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nages & successions, c’est-à-dire, que leurs noms n’ont pas été d’abord héréditaires. M. le Laboureur, parlant du tems que les noms & les armes commencerent à être héréditaires, prétend qu’il y en a peu qui puissent prouver leur descendance au-delà de cinq cens ans, parce que les noms & les armes étoient seulement attachés aux fiefs qu’on habitoit. Ainsi Robert de Beaumont, fils de Roger sire de Beaumont & d’Adeline de Meulan, prit le nom & les armes de Meulan, & quitta le surnom de Beaumont. On remarque même que les fils de France en se mariant avec des héritieres qui avoient des terres d’un grand état, en prenoient les noms & les armes, comme Pierre de France en épousant Isabelle de Courtenay.

Mézerai prétend que ce fut sur la fin du regne de Philippe II. dit Auguste, que les familles commencerent à avoir des noms fixes & héréditaires ; & que les seigneurs & gentilshommes les prenoient le plus souvent des terres qu’ils possedoient. Quant à l’origine des surnoms de la roture, le même historien la tire de la couleur, des qualités ou des défauts, de la profession, du métier, de la province, du lieu de la naissance, & d’autres causes semblables & arbitraires, impossibles à découvrir.

On s’est encore servi de sobriquets pour faire des distinctions dans les familles. Les souverains mêmes n’en ont pas été exceptés, comme Pépin dit le Bref, Charles le Simple, Hugues Capet, & autres. Mais il faut remarquer que ces sobriquets se prenoient indifféremment des qualités bonnes ou mauvaises de l’esprit & du corps.

Personne n’ignore que les papes changent de nom lors de leur pontificat ; mais ce changement de nom paroît un peu plus ancien que l’élection de Sergius IV. l’an 1009 : car Jean XV. s’appelloit Cicho avant son élevation au pontificat, & Jean XVI. son successeur en l’an 995, se nommoit Fasanus ; mais alors ce n’étoit pas les papes élus qui changeoient leur nom comme ils font aujourd’hui, c’étoient leurs électeurs qui leur imposoient d’autres noms.

Les grands d’Espagne multiplient leurs noms tant par adoption, qu’en considération de leurs alliances avec de riches héritieres. Les François multiplient aussi leurs noms, mais par pure vanité, ou bien ils les changent par le même principe. Certaines gens, dit la Bruyere, portent trois noms de peur d’en manquer ; d’autres ont un seul nom dissyllabe qu’ils annoblissent par des particules, dès que leur fortune devient meilleure. Celui-ci, par la suppression d’une syllabe, fait de son nom obscur un nom illustre ; celui-là, par le changement d’une lettre en une autre, se travestit, & de Syrus devient Cyrus. Plusieurs suppriment leurs noms qu’ils pourroient conserver sans honte, pour en adopter de plus beaux où ils n’ont qu’à perdre, par la comparaison que l’on fait toûjours d’eux qui les portent avec les grands hommes qui les ont portés. Il s’en trouve enfin, qui nés à l’ombre des clochers de Paris, veulent être flamands ou italiens, comme si la roture n’étoit pas de tout pays ; ils alongent leurs noms françois d’une terminaison étrangere, & croient que venir de bon lieu c’est venir de loin. (D. J.)

Noms des Romains, (Antiquit. rom.) Les Romains avoient plusieurs noms, ordinairement trois, & quelquefois quatre. Le premier étoit le prénom qui servoit à distinguer chaque personne : le second étoit le nom propre qui désignoit la race d’où l’on sortoit : le troisieme étoit le surnom qui marquoit la famille d’où l’on étoit : enfin, le quatrieme étoit un autre surnom qui se donnoit, ou à cause de l’adoption, ou pour quelque grande action, ou même pour quelque défaut. Entrons dans les détails pour nous mieux expliquer.

