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ne. Elles ont encore la vertu de chasser les punaises, & d’enlever les rousseurs du visage.

Les mûres sont bonnes à manger ; elles sont assez agréables au goût, & même fort saines. Mais de tous les fruits qui se mangent, il n’y a peut-être que celui du mûrier dont il ne faut pas attendre la parfaite maturité, pour qu’il soit profitable. Les mûres doivent seulement être d’un rouge tirant sur le noir pour faire un bon aliment, encore n’en devroit on manger que quand on a l’estomac vuide ; elles excitent l’appétit, & elles sont rafraîchissantes. On en fait du syrop pour les maux de gorge. Si l’on veut avoir des mûres très-grosses, il faut mettre le mûrier noir en espalier contre un mur exposé au nord.

Le bois du mûrier noir est jaune dans le cœur, & son aubier est blanchâtre. Il est compacte, pliant & plus dur que celui du mûrier blanc : il est de longue durée ; il noircit en vieillissant, & il résiste dans l’eau presqu’aussi-bien que le chêne ; aussi peut-on l’employer au pilotage : il est propre au charronage, à la menuiserie ; on en tire des courbes pour les bateaux ; on peut le faire servir aux mêmes ouvrages où l’on emploie l’orme. Ce bois, loin d’engendrer aucune vermine, a, comme les feuilles, la vertu de chasser les punaises. Il reçoit un beau poli, ce qui le fait rechercher par les tourneurs, les ébénistes & les graveurs ; c’est même un bon bois de chauffage.

Le mûrier blanc, arbre de moyenne grandeur ; l’un des plus intéressans que l’on puisse cultiver pour le profit des particuliers & pour le bien de l’état. Cet arbre est la base du travail des soies, qui font en France une branche considérable de commerce. Après la toile qui couvre le peuple, & la laine qui habille les gens de moyen état, la soie fait le brillant vêtement des grands, des riches, des femmes surtout, & de tous les particuliers qui peuvent se procurer les superfluités du luxe. On la voit décorer les palais, parer les temples, & meubler toutes les maisons où regne l’aisance. Cependant c’est la feuille du mûrier blanc qui fait la source de cette prétieuse matiere ; il s’en fait une consommation si considérable dans ce royaume, que malgré qu’il y ait déja près de vingt provinces qui sont peuplées de mûriers, & où l’on fait filer quantité de vers à soie, néanmoins il faut tirer de l’étranger pour quatorze ou quinze millions de soies. Et comme la consommation de nos manufactures monte à ce qu’on prétend à environ vingt-cinq millions, il résulte que les soies qui viennent du cru de nos provinces ne vont qu’à neuf ou dix millions. Ces considérations doivent donc engager à multiplier de plus en plus le mûrier blanc. Les particuliers y trouveront un grand profit, & l’état un avantage considérable. C’est donc faire le bien public que d’élever des mûriers. Quoi de plus séduisant !

Le mûrier blanc tire son origine de l’Asie. Dans les climats tempérés & les plus orientaux de cette vaste partie du monde, le mûrier & les vers à soie ont été connus de toute ancienneté. L’arbre croît de lui-même, & l’insecte s’engendre naturellement à la Chine. Qui peut savoir l’époque où le chinois a commencé à faire usage des cocons de soie qui se trouvoient sur le mûrier ? Peu-à-peu cet arbre a traversé les grandes Indes pour prendre dans la Perse le plus solide établissement ; de-là il a passé dans les îles de l’Archipel, où on a filé la soie dès le troisieme siecle. La Grece est redevable à des moines de lui avoir apporté dans le sixieme siecle, sous l’empereûr Justinien des œufs de l’utile insecte, & des graines de l’arbre qui le nourrit. A force de tems, l’un & l’autre passerent en Sicile & en Italie. Augustin Gallo, auteur italien, qui a écrit sur l’Agriculture en 1540, assure que ce n’est que de son tems qu’on a commencé à élever les mûriers de semence en Italie, d’où on peut conclure que ces arbres n’y étoient alors

