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mousse aux deux bouts, & comme quarrée. Sa substance est la même, mais elle n’a presque point d’odeur, & son goût est fort desagréable. La compagnie hollandoise a presque détruit tous les muscadiers sauvages des îles de Banda. Leurs noix se nomment dans le pays pala tubir, c’est-à-dire, noix de montagne.

Il faut choisir la noix muscade qui est arrondie, ou de la figure d’une olive. On estime celle qui est récente, odorante, pesante, grosse, & qui étant piquée avec une aiguille rend aussi-tôt un suc huileux.

Il paroît que la noix muscade a été inconnue aux Grecs & aux Romains. Pline n’en dit mot, & Dioscoride n’en parle point non plus que du macis ; car son macer est une chose entierement différente du macis, puisque le macis est l’enveloppe de la muscade, & que le macer est l’écorce de quelque bois : mais les Arabes ont fort bien connu le macis & la noix muscade. Le premier qui en ait fait mention est Avicenne.

Voici comment on recueille & comment on prépare les noix muscades cultivées dans les îles de Banda.

Les fruits étant mûrs, les habitans montent sur les arbres, & ils les cueillent, en tirant à eux avec des crochets les branches de l’arbre qui sont flexibles comme celles du noisetier ; ensuite on ouvre ordinairement sur la place les coques avec un couteau, & on en ôte l’écorce que l’on entasse dans les forêts où elle pourrit avec le tems. Il naît sur ces écorces qui se pourrissent une espece de champignons, que nos auteurs appellent boleti moschocaryni. Ce sont des champignons noirâtres, bons à manger, agréables au goût, & très-recherchés des habitans.

Ils emportent à la maison les noix muscades dépouillées de leur écorce. Ils enlevent adroitement avec le couteau leur premiere enveloppe qui est le macis, prenant garde de le rompre le moins qu’il est possible. Ils font sécher au soleil pendant un jour ce macis qui est rouge comme du sang, & dont la couleur se change en un rouge obscur ; ensuite, au bout de dix à douze heures, ils le transportent dans un autre endroit à l’abri du soleil où ils le laissent pendant sept ou huit jours, afin qu’il se ramollisse en quelque façon, & qu’il se brise moins aisément. Pour-lors ils l’arrosent d’un peu d’eau de mer, non seulement afin de l’humecter, mais aussi pour l’empêcher de perdre son huile odorante. Ils le renferment ainsi dans de petits sacs, & ils le pressent fortement. Comme le macis trop sec se brise & perd son huile aromatique, de même lorsqu’il est trop humide il se pourrit & devient vermoulu ; c’est pourquoi l’on tâche de tenir un juste milieu & d’éviter l’une & l’autre extrémité : on y parvient aisément par la routine & l’expérience.

On expose au soleil pendant trois jours les noix muscades qui sont encore enfermées dans leurs coques ligneuses, ensuite on les seche parfaitement à la fumée du feu jusqu’à ce qu’elles rendent un son clair quand on les agite ; car celles qui sont humides ne rendent qu’un son obscur, alors on les frappe avec un bâton, une pierre, un petit maillet, afin que la coque saute en morceaux.

Ces noix ainsi séparées de leurs écorces, sont distribuées en trois tas, dont le premier contient les plus grandes & les plus belles que l’on apporte en Europe ; le second contient celles que l’on réserve pour en faire usage dans les Indes ; & le troisieme renferme les plus petites qui sont irrégulieres, non-mûres, dont on brûle la plus grande partie, & dont on emploie l’autre pour en tirer de l’huile.

Cependant les noix muscades qu’on a choisies pour le débit, se corromproient bien-tôt si on ne les arrosoit promptement, si on ne les confisoit, pour par-

ler ainsi, dans de l’eau de chaux faite de coquillages

brûlés, que l’on détrempe avec de l’eau salée à la consistance d’une bouillie fluide. On y plonge deux ou trois fois les noix muscades renfermées dans de petites corbeilles, jusqu’à ce que la liqueur les ait toutes couvertes ; l’humidité superflue s’évapore & s’en va en fumée. Lorsqu’elles ont sué suffisamment, elles sont bien préparées & propres pour passer la mer.

On transporte aussi des noix muscades confites, non-seulement dans toutes les Indes mais encore en Europe. Voici la maniere de les confire. Lorsqu’elles s’ouvrent, on les cueille avec précaution, on les fait bouillir dans l’eau, & on les perce avec une aiguille ; ensuite on les macere dans l’eau pendant huit ou dix jours, jusqu’à ce qu’elles aient quitté leur goût âpre & acerbe. Cela fait, on les cuit plus ou moins (selon qu’on veut les avoir plus fermes ou plus molles) dans un julep, fait avec parties égales de sucre & d’eau. Si l’on veut qu’elles soient dures, on y jette un peu de chaux. On sépare tous les jours l’eau sucrée des noix muscades ; on la fait un peu bouillir, & pendant huit jours on la verse de nouveau sur le fruit ; enfin, on met pour la derniere fois ces noix dans du sirop un peu épais, & on les garde dans un pot de terre bien fermé.

On les sert avec les autres confitures dans les repas, & on en mange sur-tout aux Indes en buvant du thé ; on n’en prend que la chair, & on a coutume de rejetter le noyau.

On confit encore les noix muscades dans de la saumure, dans du sel & du vinaigre ; mais on ne les mange pas telles : on les macere dans de l’eau douce jusqu’à ce qu’elles aient perdu leur goût salé ; ensuite on les fait cuire dans de l’eau avec du sucre.

La noix muscade abonde en huile essentielle, tant subtile que grossiere, unie avec un sel acide & un peu de terre astringente.

Ces noix donnent par la distillation deux sortes d’huile ; car si après les avoir pilées & macérées dans beaucoup d’eau, on les distille, il sort une once d’huile subtile de chaque livre de noix ; & la distillation étant finie, on trouve sur la surface une huile grossiere, surnageante, épaisse comme du suif, & presque destituée d’aromate. Mais par l’expression de seize onces de noix muscades, on tire trois onces deux dragmes d’huile, de la consistance de la graisse, qui a très-bien l’odeur & le goût de la noix muscade.

On sait que les Chimistes tirent l’huile essentielle de la muscade & du macis par la distillation, de la même maniere que les autres huiles essentielles.

Il suffira donc d’indiquer ici la méthode qu’ils emploient pour tirer, par expression, l’huile de la muscade & du macis.

On prend la quantité que l’on juge à propos de noix muscades, pleines, grasses & pesantes. On les réduit en une poudre subtile, que l’on met sur un tamis renversé, couvert d’un plat de terre. On fait prendre à cette poudre la vapeur de l’eau bouillante pendant un quart d’heure, afin qu’elle en soit toute pénétrée. Alors on la renferme promptement dans un petit sac de toile forte, & au même moment on en tire l’huile à la presse. Cette huile est limpide & fluide tant qu’elle est chaude, mais elle se fige & acquiert la consistance de la graisse en se refroidissant. Sa couleur est dorée ou safranée. On emploie ces huiles en Médecine, & on en fait la base des baumes hystériques, nervins & fortifians.

Ce détail peut suffire. Je l’ai tiré, à quelques corrections près, de M. Geoffroi, parce qu’il est exact, & que des hollandois m’ont dit eux-mêmes qu’ils ne pourroient pas m’en fournir de meilleur.

Je laisse aux curieux à consulter le morceau que Pison a donné de la noix muscade dans ses œuvres : l’ouvrage de Paulini, intitulé, nucis moschata curiosa