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ture dans presque toute la terre. On le prépare avec du blé en Europe ; avec du riz en Asie ; & du maïs en Amérique : son usage est de tous les tems de la vie, excepté la premiere enfance. C’est l’aliment le plus convenable à tous les tempéramens ; on le mêle avec avantage à toute autre sorte de nourriture, & sur-tout à celle qui est tirée du regne animal dont il corrige la disposition alkalescente par l’acescence qui lui est naturelle, par laquelle il sert aussi de correctif à pareille disposition vicieuse qui se trouve dans la masse des humeurs. Mais à cet égard il ne peut être considéré que comme un médicament, tandis qu’il fournit la matiere de la nutrition, par la seule substance mucide dont il abonde, qui est très-analogue à celle qui se trouve dans toutes les parties solides des animaux, dans leur sang & dans leur lait, substance qui constitue un principe commun entre ces différentes parties.

C’est par l’extrait que fait de cette partie mucide l’ouvrage de la digestion & des autres préparations qu’eprouve le chyle pour être converti en sang & en suc nourricier, qu’elle est séparée de ce qui lui est étranger, comme la partie huileuse destinée à former la bile, la graisse, & de ce qui forme la partie lixiviele de nos humeurs, pour qu’il en résulte la véritable matiere de la nutrition, qui est la même dans l’embryon & dans l’adulte, & qui paroît être aussi de la même nature dans tout le regne animal, malgré la différence des genres & des especes qu’il renferme : ainsi tous les individus qui les composent peuvent être convertis en la propre substance les unes des autres, d’une maniere plus ou moins parfaite, selon que la partie mucide nourriciere en est extraite plus ou moins facilement, & s’y trouve plus ou moins abondamment.

Il suit de-là que la substance mucide de tous les végétaux où elle se trouve, peut être aisément appropriée aux animaux, par les moyens que la nature a établis à cet effet : presque toutes les plantes en contiennent dans leur parenchyme, c’est-à-dire dans les interstices de la partie fibreuse, insoluble, qui est comme un tissu spongieux, dont les débris qui résultent de la division qu’opere la digestion, forment la partie fécale qui n’a rien d’alimentaire, de nourricier, lorsque l’extrait des sucs mucides en a été fait entierement ; ensorte que ce qu’on appelle aliment en général, n’est pas tout susceptible d’être converti en suc nourricier, n’est pas par conséquent proprement alimenteux dans toutes ses parties, mais suppose une substance qui peut fournir plus ou moins de matiere mucide nourriciere.

De tous les végétaux, ceux qui contiennent un suc mucide qui a le plus de rapport à celui qui se trouve dans les animaux, sont les plantes à fleurs en croix, dans lesquelles la Chimie a trouvé le plus d’analogie avec les qualités caractéristiques des substances animales, & une plus grande quantité de ce suc mucide gélatineux propre à former le suc nourricier des animaux. Telles sont les plantes succulentes potageres, comme les navets, les raves, &c. Les végétaux qui approchent le plus des qualités de ces derniers, sont les racines, les fruits doux, & les semences à farine : tels sont les panais & autres racines semblables, les châtaignes, les pommes, les poires, les figues, &c. les fruits de noyau ; tels que les amandes, les noix, &c. tous les blés, &c.

Les végétaux, au contraire, les moins propres à nourrir, sont les légumes aqueux, fades ou acidules ; tels que les laitues, les épinards, l’oseille, &c. & les feuilles des arbres, parce qu’ils contiennent

très-peu de substance mucide alimenteuse, en automne sur-tout, par rapport aux feuilles, lorsqu’elles commencent à se dessécher.

La preuve de ce qui vient d’être établi sur ces deux différentes classes de végétaux considérés comme alimens, c’est que les bestiaux qui se nourrissent des premiers, s’engraissent beaucoup & en peu de tems ; au lieu que, lorsqu’ils n’ont que des derniers pour tout aliment, ils n’en mangent que forcés par la faim, & deviennent bientôt très-maigres.

Mais les substances qui fournissent le plus de nourriture & de la meilleure, sont les corps des jeunes animaux sains & point chargés de graisse, soit que l’on les tire d’entre les quadrupedes ou les volatiles, soit d’entre les poissons ou les insectes, qui peuvent tous être préparés simplement en les faisant cuire dans l’eau, ou en les rotissant, ou, par l’art de la cuisine, en les assaisonnant de différentes manieres, &c. le lait & les œufs sont de ce genre.

Les alimens végétaux, cruds, grossiers, pesans conviennent aux personnes d’une organisation forte, robuste, comme aux paysans ; à ceux qui sont accoutumés à des travaux rudes, tels que les laboureurs, les soldats, les artisans grossiers ; à ceux qui sont d’un tempérament chaud ; à tous ceux enfin qui sont constitués de maniere que la force des organes puisse aisément corriger la disposition des végétaux à la fermentation, en en arrêtant les progrès ; & convertissant en sucs de nature animale ceux des plantes & des fruits, dont l’usage, par la raison des contraires, ne peut qu’être nuisible aux personnes délicates, d’un tempérament froid, d’une constitution foible ; à ceux qui s’exercent peu ou qui vivent dans l’inaction : les alimens tirés du regne animal conviennent à ces personnes-là, parce que la disposition qu’ont ces alimens à l’alkalinité, à la putréfaction, les rend de plus facile digestion, & qu’ils contiennent des sucs d’une nature déja fort analogue à celle des fluides du corps humain, en laquelle ils se changent facilement. Mais cette même disposition est la raison pour laquelle ils ne sont pas convenables à ceux dont on vient de dire que les végétaux doivent faire leur principale nourriture. En général, les acescens conviennent aux personnes d’un tempérament porté à l’alkalescence ; & au contraire les alkalescens doivent être employés contre l’acescence. Voyez Régime.

Les alimens sous forme fluide ou molle, comme le laitage, les crêmes de grains rôtis, les panades, les bouillons, les jus de viande, les soupes conviennent préférablement à ceux qui n’ont point de dents, qui ne peuvent pas faire une bonne mastication, comme les enfans, les vieillards ; mais ces mêmes alimens ne suffisent pas pour soutenir les forces des gens robustes, & exercés par le travail, qui ne peuvent pas s’en rassasier. Voyez Régime.

Les alimens qui coutiennent dans leur substance beaucoup de matiere flatueuse, élastique, comme les légumes & les grains farineux non fermentés ; les fruits pulpeux cruds ; les matieres qui sont spécifiquement plus légeres que les sucs digestifs salivaires, comme la graisse, l’huile ; les corps durs, qui ne peuvent être que difficilement pénétrés de ces sucs, comme les substances osseuses, tendineuses, les ligamens, les peaux ; les matieres visqueuses, gluantes, tenaces, comme les huitres, les anguilles : tous ces différens alimens sont de très difficile digestion.

Quant au régime, on se bornera ici à observer, par rapport à ce qui vient d’être dit de la nature des alimens, que leur usage doit être réglé confor-