Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 10.djvu/892

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sent : cela paroît d’autant mieux fondé, que le muscle ne se détruit que long-tems après qu’on a empêché par quelques moyens que ce puisse être, le sang artériel de s’y porter, & qu’on ne peut expliquer le mouvement de quelque muscle particulier par une cause qui provenant du cœur, agit avec une force égale dans toutes les parties du corps.

C’est donc par le moyen des nerfs (continue M. Haller, de qui j’ai tiré une partie de ce que j’ai dit ci-dessus), & non pas celui des arteres, ni des autres parties solides, que s’exécutent les ordres de la volonté ; mais la façon dont les nerfs mettent les muscles en mouvement, est si obscure, qu’il n’y a presque pas lieu d’espérer de la jamais découvrir ; les vésicules nerveuses capables de se gonfler, le suc nerveux y étant apporté avec plus de vîtesse, ne s’accordent pas avec l’anatomie, qui nous fait voir que les fibriles sont par-tout cylindriques avec la prompte exécution du mouvement des muscles, avec la diminution plutôt que l’augmentation de leur volume pendant leur action ; les chaînettes, les rhombes que forment les fibres enflées, ne cadrent point avec l’anatomie de ces parties, ni avec la vîtesse de leur action ; enfin, on ne peut faire voir une assez grande quantité de filets nerveux produits par aussi peu de nerf, & que ces filets se distribuent dans une direction presque transverse par rapport à celle des fibres musculaires. La supposition que les nerfs environnent la fibre artérielle, & la contractent par son élasticité, n’est pas conforme à la structure de ces parties, dans lesquelles on prend pour nerfs les filets cellulaires, qui sont les seuls qu’on y puisse découvrir : l’hypothèse des bulles de sang remplies d’air, & la façon dont on s’en sert pour expliquer le mouvement musculaire, ne sont pas conformes à la nature du sang, dans lequel on suppose un air élastique qui n’y est pas ; il est d’ailleurs constant par ce qui a été dit ci-dessus, que l’action des muscles ne dépend pas de leur contraction méchanique, mais de la grande vîtesse avec laquelle le suc nerveux y coule, & ce n’est que par son impulsion que l’on peut rendre raison de leur dureté lorsqu’ils font quelque effort, soit que cela vienne de la volonté ou de quelqu’autre cause qui ait son siege dans le cerveau, soit de la puissance d’un aiguillon sur le nerf même, &c.

L’effet du mouvement musculaire est de rendre les muscles plus courts, de tirer par cette raison leurs tendons qui sont presque en repos vers le milieu du muscle, & d’approcher les os ou les parties auxquelles les tendons sont attachés, les unes des autres. Si l’une des parties mues est plus stable que l’autre, la plus mobille s’approche alors d’autant plus de l’autre, qu’elle est moins stable qu’elle ; si l’une d’elles est immobile, la mobile s’approche uniquement vers l’immobile, & c’est dans ce cas le seul où les mots d’origine & d’insertion, qui d’ailleurs sont si souvent équivoques, peuvent être tolérés.

La force de cette action est immense dans tous les hommes, & sur-tout dans les phrénétiques & dans certains hommes vigoureux. Peu de muscles élevent souvent un poids égal & même plus grand que le poids de tout le corps humain ; cependant la plus grande partie de l’effort ou de la puissance du muscle se perd sans produire aucun effet sensible, puisque les muscles ont leur attache plus près du point d’appui, que n’en est le poids qu’ils doivent soutenir : l’effet de leur action est d’autant plus petit, que la partie du levier à laquelle ils s’attachent pour mouvoir le poids est plus petite ; de plus, une grande partie des muscles formant avec les os auxquels ils s’inserent, surtout dans les extrémités, des angles fort aigus, & par conséquent l’effet de l’action des muscles sera d’autant plus petite, que le sinus de l’angle entre le muscle & l’os est dans un moindre rapport avec le

sinus total ; d’ailleurs la moitié de tout l’effort du muscle en contraction est sans effet, parce qu’on peut regarder ce muscle comme une corde qui tire au poids vers son point d’appui : d’ailleurs plusieurs muscles sont placés dans l’angle formé par deux os dont l’un leur sert de point d’appui pour mouvoir l’autre ; ils se fléchissent donc lorsque cet os est en mouvement ; un nouvel effort doit alors mouvoir ces cordes fléchies : plusieurs muscles passent par-dessus quelques articulations & les fléchissent toutes un peu, de forte que la plus petite partie de l’effet de cette action est reservée pour fléchir une articulation particuliere : les fibres musculaires elles-mêmes forment très souvent avec leur tendon des angles qui leur font perdre une grande partie de leur force, & ce qu’il en reste est à la force totale dans le rapport du sinus de l’angle d’insertion, au sinus total. Enfin les muscles meuvent les poids qui leur sont opposés avec une grande vitesse ; & non-seulement ils emploient assez de force pour le balancer, mais ils en emploient même assez pour les élever.

Toutes ces pertes compensées, il paroît que la force des muscles en action est très-grande, & qu’elle ne peut se déterminer par aucun rapport méchanique, son effet étant presqu’un soixantieme de tout l’effort du muscle, & que quelques muscles dont le poids n’est pas considérable, peuvent élever un poids de mille livres, & l’élevent avec une grande vitesse. On ne doit pas moins admirer la sagesse du Créateur, car ces pertes sont compensées par d’autres avantages ; par la justesse du corps, par le mouvement musculaire, par la vîtesse nécessaire, par la direction des muscles, avantages qui tous contraires, demandoient une compensation méchanique ; mais on conclut de-là que l’action des esprits animaux est très-puissante, puisqu’elle peut dans un organe si petit, produire assez de force pour soutenir un poids égal à quelque milliers de livres pendant long-tems, même pendant des jours entiers : & il ne paroît pas qu’on puisse l’expliquer autrement que par la vîtesse incroyable avec laquelle ce fluide se porte dans toutes ces parties, lorsque nous le voulons, quoiqu’on ne puisse pas dire d’où vient cette vîtesse, & qu’il suffise qu’il y ait une loi déterminée, suivant laquelle le suc nerveux soit nouvellement poussé avec une vîtesse donnée suivant une volonté donnée. Voyez Nerveux & Esprit.

Les muscles antagonistes facilitent le relâchement des muscles dans leur action dans toutes les parties du corps humain ; chaque muscle est balancé ou par un poids opposé, ou par son ressort, ou par un autre muscle, ou par un fluide qui fait effort contre les parois du muscle qu’il presse : cette cause quelle qu’elle puisse être, agit continuellement, même lorsque le muscle est en action, & que cette vîtesse qui provient du cerveau est ralentie, & elle rétablit les membres ou les autres parties quelconques dans un état tel qu’il y ait équilibre entre les muscles & la cause opposée : toutes les fois que l’antagonisme dépend des muscles, aucuns ne peuvent se contracter sans étendre leur antagoniste ; d’où il suit que les nerfs distendus & le sentiment douloureux leur font faire de plus grands efforts pour reproduire l’équilibre ; c’est aussi la raison pourquoi les muscles fléchisseurs étant coupés, les extenseurs doivent agir même dans le cadavre, & réciproquement.

Mais il y a d’autres moyens qui rendent le mouvement musculaire juste, sûr & facile. Les grands muscles longs, par le moyen desquels se font les grandes flexions, sont renfermées dans des gaines tendineuses, fermes, que d’autres muscles tendent & tirent, de maniere que pendant que les membranes sont fléchies, le muscle reste étendu & appliqué sur l’os, ce qui s’oppose à la grande perte qui se feroit