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Musique des Hébreux, (Critiq. sacrée.) les anciens hébreux aimoient la Musique, & avoient plusieurs instrumens de Musique. Ils s’en servoient dans les cérémonies de religion, dans les réjouissances publiques & particulieres, dans leurs festins & même dans leurs deuils. Laban se plaint que Jacob son gendre l’ait quitté brusquement, sans lui donner le loisir de le conduire au chant des cantiques & au son des tambours & des cythares. Moyse fit faire des trompettes d’argent pour en sonner dans les sacrifices solemnels, & dans les festins sacrés. David destina une grande partie des lévites à chanter & à jouer des instrumens dans le temple. Asoph, Iléman & Idithun étoient les chefs de la musique du tabernacle sous ce prince, & du temple sous Salomon. Le premier avoit quatre fils, le second quatorze, & le troisieme six. Ces vingt-quatre lévites étoient à la tête de vingt-quatre bandes de musiciens qui servoient tour-à-tour.

On ne peut douter que David ne sçût très-bien jouer de la harpe, car il dissipa par ce moyen la mélancholie de Saül ; cependant la musique des Hébreux & leurs instrumens de musique, nous sont entierement inconnus. Tout ce que l’on en peut conjecturer, c’est que ces instrumens se réduisoient à trois classes ; les instrumens à corde, les instrumens à vent & les différentes especes de tambours. Les premiers sont le nable, le psaltérion, le cimor, la symphonie ancienne, la sambuque. Il seroit difficile de donner la figure des diverses sortes de trompettes que l’on remarque dans l’Ecriture : le plus corru de ces instrumens est l’orgue ancien, nommé en hébreu huggals. Ils avoient plusieurs especes de tambours ; le tuph, le zazelim, le schalischrim & le mezilothaim, rendus dans la vulgate par tympana, cymbala, sistra & tintinnabula. (D. J.)

Musique, prix de, (Antiq. grecq.) récompense honorable introduite dans les jeux de la Grece, pour encourager & perfectionner l’étude de cet art. Athènes donnoit un prix de musique pendant les Bacchanales ; ce prix étoit un trépié, & les dix tribus le disputoient à l’envi. Chacune avoit son chœur des musiciens, son chorege, c’est-à-dire son intendant du chœur & son poëte. On gravoit sur le trépié le nom de la tribu victorieuse, celui de son poëte & celui de son chorege. Voici les termes d’une de ces inscrpitions, tirés de Plutarque. « La tribu Antiochide remporta le prix ; Aristi le chorege, fit les frais des jeux ; & le poëte Archistrate composa les comédies ».

Je ne dois pas oublier de remarquer que les jeux où l’on disputoit les prix de la musique, avoient leurs lois particulieres dont on ne pouvoit s’écarter impunément. Un musicien, par exemple, quelque fatigué qu’il fût, n’avoit pas la liberté de s’asseoir : il n’osoit essuyer la sueur de son visage qu’avec un bout de sa robe : il ne lui étoit pas permis de cracher à terre, &c. Tacite, ann. lib. XVI. nous représente l’empereur Néron soumis à ces lois sur le théâtre, & affectant une véritable crainte de les violer. Ingreditur theatrum, cunctis cytharæ legibus obtemperans, ne fessus resideret, ne sudorem nisi câ quam indutui gerebat veste detergeret, ut nulla oris aut narium excremenca viderentur ; postremo flexus genu, & coetum illum manu veneratus, sententias judicum opperebiatur, ficto pavore. (D. J.)

