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M. Rousseau de Genève, dans son Discours sur l’origine & les fondemens de l’inégalité parmi les hommes (partie prem.) adopte un système tout opposé. « Chaque objet, dit-il, reçut d’abord un nom particulier, sans égard aux genres & aux especes, que ces premiers instituteurs n’étoient pas en état de distinguer ; & tous les individus se présenterent isolés à leur esprit comme ils le sont dans le tableau de la nature. Si un chêne s’appelloit A, un autre s’appelloit B… Les premiers substantifs n’ont pû jamais être que des noms propres ». L’auteur de la Lettre sur les sourds & muets est de même avis (pag. 4.) & Scaliger long-tems auparavant s’en étoit expliqué ainsi : Qui nomen imposuit rebus, individua nota priùs habuit quàm species. De caus. L. L. lib. IV. cap. xcj.

On ne doit pas être surpris que cette question ait fixé l’attention des Philosophes : la nomenclature est la base de tout langage ; les noms & les verbes en sont les principales parties. Cependant il me semble que les tentatives de la Philosophie ont eu à cet égard bien peu de succès, & que ni l’un ni l’autre des deux systèmes opposés ne résout la question d’une maniere satisfaisante.

Ce que l’on vient de remarquer sur l’étymologie des noms propres dans tous les idiomes connus, où il est constant qu’ils sont tous tirés de notions générales adaptées par accident à des individus, paroît confirmer la pensée de l’abbé Girard, que le premier objet de la nomenclature fut de distinguer les sortes ou les especes, & que ce ne fut qu’au second pas que l’on pensa à distinguer les individus compris sous chaque espece. Mais, comme le remarque très-bien M. Rousseau (loc. cit.) « pour ranger les êtres sous des dénominations communes & génériques, il en falloit connoître les propriétés & les différences ; il falloit des observations & des définitions, c’est-à-dire, de l’histoire naturelle & de la métaphysique, beaucoup plus que des hommes de ce tems-là n’en pouvoient avoir ».

Toute réelle & toute solide que cette difficulté peut être contre l’assertion de l’académicien, elle ne peut pas établir l’opinion du philosophe génevois. Il est lui-même obligé de convenir qu’il ne conçoit pas les moyens par lesquels les premiers nomenclateurs commencerent à étendre leurs idées & à généraliser leurs mots. C’est qu’en effet quelque système de formation qu’on imagine en supposant l’homme né muet, on ne peut qu’y rencontrer des difficultés insurmontables, & se convaincre de l’impossibilité que les langues ayent pû naître & s’établir par des moyens purement humains.

Le seul système qui puisse prévenir les objections de toute espece, est celui que j’ai établi au mot Langue (article j.) que Dieu donna tout-à-la-fois à nos premiers peres la faculté de parler & une langue toute faite. D’où il suit qu’il n’y a aucune priorité d’existence entre les deux especes de noms, quoique quelques appellatifs ayent cette priorité à l’égard de plusieurs noms propres : cependant il est certain que l’espece des noms propres doit avoir la priorité de nature à l’égard des appellatifs, parce que nos connoissances naturelles étant toutes expérimentales doivent commencer par les individus, qu’ils sont même les seuls objets réels de nos connoissances, & que les généralités, les abstractions ne sont pour ainsi dire que le méchanisme de notre raisonnement, & un artifice pour tirer partie de notre mémoire. Mais autre est notre maniere de penser, & autre la maniere de communiquer nos pensées. Pour abréger la communication, nous partons du point où nous sommes arrivés par degrés, & nous retournons de l’idée la plus simple à la plus composée par des additions successives qui ménagent la vûe de l’esprit ; c’est la

méthode de synthèse : pour acquérir ces notions, avant que de les communiquer, il nous a fallu décomposer les idées complexes pour parvenir aux plus simples qui sont & les plus générales & les plus faciles à saisir ; c’est la méthode d’analyse. Voyez Générique.

Ainsi, les mots qui ont la priorité dans l’ordre analytique, sont postérieurs dans l’ordre synthétique. Mais comme ces deux ordres sont inséparables, parce que parler & penser sont liés de la même maniere ; que parler c’est, pour ainsi dire, penser extérieurement, & que penser c’est parler intérieurement ; le Créateur en formant les hommes raisonnables, leur donna ensemble les deux instrumens de la raison, penser & parler : & si l’on sépare ce que le Créateur a uni si étroitement, on tombe dans des erreurs opposées, selon que l’on s’occupe de l’un des deux exclusivement à l’autre.

Les noms, de quelque espece qu’ils soient, sont susceptibles de genres, de nombres, de cas, & conséquemment soumis à la déclinaison : il suffit ici d’en faire la remarque, & de renvoyer aux articles qui traitent chacun de ces points grammaticaux.

(B. E. R. M.)

Nom, (Hist. génér.) appellation distinctive d’une race, d’une famille, & des individus de l’un & de l’autre sexe dans chaque famille.

On distingue en général deux sortes de noms parmi nous, le nom propre, & le nom de famille. Le nom propre, ou le nom de baptême, est celui que l’on met devant le surnom ou le nom de famille : comme Jean, Pierre, Louis, pour les hommes : Susanne, Thérese, Elisabeth, pour les femmes. Voyez Nom de baptême.

Le nom de famille est le nom qui appartient à toute la race, à toute la famille, qui se continue de pere en fils, & passe à toutes les branches ; tel est le nom de Bourbon. Il répond au patronymique des Grecs ; par exemple les descendans d’Eaque se nommoient Eacides. Les Romains appelloient ces noms généraux qui se donnent à toute la race, gentilitia.

Nous n’avons que des connoissances incertaines sur l’origine des noms & des surnoms ; & l’ouvrage de M. Gilles-André de la Roque, imprimé à Paris en 1681, in-12. n’a point débrouillé ce cahos par des exemples précis tirés de l’Histoire. Son livre est d’ailleurs d’une sécheresse ennuyeuse.

Dans les titres au dessus de l’an 1000, on ne trouve guere les personnes désignées autrement que par leur nom propre ou de baptême ; c’est de-là peut-être que les prélats ont retenu l’usage de ne signer que leur nom propre avec celui de leur évêché, parce que durant les siecles précédens on ne voyoit point d’autres souscriptions dans les conciles. Le commun peuple d’Angleterre n’avoit point de nom de famille ou de surnom avant le regne d’Edouard I. qui monta sur le trône en 975. Plusieurs familles n’en ont point encore dans le Holstein & dans quelques autres pays, où l’on n’est distingué que par le nom de baptême & par celui de son pere : Jacques, fils de Jean ; Pierre, fils de Paul.

On croit que les surnoms ou noms de famille ont commencé de n’être en usage en France que vers l’an 987, sur la fin de la lignée des Carlovingiens, où les nobles de France prirent des surnoms de leurs principaux fiefs, ou bien imposerent leurs noms à leurs fiefs, & même avec un usage fort confus. Les bourgeois & les serfs qui n’étoient pas capables de fief, prirent leurs surnoms du ministere auquel ils étoient employés, des lieux, des métairies qu’ils habitoient, des métiers qu’ils exerçoient, &c.

Matthieu, historiographe, prétend que les plus grandes familles ont oublié leurs premiers noms & surnoms, pour continuer ceux de leur partage, apa-