La coutume de prendre deux noms n’a pas été tellement propre aux Romains, qu’ils en aient introduit l’usage, quoiqu’Appien Alexandrin dise le contraire dans sa préface. Il est constant qu’avant la fondation de Rome, les Albains portoient deux noms. La mere de Romulus s’appelloit Rhéa Sylvia ; son ayeul, Numitor Sylvius ; son oncle, Amulius Sylvius. Les chefs des Sabins qui vivoient à-peu-près dans le même tems en avoient aussi deux, Titus Tatius, Metius Suffetius : Romulus & Remus qui semblent n’en avoir eu qu’un, en avoient deux en effet, Romulus & Remus étoient des prénoms, & leur nom propre étoit Sylvius.

La multiplicité des noms, dit Varron, fut établie pour distinguer les familles qui tiroient leur origine d’une même souche, & pour ne point confondre les personnes d’une même famille. Les Cornelius, par exemple, étoient une race illustre d’où plusieurs familles étoient sorties, comme autant de branches d’une même tige, savoir les Scipions, les Lentulus, les Cethegus, les Dolabella, les Cinna, les Sylla. La ressemblance des noms dans les freres, comme dans les deux Scipions, qui eût empêché de les distinguer l’un de l’autre, fit admettre un troisieme nom : l’un s’appella Publius Cornelius Scipio, l’autre, Lucius Cornelius Scipio ; ainsi le nom de Scipio les distinguoit des autres familles qui portoient le nom de Cornelius, & les noms de Publius & de Lucius mettoient la différence entre les deux freres.

Mais quoiqu’on se contentât du nom de sa famille particuliere, sans y joindre celui de sa race, ou parce qu’on étoit le premier qui fît souche ou parce qu’on n’étoit point d’une origine qui fît honneur, les Romains ne laisserent pas dans la suite de porter trois noms, & quelquefois quatre. 1°. Le nom de famille s’appelloit proprement le nom, nomen. 2°. Le nom qui distinguoit les personnes d’une même famille, prænomen, le prénom. 3°. Le troisieme, qui étoit pour quelques-uns un titre honorable, ou un terme significatif des vices ou des perfections propres de ceux qui le portoient, étoit le cognomen, le surnom. 4°. Le quatrieme, quand il y en avoit, s’appelloit agnomen, autre espece de surnom.

Le prænomen tenoit le premier lieu ; le nomen, le second ; le cognomen, le troisieme ; l’agnomen, le quatrieme.

Les prénoms qui distinguoient les personnes d’une même famille, tiroient leur signification de quelques circonstances particulieres. Varron fait un long catalogue des prénoms qui étoient en usage parmi les Romains, & il en rapporte l’étymologie ; je me contenterai d’en citer quelques-uns qui feront juger des autres. Lucius, c’est-à-dire, qui tiroit son origine des Lucumons d’Etrurie ; Quintus, qui étoit né le cinquieme de plusieurs enfans ; Sextus, le sixieme ; Decimus, le dixieme ; Martius, qui étoit venu au monde dans le mois de Mars ; Manius, qui étoit né le matin ; Posthumius, après la mort de son pere, &c.

Le cognomen, surnom, étoit fondé 1°. sur les qualités de l’ame, dans lesquelles étoient renfermées les vertus, les mœurs, les Sciences, les belles actions. Ainsi Sophus marquoit la sagesse ; Pius, la piété ; Frugi, les bonnes mœurs ; Népos, Gurges, les mauvaises ; Publicola, l’amour du peuple ; Lépidus, Atticus, les agrémens de la parole ; Coriolanus, la prise de Coriole, &c. 2°. Sur les différentes parties du corps dont les imperfections étoient désignées par les surnoms. Crassus signifioit l’embonpoint ; Macer, la maigreur ; Cicero, Piso, le signe en forme de pois chiches qu’on portoit sur le visage.

L’usage des surnoms ne fut pas ordinaire dans les premiers tems de Rome, aucun des rois n’en eut de son vivant. Le surnom de Superbus que porta le der-