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tiques, auxquelles le prince n’eut d’autre part que la sanction pour leur donner force de lois. Ils fixerent la doctrine en adoptant la confession des églises réformées de la Suisse. Leurs nouveaux pasteurs commencerent à former un corps à qui les peuples confierent le dépôt de la prédication & de la discipline. Ce corps, qu’on appelle la classe, examine les candidats pour le saint ministere, leur donne les ordres sacrés, élit les pasteurs pour les églises de la campagne, suspend, dépose, dégrade même ses membres sans que l’autorité civile y intervienne. Personne n’assiste de la part du prince dans ces assemblées. Un pasteur, nouvellement élu, est simplement présenté au gouverneur du pays, qui ne peut se dispenser de le confirmer & de l’invêtir du temporel de son bénéfice à moins qu’il n’en ait des raisons très-fortes. Les seules cures des villages catholiques sont à la nomination du souverain. Lorsqu’il en vaque une dans la capitale, la classe nomme & présente trois sujets au conseil de ville qui en choisit un.

On a déja insinué que les peuples de la souveraineté de Neuchatel jouissent de divers droits qui, par rapport à eux, restreignent l’autorité du prince plus qu’elle ne l’est peut-être dans aucun des états de l’Europe. Les anciens comtes, possesseurs d’un pays inculte, couvert de rochers & de forêts, habité par un petit nombre de serfs, selon la coutume barbare du gouvernement féodal, comprirent aisément que le plus sûr moyen de peupler leur état, & conséquemment d’augmenter leur puissance, étoit d’un côté d’en affranchir les habitans actuels, & de l’autre d’accorder de grands privileges à ceux qui viendroient s’y établir. Ils en firent même un asyle & promirent leur protection à quiconque s’y réfugieroit. Le succès répondit à leur attente. Les habitans de la capitale, devenus plus nombreux, formerent un corps, prirent le nom de bourgeois de Neuchatel, qualité que six semaines de résidence en ville procuroient alors à tout étranger, & obtinrent de leurs souverains ces concessions précieuses dont les titres & les effets subsistent encore aujourd’hui. On voit par le texte même de ces actes, qu’ils ne furent autre chose sinon des contrats, des conventions entre le prince & les sujets. Ceux-ci eurent soin d’en exiger la confirmation solemnelle à chaque changement de maître. Plusieurs souverains les amplifierent encore successivement tant en privileges ou exemptions qu’en droits utiles. A mesure que le pays se peupla, il s’y forma sur le modele de la capitale de nouveaux corps de bourgeoisies, tels sont ceux de Landeron, de Boudry & de Valengin, qui tous obtinrent des concessions de leurs princes communs. Les habitans de chaque village furent aussi érigés en communautés, à qui l’on donna des terres & des forêts pour les mettre en état de se soutenir dans leurs nouveaux établissemens. On observera ici que, selon la Jurisprudence féodale, toutes les terres étoient censées appartenir au seigneur qui, pour favoriser la population, en céda la plus grande partie à ses nouveaux sujets moyennant de légeres redevances. On remarquera encore que, soit par la faveur des princes, soit par l’usage, la plus sacrée de toutes les lois dans un pays de coutume tel que celui de Neuchatel, plusieurs privileges accordés originairement à des corps particuliers, sont devenus communs à tous les sujets qui en jouissent également aujourd’hui. Les bourgeois de Neuchatel n’habitoient pas tous dans la capitale, on les partagea en deux classes, les internes & les externes ; distinction locale dans son origine, mais devenue réelle depuis que les princes ont, en faveur de la résidence en ville, accordé aux premiers certains droits utiles dont les seconds ne jouissent pas. Toutes ces bourgeoisies dont on a

parlé, ont leurs chefs, leurs magistrats, leurs conseils particuliers, avec le droit de s’assembler librement dans tous les tems pour délibérer sur leurs affaires de police intérieure & de finances, & sur les moyens de s’assurer la conservation de leurs privileges respectifs. Le gouvernement de ces corps est purement populaire. Les chefs subordonnés à l’assemblée générale ne peuvent se dispenser de lui communiquer les affaires importantes & de prendre ses ordres. La bourgeoisie de Neuchatel élit un magistrat particulier, appellé le banneret, qui, par son emploi, est le protecteur des bourgeois & le défenseur de leurs privileges.

L’époque de 1707 fut essentielle pour le droit public de l’état de Neuchatel. Les peuples avoient eu quelquefois des différends avec leurs souverains touchant certains droits qu’on leur contestoit. Pour se les assurer irrévocablement, ils profiterent d’un événement qui leur procuroit une sorte d’indépendance ; & se trouvant par la mort de Made. la duchesse de Nemours sans souverain reconnu, ils résolurent de travailler à fixer pour toûjours la juste étendue de leurs divers privileges, & à en obtenir une confirmation solemnelle. On réduisit donc tous ces privileges sous certains chefs généraux, on en forma un code abrégé de droit public. L’ouvrage fut approuvé par les corps & les communautés de l’état, qui s’unirent alors par un acte exprès d’association générale pour la défense de leurs droits. Ce code fut présenté à tous ceux des prétendans à la souveraineté que la sentence éventuelle pouvoit regarder, on le leur fit envisager comme un préliminaire essentiel, comme une condition sans laquelle les peuples ne se soumettroient point à leur nouveau maître. Tous se hâterent de le signer & promirent d’en observer exactement les articles, au cas que la sentence souveraine leur adjugeât la principauté. Cet engagement fut confirmé publiquement par M. le comte de Meternich, plénipotentiaire de S. M. le roi de Prusse, après que les trois états eurent prononcé en faveur de ce monarque. Ce code qu’on peut appeller les pacta conventa des peuples de l’état de Neuchatel avec leurs souverains, est divisé en articles généraux qui comprennent les droits communs à tous les sujets, & en articles particuliers qui intéressent uniquement les bourgeois de Neuchatel & ceux de Valengin. Sans entrer dans un détail qui meneroit trop loin, on se contentera de présenter les droits qui influent le plus directement sur la liberté des peuples, après avoir fait quelques observations sur les principes du gouvernement du pays en général.

La puissance du prince de Neuchatel se trouvant, comme on vient de le dire, limitée par ses engagemens avec ses sujets, les divers droits qui appartiennent à tout souverain doivent être divisés en deux classes : l’une comprend ceux que le prince s’est réservé ; l’autre, ceux dont il s’est dépouillé en faveur des peuples. Par rapport à ces derniers, la constitution fondamentale est que la souveraineté de l’état est toûjours censée résider dans l’état même ; c’est-à-dire, que le conseil d’état du pays qui le gouverne au nom du prince, & auquel le gouverneur préside, est autorisé, dans tous les cas qui se présentent & sans avoir besoin de prendre de nouveaux ordres, à conserver aux peuples l’exercice des privileges dont ils jouissent, & à faire observer tout ce que contiennent les articles généraux & particuliers. C’est même le principal objet du serment que prêtent tous ceux qui, par leurs emplois, sont appellés à prendre part aux affaires publiques. On comprend aisément que cette précaution étoit indispensable pour un pays où le souverain ne fait pas sa résidence ordinaire, & pour des peuples qui jouissent de divers droits précieux. Ils ne peuvent avoir les yeux