Musique, effets de la, (Méd. Diete, Gymnast. Thérapeut.) l’action de la Musique sur les hommes est si forte, & sur-tout si sensible, qu’il paroît absolument superflu d’entasser des preuves pour en constater la possibilité. L’expérience journaliere la démontre à ceux qui peuvent sentir ; & quant à ces personnes mal organisées qui, plongées en conséquence dans une insensibilité maladive, sont malheureu-

sement dans le cas d’exiger ces preuves, elles n’en seroient à coup-sûr nullement convaincues. Que peuvent, en effet, les raisons les plus justes, ou le sentiment ne fait aucune impression ? Qu’on transporte l’homme le plus incrédule, par conséquent le moins connoisseur, mais possedant une dose ordinaire de sensibilité, dans ces palais enchantés, dans ces académies de musique, où l’on voit l’art se disputer & se montrer supérieur à la nature ; qu’il y écoute les déclamations harmonieuses de cette actrice inimitable, soutenue par l’accompagnement exact & proportionné de ces instrumens si parfaits, pourra-t-il s’empêcher de partager les sentimens, les passions, les situations exprimées avec tant d’ame & de vérité & pour me servir des paroles énergiques d’un écrivain du siecle passé, son ame dépourvue de toute idée étrangere, perdant tout autre sentiment, ne volera-t-elle pas toute entiere sur ses oreilles ? son ame seule ne sera pas émue, son corps recevra des impressions aussi vives, un frémissement machinal involontaire s’emparera de lui, ses cheveux se dresseront doucement sur sa tête, & il éprouvera malgré lui une secrette horreur, une espece de resserrement dans la peau ; pourra-t-il ne pas croire, quand il sentira si vivement ?

Parcourons les histoires anciennes & modernes, ouvrons les fastes de la Médecine, nous verrons partout les effets surprenans opérés par la Musique. L’antiquité la plus reculée nous offre des faits prodigieux ; mais ils sont ou déguisés ou grossis par les fables que les Poëtes y ont mélées, ou enveloppés dans les mystères obscurs de la Magie, sous les apparences de laquelle les anciens charlatans cachoient les véritables effets de la Musique, pour séduire plus surement les peuples, en donnant un air de mystère & de divin aux faits les plus naturels, produits des causes ordinaires : expédient qui a souvent été renouvellé, presque toûjours accrédité par l’ignorance, & demasqué par les Philosophes ; mais jamais épuisé. « Il y a lieu de présumer, dit fort judicieusement le savant médecin Boerhaave, que tous les prodiges qui sont racontés des enchantemens, & des vers dans la guérison des maladies, doivent être rapportés à la Musique, (lib. impet. faciens, pag. 362. n°. 412.) partie dans laquelle excelloient les anciens médecins ». Pyndare nous apprend qu’Esculape, ce héros fameux pour la guérison de toutes sortes de maladies, ηρωα παντοδαπαν αλκτῆρα νούσον, en traitoit quelques unes par des chansons molles, agréables, voluptueuses, ou suivant quelques interpretes, par de doux enchantemens, ce qui dans le cas présent reviendroit au même :

Τοὺς μεν (νουσους) μαλακαῖς,
Επαοιδαις ἀµφέπων.

Pynd. Python. Ode III.


Il est plus que vraissemblable qu’Esculape avoit appris la Musique, ou d’Apollon son pere, ou du centaure Chiron son précepteur, tous les deux aussi célebres dans la Musique que dans l’art de guérir. Le pouvoir de la Musique sur les corps les plus insensibles, nous est très-bien dépeint dans l’histoire d’Orphée, chantée par tous les Poëtes, qui par le son mélodieux de sa voix attiroit les arbres, les rochers ; bâtissoit des villes ; pénétroit jusqu’aux enfers, fléchissoit les juges rigoureux de ce sejour ; suspendoit les tourmens des malheureux ; franchissoit les barrieres de la mort, & transgressoit les artêts irrévocables des destins : ces fables, ces allégories, fruits de l’imagination vive des poëtes, sont les couleurs dont ils ont voulu peindre la vérité & nous la transmettre ; les interpretes y reconnoissoient tous la force de la Musique, & dom Calmet ne voit dans cette descente d’Orphée aux enfers pour en retirer sa chere Eury-