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sant que le noble à la rose, & prenant seulement de fin vingt-trois carats & demi.

Il y a eu aussi des nobles à la rose & des nobles-Henrys frappés en France pendant les guerres des Anglois, sur la fin du regne de Charles VI. & pendant les commencemens de Charles VII. Le noble-Henry avoit encore cours du tems de François I. & on tailloit 35 nobles-Henry au marc. Ce noble-Henry étoit grand & large environ comme un écu blanc, & avoit d’un côté pour figure un prince de son tronc avec une épée à la main, & de l’autre une croix au milieu de laquelle il y avoit une H, & tout autour de cette croix des petits lions couronnés. (D. J.)

NOBLESSE, (Gouvern. politiq.) On peut considérer la noblesse, avec le chancelier Bacon, en deux manieres, ou comme faisant partie d’un état, ou comme faisant une condition de particuliers.

Comme partie d’un état, toute monarchie où il n’y a point de noblesse est une pure tyrannie : la noblesse entre en quelque façon dans l’essence de la monarchie, dont la maxime fondamentale est, point de noblesse, point de monarque ; mais on a un despote comme en Turquie.

La noblesse tempere la souveraineté, & par sa propre splendeur accoutume les yeux du peuple à fixer & à soutenir l’éclat de la royauté sans en être effrayé. Une noblesse grande & puissante augmente la splendeur d’un prince, quoiqu’elle diminue son pouvoir quand elle est trop puissante. Il est bon pour le prince & pour la justice que la noblesse n’ait pas trop de puissance, & qu’elle se conserve cependant une grandeur estimable & propre à réprimer l’insolence populaire, & l’empêcher d’attaquer la majesté du trône. Dans un état monarchique, le pouvoir intermédiaire subordonné le plus naturel, est celui de la noblesse ; abolissez ses prérogatives, vous aurez bientôt un état populaire, ou bien un état despotique.

L’honneur gouverne la noblesse, en lui prescrivant l’obéissance aux volontés du prince ; mais cet honneur lui dicte en même tems que le prince ne doit jamais lui commander une action deshonorante. Il n’y a rien que l’honneur prescrive plus à la noblesse, que de servir le prince à la guerre : c’est la profession distinguée qui convient aux nobles, parce que ses hasards, ses succès & ses malheurs mêmes, conduisent à la grandeur.

Il faut donc que dans une monarchie les lois travaillent à soutenir la noblesse & à la rendre héréditaire, non pas pour être le terme entre le pouvoir du prince & la foiblesse du peuple, mais pour être le lien de tous les deux. Les prérogatives accordées à la noblesse lui seront particulieres dans la monarchie, & ne passeront point au peuple, si l’on ne veut choquer le principe du gouvernement, si l’on ne veut diminuer la force de la noblesse & celle du peuple. Cependant une noblesse trop nombreuse rend d’ordinaire un état monarchique moins puissant ; car outre que c’est une surcharge de dépenses, il arrive que la plûpart des nobles deviennent pauvres avec le tems, ce qui fait une espece de disproportion entre les honneurs & les biens.

La noblesse dans l’aristocratie tend toujours à jouir d’une autorité sans bornes ; c’est pourquoi lorsque les nobles y sont en grand nombre, il faut un sénat qui regle les affaires que le corps des nobles ne sauroit décider, & qui prépare celles dont il décide. Autant il est aisé au corps des nobles de réprimer les autres dans l’aristocratie, autant est-il difficile qu’il se réprime lui-même : telle est la nature de cette constitution, qu’il semble qu’elle mette les mêmes gens sous la puissance des lois & qu’elle les en retire. Or un corps pareil ne peut se réprimer que de deux manieres, ou par une grande vertu, qui fait que les nobles se trouvent en quelque façon

égaux à leur peuple, ce qui peut former une sorte de république ; ou par une vertu moindre, qui est une certaine modération qui rend les nobles au moins égaux à eux-mêmes, ce qui fait leur conservation.

La pauvreté extrème des nobles & leurs richesses exorbitantes, sont deux choses pernicieuses dans l’aristocratie. Pour prévenir leur pauvreté, il faut sur-tout les obliger de bonne heure à payer leurs dettes. Pour modérer leurs richesses, il faut des dispositions sages & insensibles, non pas des confiscations, des lois agraires, ni des abolitions de dettes, qui font des maux infinis.

Dans l’aristocratie, les lois doivent ôter le droit d’aînesse entre les nobles, comme il est établi à Venise, afin que par le partage continuel des successions les fortunes se remettent toujours dans l’égalité. Il ne faut point par conséquent de substitutions, de retraits lignagers, de majorats, d’adoptions : en un mot, tous les moyens inventés pour soutenir la noblesse dans les états monarchiques, tendroient à établir la tyrannie dans l’aristocratie.

Quand les lois ont égalisé les familles, il leur reste à maintenir l’union entr’elles. Les différends des nobles doivent être promptement décidés, sans cela les contestations entre les personnes deviennent des contestations entre les familles. Des arbitres peuvent terminer les procès ou les empêcher de naître.

Enfin il ne faut point que les lois favorisent les distinctions que la vanité met entre les familles, sous prétexte qu’elles sont plus nobles & plus anciennes ; cela doit être mis au rang des petitesses des particuliers.

Les démocraties n’ont pas besoin de noblesse, elles sont même plus tranquilles quand il n’y a pas de familles nobles ; car alors on regarde à la chose proposée, & non pas à celui qui la propose ; ou quand il arrive qu’on y regarde, ce n’est qu’autant qu’il peut être utile pour l’affaire, & non pas pour ses armes & sa généalogie. La république des Suisses, par exemple, se soutient fort bien, malgré la diversité de religion & de cantons, parce que l’utilité & non pas le respect, fait son lien. Le gouvernement des Provinces-Unies a cet avantage, que l’égalité dans les personnes produit l’égalité dans les conseils, & fait que les taxes & les contributions sont payées de meilleure volonté.

A l’égard de la noblesse dans les particuliers, on a une espece de respect pour un vieux château ou pour un bâtiment qui a résisté au tems, ou même pour un bel & grand arbre qui est frais & entier malgré sa vieillesse. Combien en doit-on plus avoir pour une noble & ancienne famille qui s’est maintenue contre les orages des tems ? La noblesse nouvelle est l’ouvrage du pouvoir du prince, mais l’ancienne est l’ouvrage du tems seul : celle-ci inspire plus de talens, l’autre plus de grandeur d’ame.

Ceux qui sont les premiers élevés à la noblesse, ont ordinairement plus de génie, mais moins d’innocence que leurs descendans. La route des honneurs est coupée de petits sentiers tortueux que l’on suit souvent plûtôt que de prendre le chemin de la droiture.

Une naissance noble étouffe communément l’industrie & l’émulation. Les nobles n’ont pas tant de chemin à faire que les autres pour monter aux plus hauts degrés ; & celui qui est arrêté tandis que les autres montent, a connu pour l’ordinaire des mouvemens d’envie. Mais la noblesse étant dans la possession de jouir des honneurs, cette possession éteint l’envie qu’on lui porteroit si elle en jouissoit nouvellement. Les rois qui peuvent choisir dans leur noblesse des gens prudens & capables, trouvent en les employant beaucoup d’avantages & de facilité : le peuple se plie naturellement sous eux, comme sous