité, ils peuvent produire l’effet, quelquefois nuisible, de pallier ou de masquer la maladie & de la rendre méconnoissable au médecin, sur tout dans les maladies évacuatoires, où les douleurs peuvent disparoître par l’usage de ces remedes, & par-là on ne pourra plus distinguer les maladies dont les évacuations peuvent être une suite avantageuse, ou fournir des indications essentielles. De là on peut aisément déduire les cas où les narcotiques sont contr’indiqués. En général, puisque les narcotiques affoiblissent, il s’ensuit qu’on doit souvent s’en abstenir, ou ne les donner qu’avec beaucoup de précautions dans les cas de foiblesse.

A l’égard des phthisiques, par exemple, il est très-important de calmer la toux, de diminuer autant qu’il est possible, l’agitation des poumons, pour prévenir de plus grandes irritations, d’où pourroit s’ensuivre des déchirures de vaisseaux plus considérables, un renouvellement d’hémophthysie, qu’il faut empêcher autant qu’on le peut : d’ailleurs le sommeil rétablit les forces, ou au moins empêche qu’elles ne continuent à s’épuiser. Ces différentes raisons paroissent donc indiquer les narcotiques dans le cas dont il s’agit ; aussi les y emploie-t-on beaucoup à Montpellier, & en suivant la pratique des médecins de cette ville, on ne doit cependant le faire qu’avec beaucoup de circonspection ; car d’abord, quoique le sommeil rétablisse les forces, cela ne paroît bien décidé que par rapport au sommeil naturel, parce que celui qui est procuré par les narcotiques est ordinairement agité par des réves ; & bien que les malades paroissent refaits par le sommeil qu’ils procurent, il arrive souvent qu’ils se plaignent d’être plus foibles, après avoir bien dormi par ce moyen. De plus les narcotiques excitent la sueur à laquelle sont disposés la plûpart des phthisiques : ce qui forme une raison de plus pour que les narcotiques ne puissent pas servir à rétablir leurs forces ; mais au contraire, pour qu’ils contribuent à les diminuer.

Outre cela les narcotiques dérangent l’estomac dans ses fonctions, à quoi l’on doit encore faire beaucoup d’attention, par rapport aux phthisiques, parce que cet effet rend très-difficile l’usage du lait, qui est si nécessaire dans ce cas, & souvent même le rend impraticable.

Mais comme il reste toujours très-certain que les narcotiques calment la toux des phthisiques, ce qui est un grand avantage à leur procurer, on doit faire une espece de comparaison des différens symptômes, & se déterminer pour le parti qui souffre le moins d’inconvéniens. Si la toux n’est pas trop violente, trop fréquente, il faut s’abstenir des narcotiques, & n’y avoir recours que lorsque l’irritation devient si considérable, qu’elle surpasse les inconvéniens qui résultent de l’usage des narcotiques, attendu que pendant le sommeil les matieres s’accumulent dans les voies aériennes, & peuvent occasionner ensuite une plus grande irritation, & quelque nouvelle rupture ou dilatation forcée de vaisseau, qui cause l’hémophthisie.

Quant aux évacuations, il est des cas où les narcotiques sont bien indiqués ; mais il en est bien d’autres où ils sont très-fort contr’indiqués, comme il a déja été dit, & où il faut user de beaucoup de prudence pour ne pas faire de faute à cet égard.

Quoique les évacuations soient très-considérables, & qu’elles soient accompagnées de mouvemens con-