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clair, & transparent, bien dégraissé & bien purgé de sel.

Il est à desirer qu’on laisse le salpêtre six mois & même un an, s’il se peut, sur des planches exposé au nord, & qu’on le retourne de tems en tems pour le bien faire sécher, & pendant ce tems lui donner lieu de se décharger du reste de la graisse que le rafinage n’a pu lui ôter entierement, & dont l’air dissipe une partie.

Pour connoître si les salpêtres sont gras ou salés, il en faut faire brûler & mettre une poignée sur une planche de chêne, & poser un charbon ardent dessus ; si en brûlant il petille, cela marque le sel ; & s’il est pesant & que le feu ait de la peine à s’élever, & que l’on voye un bouillon épais, cela marque la graisse ; & quand il est de bonne qualité, qu’il n’est ni gras ni salé, il jette une flamme qui s’éleve avec ardeur & qui consume le salpêtre, ensorte qu’il n’y reste qu’un peu de blanc qui est le fixe du salpêtre. S. Remy, Traité d’artillerie.

Ce que l’auteur appelle un peu de blanc d’œuf est la base alkaline ou alkali fixe du nitre, vulgairement appellé nitre fixé, dont il sera question plus bas.

Dans la fabrique de salpêtre de Montpellier & dans toutes celles du bas Languedoc, on lessive les terres & gravois sans mélange ; on concentre assez considérablement la lessive qu’on en retire, & on la fait ensuite passer à travers une couche épaisse de cendre de tamarisc qui ne contient pas un atome d’alkali fixe, comme l’a démontré M. Montet, célebre chimiste de la société royale des Sciences.

Dans plusieurs fabriques & notamment en Allemagne, on emploie de la chaux vive conjointement avec les cendres dans la préparation du salpêtre.

Le suc ou la décoction de toutes les plantes qui donnent de l’alkali fixe de tartre par l’incinération, étant putréfié ou dégraissé par la chaux vive, selon le procédé de M. Boulduc, Académie royale des Sciences 1734, donnent du nitre parfait, & plusieurs même de ces sucs ou décoctions étant convenablement rapprochées, sans avoir été précédemment dégraissées par la chaux & sans avoir subi la putréfaction, en donnent abondamment, & cela dans quelque terrein qu’elles ayent crû & végété. Ces deux assertions sont démontrées ou du moins démontrables, malgré la prétention contraire du célebre Stahl ; & quant à ce qu’un célebre chimiste moderne (M. Baron, notes sur Lemery) avance, savoir que le sel essentiel de quelques plantes est un tartre vitriolé, ou du sel commun ; l’expérience, les recherches de détail apprennent que le tartre vitriolé est extrèmement rare, c’est à dire en infiniment petite quantité, dans un infiniment petit nombre de plantes ; que le sel marin s’y trouve à la vérité assez communément, mais avec le nitre, & avec le nitre presque par tout dominant, & qu’on ne l’a point encore observé seul ou sans nitre.

Si ce qu’on nous rapporte du salpêtre des Indes est vrai, c’est à dire qu’on le ramasse tout formé, voilà un nitre naturel, un nitre de houssage très-parfait.

Tout le nitre de houssage que j’ai vû, & j’en ai vû beaucoup, & en divers lieux, étoit du nitre parfait : je ne sai même si du nitre de houssage, c’est-à-dire crystallisé, à base terreuse, est possible ; ou plutôt les propriétés de cette espece de nitre observée jusqu’à présent prouvent que son efflorescence, sa crystallisation spontanée est impossible. Quant à la base alkali-volatile qu’on voudroit lui supposer, on peut hardiment avancer que, malgré les expériences de M. Lemery le fils, une pareille base n’est rien moins que démontrée même dans quelque petite portion du nitre crud ou naturel.

On ne trouve que très-peu de nitre dans l’intérieur de la terre. Si des expériences ultérieures démontroient un peu de nitre dans certaines pierres, quelques couches de marne, de glaise &c. a plus de 50 piés de profondeur, &c. si on ne peut douter d’après les expériences de M. Margraf (Mém. de Berlin 1751) que quelques eaux de puits, & d’après mes propres expériences, que quelques eaux minérales ne contiennent un peu de nitre, cela ne prouve rien contre cette assertion générale, savoir que le lieu propre du nitre, ou du moins sa source propre, légitime, essentielle est la surface de la terre. La rareté & la paucité de ce sel dans les entrailles de la terre, aussi bien que la facilité avec laquelle il peut y être porté par diverses causes accidentelles, concourent à établir cette vérité.

Les chimistes modernes ne daignent plus combattre la chimere du nitre aérien. La très petite quantité du nitre que M. Margraf a trouvée dans l’eau de pluie, où ce chimiste a découvert aussi du sel commun & une terre subtile, ne prouvent ni un nitre aérien, ni un sel comme aérien, ni une terre comme aërienne ; ils indiquent seulement très-vraissemblablement que l’eau élevée dans l’atmosphere peut volatiliser avec elle une très-foible quantité de ces substances. Les aimans apposés au nitre dans les lieux exposés à l’influence très-libre de l’air, & d’ailleurs isolés ou n’ayant point de communication avec d’autres sources observées du nitre, n’en ont jamais attiré un atome.

Nul chimiste n’a retiré jusqu’à présent du nitre des substances animales. Quoiqu’il paroisse hors de doute que les animaux qui vivent entierement ou principalement de végétaux, doivent recevoir de ces alimens une bonne quantité de nitre & de nitre parfait. Tout ce qu’avance sur ce point Lemery le fils dans ses mémoires sur le nitre (Acad. royale des Sciences 1717) n’est fondé que sur des raisonnemens, sur des prétentions. Son nitre à base volatile ou sel ammoniac nitreux animal n’est rien moins que démontré même dans l’urine & les excrémens, tant des hommes que des brutes, qui sont cependant les matieres qui paroissent concourir le plus efficacement & le plus généralement à la formation du nitre. Mais il faut convenir aussi que les expériences par lesquelles on pourroit définitivement établir ou nier l’existence de cet être, n’ont pas été tentées, du moins publiées, quoique ces expériences soient simples, faciles, & qu’elles puissent être démonstratives.

Nous pouvons, en attendant, du petit nombre de faits que nous venons de rapporter, 1°. conclure raisonnablement sur l’origine du nitre, que les végétaux seuls le fournissent manifestement, que la terre, ou le regne minéral n’en fournit point ; que l’air n’en contient point ; & qu’il est douteux que les substances animales, que les excrémens mêmes des animaux en contiennent. Cette conclusion, cette vérité doit précéder toutes les inductions qu’on voudroit tirer des lieux d’où on retire vulgairement le nitre, & de l’influence que les excrémens des animaux semblent avoir sur sa génération. Il faut l’admettre, & examiner ensuite si cette influence des matieres animales est nécessairement matérielle, si elles concourent comme apportant dans les matrices qu’elles impregnent le nitre ou ses matériaux ; ou bien si elles ne servent pas uniquement & toujours de simple instrument ; par exemple, en excitant & entretenant une putréfaction qui dégage le nitre contenu dans les substances végétales, étant connu d’ailleurs que la putréfaction excitée sponte & sans ferment animal dans les substances végétales, dégage très-efficacement le nitre embarrassé dans les sucs végétaux & éminemment dans