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se fait ordinairement qu’en cinq jours.

Cette cuite de seize cuviers peut produire 100 ou 120 livres de salpêtre, quelquefois 140, selon la qualité des terres ; & pour le sel, la quantité n’en est point réglée, quelquefois on en tire 15, 20 & 30 livres, & même 40 ; aussi se rencontre-t-il des terres dont on n’en tire point, mais cela est rare.

Quand le salpetrier veut frauder pour le sel, il fait si bien, malgré tous les gardes qu’on aura postés pour l’observer, qu’il ne paroîtra point de sel dans sa cuite, soit en brouillant & retirant brusquement son eau, & la portant dans les bassins sans la passer dans le rapuroir, soit en y jettant une chandelle qui à la vérité ne gâtera point la cuite, mais qui fera élever le sel dans l’eau & l’empêchera d’aller au fond.

Il se sert encore d’un autre moyen pour cacher le sel ; il jette un quarteron de colle-forte dans la chaudiere, ce qui fait élever le sel dans l’écume, en sorte qu’on ne sauroit plus le trouver, & que l’eau est claire & belle comme de l’eau de roche ; il ne met point aussi cette eau dans le rapuroir, & il ne se soucie pas de jetter l’écume, car elle se retrouve dans les terres qu’il amende ; en maniant l’écume avec la main, on la sent graveleuse & pleine de sel.

Il faut encore observer que quand l’eau est dans le rapuroir, il reste du sel dans le fond, pourvû qu’on l’y laisse trois quarts-d’heure ou une heure ; ce sel est néanmoins couvert de la saleté de la cuite, & ne peut se manger, on le jette sur les terres.

Le salpêtre brut étant ainsi achevé, on le met ainsi en égoût, & l’on panche les bassins où il est ; l’eau qui en provient s’appelle les eaux meres, nommées par les salpétriers ameres, & elles servent à recharger les cuviers que l’on a renouvellés de terre neuve, l’on en met un petit seau sur deux ou trois cuviers.

Tous les quinze jours le samedi l’on reçoit à la rafinerie les salpêtres bruts que les salpétriers de Paris apportent de leurs atteliers, qui leur est payé par l’entrepreneur à raison de 5 sols la livre.

Ils rapportent aussi le sel qu’a produit leur salpêtre en le faisant, & il leur est payé par l’entrepreneur sur le pié de 2 sols la livre.

Le lundi suivant est destiné pour submerger le sel, car on le jette dans la riviere en présence des officiers & gardes des gabelles, afin que personne n’en profite.

Pour avoir de bonnes terres amendées & ce qu’on appelle réanimées, il faut faire en sorte que la terre qui a servi dans les cuviers soit seche, & pour cela il la faut mettre à couvert, & quand elle sera seche, l’étendre un pié d’épais sous le hangard & l’arroser ; prendre pour cela les écumes & les rapurages, les eaux meres ou ameres, & y mettre moitié eau qui ait passé, s’il se peut, sur les cuviers après que le relavage est fait ; l’arroser de pié en pié jusqu’à la hauteur que l’on pourra ; il faut détremper auparavant les écumes dans l’eau, que cela ne soit point épais, parce que la terre ne s’humectera pas si facilement.

Quinze jours après qu’elle aura été arrosée, il la faut jetter d’un autre côté, & la changer de place, afin qu’elle se mêle mieux & en devienne meilleure, un mois après la changer encore de place & continuer deux ou trois fois, après quoi l’on pourra s’en servir, sur-tout prendre bien garde de ne la point endurcir en la piétinant, ce qui l’empêcheroit de s’amender si vîte ; & pour éviter de la piétiner, il n’y a qu’à y mettre une planche qui n’appuie pas dessus, mais qui soit soutenue par les deux bouts avec deux pierres ou deux morceaux de bois.

Il faut que les hangards ne soient clos que par les

deux bouts pour soutenir seulement la terre, & laisser le jour du côté où le soleil donne ; si les hangards sont faits contre la muraille, il ne faut pas qu’ils soient fermés par les deux bouts.

N’ayant point de terre qui ait servi aux salpêtres, il faut prendre des gravois de plâtre de démolitions, les faire casser comme ceux que l’on met dans les cuviers, ils sont fort propres à amender promptement attendu qu’ils sont secs.

Les terres amendées peuvent toujours servir à l’infini, de sorte qu’au moyen de ces terres on ne manquera jamais de salpêtre.

Les Salpétriers ayant livré leur salpêtre brut, l’on jette ce salpêtre dans la chaudiere destinée pour cet usage, qui est disposée comme l’autre sur un fourneau. On y en met 2 mille 2 ou 3 cens pesant à chaque fois, & par-dessus trois bardées que l’on appelle ou trois demi-muids d’eau.

Quand le salpêtre est fondu, ce qui se fait en deux ou trois heures, l’on jette dedans une cruchée de blanc d’œufs, ce qui coûte à l’Hôtel-Dieu 6 sols la pinte, ou de la colle de poisson, ou une certaine dose de vinaigre ou d’alun.

On y ajoute une bardée d’eau qui fait la quatrieme en plusieurs fois, afin de faire surmonter la graisse & l’ordure qui s’écument soigneusement ; & après en avoir bien nettoyé la superficie, en sorte qu’il ne reste plus d’écume, on tire aussi-tôt le salpêtre, & on le met tout-d’un-coup dans des bassins où on le laisse congeler pendant cinq ou six jours, après quoi on place les bassins sur des trétaux pour les faire égoutter sur des recettes, & l’eau qui en provient se jette encore une fois dans la chaudiere pour la faire bouillir jusqu’à ce que le sel se produise au fond & que la fonte soit parfaite.

Il s’en tire 15 ou 20 livres, quelquefois plus, ce qui n’a point de regle ; la raison de cela est que quand on a travaillé le salpêtre brut avec soin, & que l’on a tiré beaucoup de sel dans cette premiere fabrication, il ne s’en peut pas tant trouver dans le rafinage.

C’est dans ces deux premieres cuites-là que l’on tire tout le sel qui peut être dans le salpêtre, car il se fait encore un troisieme cuite de la même maniere que la précédente : mais aux eaux de cette derniere il ne doit point se trouver de sel, & quand il s’y en trouve, c’est que le salpêtre est mal rafiné.

De la premiere cuite sort le salpêtre brut.

La seconde produit le salpêtre appellé de deux eaux.

La troisieme fait le salpêtre de trois eaux en glace.

Si l’on veut mettre le salpêtre en roche, on le fond sans eau, & si-tôt qu’il est fondu, on le tire & on le laisse refroidir.

Il y a des gens qui mettent leurs blancs d’œufs en deux fois, leur cruche est de huit pintes, ils en mettent les deux tiers dans la seconde cuite, & l’autre tiers dans la troisieme, après les avoir battus avec un petit balai & délayés avec de l’eau petit à petit.

A la rafinerie de Paris l’on use 18 pintes de blancs d’œufs par jour sur cinq milliers de salpêtre, ce qui fait 5 liv. 8 sols de dépense par jour.

Voilà tout ce qui peut regarder la fabrication du salpêtre.

On prétend que le salpêtre étant rafiné, diminue d’un peu plus d’un quart ; par exemple, un cent de salpêtre brut ne rendra que 72 livres de salpêtre rafiné de deux fontes de rafinage, & le reste sera sel, graisse, sable & boue.

La bonne qualité du salpêtre est d’être dur, blanc,