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tuellement le palais royal de Madrid. Rien ne manquera sans doute au bonheur de ce peuple désavantageusement placé, il est vrai ; mais éclairé, libre & jouissant d’une paix profonde, aussi long-tems que le luxe, l’humeur processive, & l’envie de disputer, même sur des questions théologiques, ne banniront pas de son sein la simplicité de mœurs, la candeur naïve, & l’union qui caractérisent ordinairement les habitans des montagnes.

Outre le Doux, qui coule le long d’une partie du Ima, & sépare la principauté de Neuchâtel de la Franche-comté, les principales rivieres de cet état sont la Thiéle, la Reuze & la Serriere. La Thiéle a sa source dans le pays de Vaud ; elle entre auprès d’Yverdun dans le lac de Neuchâtel, le traverse en toute sa longueur, arrose la partie orientale du pays, la sépare du canton de Berne, traverse de même le lac de Biedne, en sort sans changer de nom, & se jette enfin dans l’Aar, auprès de la ville de Buren. La source de la Reuze est dans la partie occidentale du val de Travers. Elle le baigne en entier, se précipite ensuite dans des abîmes profonds, reprend un cours plus tranquille, & se jette dans le lac. On ne feroit pas mention ici de la Serriere, si elle ne présentoit pas une singularité assez rare. Sa source n’est pas éloignée de plus de deux portées de fusil du lac où est son embouchure. Elle sort avec impétuosité du pié d’une montagne, & roule assez d’eau pour mettre en mouvement à 20 pas de-là des rouages considérables. Son cours en est couvert ; on y voit des tireries de fer, des papeteries, des martinets pour les fonderies de cuivre, des moulins à blé & à planche.

Le comté de Neuchâtel est divisé en plusieurs jurisdictions, dont les unes portent le titre de châtellenie, & les autres celui de mairies. Les premieres sont au nombre de quatre, celles de Lauderon, de Boudry, du val de Travers, & de Thiéle. Il y a dix mairies ; celle de la capitale, de la Côte, de Rochefort, de Boudevilliers, de Colombier, de Costaillods, de Bevaix, de Linietes, de Verrieres, & de la Bréoine. Le comté de Valengin en a cinq : celles de Valengin, du Locle, de la Sagne, de Brenets & de la Chaux-de-fond. Les chefs de toutes ces jurisdictions sont à la nomination du prince ; les vasseaux qui possédent les baronies de Travers, de Gorgier, & de Vaux-Marcus, ont aussi leurs officiers particuliers. Les lieux les plus remarquables du pays, sont Neuchâtel, capitale, dont on parlera séparément ; le Landeron & Boudry, petites villes, le bourg de Valengin, capitale de la seigneurie de ce nom, & Motiers, le plus considérable des villages du val de Travers. On voit près de chacun de ces lieux d’anciens châteaux qui servent aujourd’hui de prison. Les principaux villages des montagnes sont le Locle, & la Chaux-de-fond. Chacun d’eux contient plus de 2000 ames. Les maisons qui les composent sont pour la plupart éloignées les unes des autres, & dispersées sur un terrain d’environ deux lieues de long. Près du Locle est un rocher au-travers duquel une source d’eau assez abondante s’étant frayé un passage, deux paysans ont su pratiquer dans les cavités intérieures trois moulins perpendiculaires, dont le plus profond est à 300 piés au-dessous du niveau du terrain. On conjecture avec assez de vraissemblance, que cette source, après avoir coulé sous terre l’espace de plusieurs lieues, en sort pour former la Serriere dont on a parlé.