qu’en petit nombre, puisque ce n’est que par la semence qu’on peut faire des multiplications en grand Enfin le mûrier a passé en France dans le quinzieme siecle sous Charles VII. il a encore fallu plus de cent années pour faire ouvrir les yeux sur l’utilité qu’on en pouvoit tirer. Henri II. a commencé de jetter quelques fondemens pour établir des manufactures de soie à Lyon & à Tours. Mais Henri IV. ce grand roi, ce pere du peuple, a tenté le premier d’exécuter la chose en grand, la fait élever des mûriers, & a donné de la consistence aux premieres manufactures de soiries. Ensuite a paru avec tant d’éclat Louis XIV. ce roi grand en tout, attentif à tout, & connoisseur en tout. Il avoit choisi pour ministre Colbert : ce vaste génie qui préparoit le bien de l’état pour des siecles, sans qu’on s’en doutât, fit les plus grandes offres pour la propagation des mûriers dans les provinces méridionales du royaume ; car il étoit raisonnable de commencer par le côté avantageux. Autant il en faisoit planter, autant les paysans en détruisoient. Ils n’envisagcoient alors que la privation d’une lisiere de terre, & ne voyoient pas le produit à venir des têtes d’arbres qui devoient s’étendre dans l’air. Le ministre habile imagina le moyen d’intéresser pour le moment le propriétaire du terrein. Il promit vingt-quatre sols pour chaque arbre qui seroit conservé pendant trois ans. Il tint parole, tout prospéra. Aussi par les soins de ce grand homme, le Lyonnois, le Forès, le Vivarez, le bas Dauphiné, la Provence & le Languedoc, la Gascogne, la Guyene & la Saintonge, ont été peuplées de mûriers. Voilà l’ancien fond de nos manufactures de soieries. Il sembloit que ce fussent là des limites insurmontables pour le mûrier ; mais Louis XV. ce roi sage, ce pere tendre, l’amour de son peuple, a vaincu le préjugé où l’on étoit, que le reste du royaume n’étoit propre ni à la culture du mûrier, ni à l’éducation des vers à soie. Par ses ordres, feu M. Orry, contrôleur général, à force d’activité & de persévérance, a fait établir des pepinieres de mûriers dans l’Angoumois, le Berry, le Maine, & l’Orléanois ; dans l’île de France, le Poitou & la Tourraine. Il a fait faire en 1741 un pareil établissement à Montbard en Bourgogne ; & les états de cette province en 1754 ont non-seulement établi à Dijon une seconde pepiniere de mûriers très étendue & des mieux ordonnées ; mais ils ont fait venir du Languedoc des personnes versées dans la culture des mûriers & dans le filage de la soie. M. Joly de Fleury, intendant de Bourgogne, à qui rien d’utile n’échappe, a fait faire depuis dix ans les mêmes dispositions dans la province de Bresse. Enfin la Champagne & la Franche-Comté ont commencé depuis quelques années à prendre les mêmes arrangemens. Le progrès de ces établissemens passe déja les espérances. Quels succès n’a t-on pas droit de s’en promettre !

Le murier blanc fait un arbre de moyenne grandeur ; sa tige est droite, & sa tête assez réguliere : ses racines sont de la même qualité que celles du mûrier noir, si ce n’est qu’elles s’étendent beaucoup plus qu’elles ne s’enfoncent. Son écorce est plus claire, plus souple, plus vive, plus lisse & plus filandreuse. Sa feuille, tantôt entiere, tantôt découpée, est d’un verd naissant d’agréable aspect ; elle est plus mince, plus douce, plus tendre, & elle paroît environ 15 jours plûtôt que celle du mûrier noir. Le fruit vient de la même façon, mais plûtôt ; il est plus petit. Il y en a du blanc, du purpurin & du noir ; il est également douçâtre, fade & desagréable au goût. Il mûrit souvent dès la fin de Juin.

Cet arbre est robuste, vient très-promptement, se multiplie fort aisément, réussit, on ne peut pas mieux, à la transplantation, & on peut le tailler ou le tondre sans inconvénient dans presque toutes les saisons. Dans l’intérieur du royaume, & dans les