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prendroit en vie. Le poëte Eschile courut lui-même un très-grand danger pour avoir touché quelque chose des mysteres de Cérès dans une de ses tragédies.

Il y a plus, Alcibiade au rapport de Plutarque, fut condamné à mort par contumace « pour avoir commis un sacrilege envers Cérès, en contrefaisant ses saints mysteres, & en les montrant à ses camarades dans la maison, comme fait le hyérophante lorsqu’il montre les choses saintes, se nommant lui même le grand prêtre, donnant à Polition le nom de porte-flambeau, à Théodore celui de héraut, & à ses autres camarades, celui d’initiés ou de confreres, contre les lois établies par les Eumolpides, & par les prêtres du temple de la sainte Eleusis ; pour punition duquel crime le peuple l’a condamné à mort, a confisqué tous ses biens, & a enjoint à tous les prêtres & à toutes les prêtresses de la maudire ».

Voilà la teneur de l’arrêt contre ce grand capitaine, qui n’étoit vraissemblablement que trop coupable du crime pour lequel il étoit condamné. Cependant une seule prêtresse eut le courage de s’opposer à ce decret, & allégua pour unique raison de son opposition, qu’elle étoit prêtresse pour benir & non pas pour maudire, mot admirable qui devroit servir d’épigraphe à tous les temples du monde.

Je n’ose décider s’il nous reste quelque monument de l’antiquité qui représente les mysteres, mais du-moins la savante dissertation que M. de Boze a donnée dans les mém. des Belles Lettres, d’un tombeau de marbre antique, sur lequel cet habile homme trouvoit la représentation des mysteres de Céres, passera toujours pour une conjecture des plus ingénieuses dans l’esprit des personnes mêmes qui-ne seront pas de son avis. (D. J.)

Mysteres de la passion, (Théat. françois.) terme consacré aux farces pieuses, jouées autrefois sur nos théatres, & dont on a déja parlé sous les mots Comédie sainte & Moralité ; mais il falloit en développer l’origine.

Il est certain que les pélerinages introduisirent ces spectacles de dévotion. Ceux qui revenoient de la Terre sainte, de sainte-Reine, du mont Saint-Michel, de Notre-Dame du Puy, & d’autres lieux semblables, composoient des cantiques sur leurs voyages, auxquels ils mêloient le récit de la vie & de la mort de Jesus-Christ, d’une maniere véritablement très-grossiere, mais que la simplicité de ces tems-là sembloit rendre pathétique. Ils chantoient les miracles des saints, leur martyre, & certaines fables à qui la créance des peuples donnoit le nom de visions. Ces pélerins allant par troupes, & s’arrêtant dans les places publiques, où ils chantoient le bourdon à la main, le chapeau, & le mantelet chargé de coquilles & d’images peintes de différentes couleurs, faisoient une espece de spectacle qui plut, & qui excita quelques bourgeois de Paris à former des fonds pour élever dans un lieu propre, un théatre où l’on représenteroit ces moralités les jours de fête, autant pour l’instruction du peuple, que pour son divertissement. L’Italie avoit déja montré l’exemple, l’on s’empressa de l’imiter.

Ces sortes de spectacles parurent si beaux dans ces siecles ignorans, que l’on en fit les principaux ornemens des réceptions des princes quand ils entroient dans les villes ; & comme on chantoit noel, noel, au lieu des cris vive le roi, on représentoit dans les rues la samaritaine, le mauvais riche, la conception de la sainte Vierge, la passion de Jesus-Christ, & plusieurs autres mysteres, pour les entrées des rois. On alloit en procession au-devant d’eux avec les bannieres des églises : on chantoit à leur louange des cantiques composés de passages de l’Ecriture sainte,

cousus ensemble, pour faire allusion aux actions principales de leurs regnes.

Telle est l’origine de notre théatre, où les acteurs, qu’on nommoit confreres de la passion, commencerent à jouer leurs piéces dévotes en 1402 : cependant comme elles devinrent ennuyeuses à la longue, les confreres intéressés à réveiller la curiosité du peuple, entreprirent pour y parvenir, d’égayer les mysteres sacrés. Il auroit fallu un siecle plus éclairé pour leur conserver leur dignité ; & dans un siecle éclairé, on ne les auroit pas choisis. On mêloit aux sujets les plus respectables, les plaisanteries les plus basses, & que l’intention seule empêchoit d’être impies : car ni les auteurs ni les spectateurs ne faisoit une attention bien distincte à ce mélange extravagant, persuadés que la sainteté du sujet couvroit la grossiereté des détails. Enfin le magistrat ouvrit les yeux, & se crut obligé en 1545 de proscrire sévérement cet alliage honteux de religion & de bouffonnerie. Alors naquit la comédie profane, qui livrée à elle même & au goût peu délicat de la nation, tomba sous Henri III. dans une licence effrénée, & ne prit le masque honnête, qu’au commencement du siecle de Louis XIV. (D. J.)

Mysteres des Romains, (Littérat.) c’est le nom que donne Cicéron aux mysteres de la bonne deésse, ou à la fête qui se célébroit à Rome pendant la nuit en l’honneur de la mere de Bacchus.

C’est cette fête que profana Claudius, qui étoit devenu éperduement amoureux de Pompeia, femme de César, à laquelle il avoit sû plaire. Les détails de cette scene sont connus de tout le monde. La mere de César, après avoir reproché au criminel son insolence & son impiété, le fit sortir de sa maison, & le lendemain de grand matin, elle donna avis au sénat de ce qui s’étoit passé la nuit chez elle. Toute la ville en fut scandalisée, les femmes sur-tout se déchainerent avec fureur contre le criminel, & un tribun le cita devant l’assemblée du peuple, & se déclara son accusateur. On sait comme César se tira d’embarras vis à-vis le tribun : on sait enfin que le témoignage de Cicéron ne put prévaloir au crédit de Claudius, ni à l’argent qu’il répandit parmi ses juges. Tous ces faits étant si connus, c’est assez de remarquer avec M. l’abbé de Vertot, que les hommes étoient absolument exclus de ces cérémonies nocturnes. Il falloit même que le maître de la maison où elles se célébroient en sortît. Il n’y avoit que des femmes & des filles qui fussent admises dans ces mysteres, sur lesquels plusieurs modernes prétendent, peut-être à tort, qu’on ne peut laisser tomber des voiles trop épais. C’étoit ordinairement la femme d’un consul ou d’un prêteur qui faisoit la fonction de prêtresse de la divinité qu’on n’osoit nommer, & qu’on révéroit sous le titre de la bonne déesse. Voyez Bonne Déesse. (D. J.)

Mysteres de Samothrace, (Littér.) Strabon en parle, & remarque qu’ils étoient de la plus grande antiquité. Ils furent apportés de Samothrace à Troie par Dardanus, & de Troie en Italie par Enée. Les vestales étoient chargées, dit Denis d’Halicarnasse, de garder ces mysteres dont elles seules avec le grand prêtre, avoient la connoissance. (D. J.)

MYSTIA, (Géograph. anc.) ville d’Italie dans la grande Grece ; c’est aujourd’hui selon le pere Hardouin, Monasteract, ou comme d’autres disent, Monte-Araci. (D. J.)

MYSTIQUE, Sens, (Critiq. sacrée.) explication allégorique d’un événement, d’un précepte, d’un discours, ou d’un passage de l’Ecriture. On ne s’étonnera pas que les anciens peres aient donné dans les explications allégoriques & dans les sens mystiques, si l’on fait attention à l’origine de cette méthode d’interpréter l’Ecriture. On savoit que les an-