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lettre exprimoit tout un mot, on se servoit même de signes particuliers que Justinien dit avoir été appellés de son tems signes, dont il fut obligé de défendre l’usage à cause de diverses interprétations qu’on leur donnoit. Ces sortes de notes furent appellées notes de Tyron, du nom de celui qui en introduisit l’usage à Rome. Tyron étoit un affranchi de Ciceron auquel il a adressé plusieurs de ses épîtres, qui s’adonna à écrire en figures qui n’étoient caracteres d’aucune langue connue. Il ne fut pas le premier inventeur de cette maniere d’écrire, car elle venoit des Grecs ; mais il y ajouta plusieurs choses de son invention, & la perfectionna : c’est pourquoi on appella notes de Tyron tous les caracteres semblables. Gruter a donné des principes pour déchiffrer ces sortes d’écritures ; & M. l’abbé Carpentier a donné un alphabet tironien pour le déchiffrement d’un manuscrit du tems de Charlemagne, écrit en notes de Tyron, qui est à la bibliotheque du roi.

Cet art d’écrire en notes n’est point venu jusqu’à nous, il en est cependant resté des vestiges en la chancellerie de Rome où l’on délivre des signatures pleines d’abréviations ; c’est peut-être aussi de-là qu’est venu l’invention de l’écriture par chiffres.

On appella donc notaires à Rome ceux qui avoient l’art d’écrire par notes & abréviations ; & comme on s’adressoit à eux pour recevoir toutes sortes d’actes, c’est de-là que le nom de notaire est demeuré aux officiers publics qui exercent la même fonction.

Les notaires romains étoient aussi appellés cursores, à cause de la rapidité avec laquelle ils écrivoient.

Il étoit d’usage à Rome de faire apprendre aux jeunes gens, & principalement aux esclaves qui avoient de l’intelligence, cet art d’écrire en notes, afin qu’ils servissent de clercs aux greffiers & tabellions.

Tous les scribes publics, soit greffiers, tabellions ou notaires, étoient même au commencement des esclaves publics, c’est-à-dire appartenant au corps de chaque ville qui étoient employés à faire ces sortes d’expéditions, afin qu’elles ne coutassent rien au peuple : cela étoit si ordinaire alors, qu’en la loi derniere au code de servis reipublicæ on met en question si l’esclave d’une cité ou république ayant été affranchi, & ayant depuis continué l’exercice du notariat de cette ville, n’avoit pas dérogé à sa liberté.

Comme les esclaves chez les Romains étoient dans le domaine du maître, qui pouvoit les vendre & aliéner, M. Pasquier tient que c’est de-là qu’en France les tabellionnés sont aussi réputés domaniaux.

C’est aussi de-là, suivant Loyseau, que nos notaires se mettent encore stipulans & acceptans pour les parties ; ce qu’ils n’auroient pas pû faire dans l’origine s’ils n’eussent été esclaves publics, étant une regle de droit que personne ne peut stipuler pour autrui, de laquelle regle néanmoins étoient exceptés les esclaves, lesquels pouvoient stipuler & acquérir pour leur maître : si c’étoit un esclave commun à plusieurs, il pouvoit stipuler pour chacun d’eux ; & si c’étoit un esclave public, c’est-à-dire appartenant à une ville, il pouvoit stipuler pour chaque habitant, comme il paroît par plusieurs lois du digeste.

Mais il faut bien prendre garde que les esclaves qui, dans ces premiers tems, faisoient la fonction de notaires à Rome, ne peuvent être comparés aux notaires d’aujourd’hui : en effet, ils n’étoient point officiers en titre, ils n’étoient proprement que les clercs des tabellions, & leurs écritures n’étoient point authentiques, ce n’étoient que des écritures privées.

Bien-loin que la fonction de tabellion & de notaire

eût quelque chose d’ignoble ; chez les Romains, on voit que les patrons se faisoient un devoir & un honneur de recevoir les contrats de leurs cliens.

En effet, les PP. Catrou & Rouillé dans leur grande histoire romaine, liv. I. p. 66. de l’édition de 1725, remarquent, d’après Plutarque & Denis d’Halicarnasse, que les plus riches & les plus nobles citoyens eurent le nom de patrons ; que par-là ils tinrent un rang mitoyen entre les sénateurs & la plus vile populace ; que les patrons se chargerent de soutenir & de protéger chacun certain nombre de familles du plus bas peuple, de les aider de leur crédit & de leur bien, & de les affranchir de l’oppression des grands ; que c’étoit aux patrons de dresser les contrats de leurs cliens, de démêler leurs affaires embrouillées, afin de subvenir à leur ignorance contre les ruses de la chicane.

Si le commissaire de la Mare, qui a parlé de l’origine des notaires en son traité de la police, n’eût pas été poussé de quelque jalousie contre les notaires, il n’auroit pas manqué de rapporter ce trait d’histoire qui justifie que la fonction de recevoir des contrats a toujours été regardée comme importante & honorable, & que l’on a mal-à-propos comparé les clercs des greffiers & tabellions romains avec les notaires d’aujourd’hui, qui n’ont rien de commun avec eux que le nom.

Aussi voit-on que les empereurs Arcadius & Honorius défendirent de prendre des esclaves pour remplir les fonctions de greffier & de notaire, de sorte que depuis ce tems on les élisoit dans les villes, de même que les juges ; c’est pourquoi ces fonctions de notaire étoient alors comptées entre les charges municipales.

Les notaires, greffiers & autres praticiens étoient du nombre des ministres, des magistrats ; ils faisoient néanmoins un ordre séparé de celui des ministres inférieurs, appellés appariteurs : la fonction des greffiers & des notaires étoit estimée beaucoup plus honorable, parce que les actes publics étoient confiés à leur fidélité.

Les fonctions de notaire étoient exercées gratuitement, comme des charges publiques & ordinaires, que chaque honnête citoyen exerçoit à son tour ; aussi étoient-elles regardées comme si onéreuses, que plusieurs, pour les éviter, quittoient les villes & s’en alloient à la guerre, ou bien se faisoient officiers domestiques de l’empereur, ce qu’il fallut enfin défendre par une loi expresse.

Il ne faut pas confondre les notaires des Romains avec d’autres officiers, appellés actuarii seu ab actis ; chaque gouverneur en avoit un près de lui, pour recevoir & registrer les actes de jurisdiction volontaire, tels que les émancipations, adoptions, manumissions, & singulierement les contrats & testamens qu’on vouloit insinuer, publier & registrer, qui est ce que l’on appelloit mettre apud acta.

Le pouvoir des tabellions & notaires étoit grand chez les Romains, de même que parmi nous. Justinien, dans la loi jubemus au code de sacro sancti eccl. les appelle juges cartulaires ; ils font en effet tout-à-la-fois la fonction de greffiers & de juges ; & dans quelques provinces de France, ils ont conservé l’usage de mettre qu’ils ont jugé & condamné les parties à remplir leurs conventions : Cassiodore, en sa formule des notaires, éleve même ceux-ci beaucoup au-dessus des juges, en ce que ces derniers ne font que juger les procès, au-lieu que les notaires les préviennent, & qu’il n’y a pas d’appel de leurs jugemens.

On voit dans la novelle 44. que la méthode des Romains, par rapport aux actes qu’ils passoient devant notaires, étoit que le notaire ou clerc du tabellion écrivoit d’abord l’acte en note ; cette minute