L’histoire naturelle de la principauté de Neuchâtel fournit divers objets intéressans pour tous ceux à qui cette étude est chere. Les montagnes sont couvertes de simples dont on fait le thé suisse & l’eau vulnéraire, il y en a des especes très-rares. M. le docteur d’Yvernois, médecin du roi dans cette sou-

veraineté, & botaniste célebre, en a donné une savante

description dans le journal helvétique, qui s’imprime à Neuchâtel. Le pays abonde en eaux minérales, que leurs vertus font rechercher. Celles de la Brévine sont martiales & ochreuses ; celles de Motiers, marneuses, savonneuses, & sulphureuses ; celles de Couvet, spiritueuses & ferrugineuses. Il n’est peut-être aucun lieu dans l’Europe où sur un terrain aussi peu étendu, l’on trouve une si grande quantité de coquillages fossilles & de plantes marines pétrifiées. Ces curiosités naturelles remplissent les rochers & les terres marneuses, dont le pays abonde. On en découvre à toutes hauteurs depuis le bord du lac jusqu’au sommet des montagnes les plus élevées. Au haut de celle qui sépare la capitale du bourg de Valengin, se voit un rocher d’une étendue considérable, & qui n’est qu’un assemblage de turbinites placés en tout sens, & liés par une espece de tuf crystallisé. On distingue dans d’autres lieux des pierres jaunes qui, par la quantité immense de petits coquillages & de plantes marines qui s’y découvrent à l’œil & avec le secours de la loupe, donnent lieu de croire que ce n’est peut-être autre chose, sinon de ce limon qui couvre le fond de la mer, & qui s’est pétrifié. Il seroit difficile d’épuiser la liste de cette multitude innombrable de testacées, univalves, bivalves, multivalves, de lithophytes, de zoophytes, de glossopetres, & de corps marins de toutes especes, dont ce pays-là est rempli. On pourra en prendre une idée dans le traité des pétrifications du savant M. Bourguet, mort professeur de Philosophie à Neuchâtel. Les dendrites, les échinites à mamelons, les cornes d’Ammon de toutes les especes, & dont quelques-uns sont d’une grosseur prodigieuse, ornent principalement les cabinets des curieux. Enfin divers lieux de la principauté présentent des gypses singuliers, lisses & à stries, & des cavernes ornées de stalactites, dont la plus remarquable est près de la ville de Boudry.

Le principal produit du pays de Neuchâtel consiste en vins ; on nourrit un grand nombre de bestiaux dans la partie supérieure. Les terres marneuses servent d’engrais pour les prairies. Le lac qui porte le nom de cette principauté est extrèmement poissonneux. La pêche des truites, qui en autonne remontent la riviere de Reuze, forme un revenu pour le prince, & un objet de commerce pour les particuliers. Le gibier des montagnes est excellent, mais assez rare aujourd’hui, parce que les habitans qui, jusqu’au dernier, ont le privilege de chasser en tous lieux & dans toutes les saisons, en abusent, & le rendront illusoire s’ils continuent à l’exercer avec aussi peu de prudence qu’ils le font actuellement. Ce petit état est très-peuplé proportionnément à son étendue ; & quoique plusieurs Neuchâtelois s’expatrient volontairement pour un tems en vue de travailler plus aisément à leur fortune dans l’étranger, on y compte encore plus de 32000 ames. Les simples villages sont pour la plûpart grands & bien bâtis. Tout annonce l’aisance dans laquelle vivent les habitans. On n’en sera point surpris, si l’on considere que ces peuples jouissent d’une paix qui n’a point été troublée depuis plusieurs siecles, qu’ils vivent dans une liberté raisonnable pour le spirituel, comme pour le temporel, & qu’ils ne payent ni tailles, ni impôts.

Les maisons de Neuchâtel, de Fribourg, de Hochberg, d’Orléans-Longueville, & de Brandebourg, ont possédé successivement la principauté dont il est question. L’origine de la premiere est très-ancienne ; sa généalogie suit de pere en fils depuis Hulderic, qui épousa Berthe, en 1179. Louis, dernier prince de cette maison, ne laissa que deux filles ; Isabelle, l’aînée, mourut sans enfans ; Varenne, la cadette,