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quent il n’est jamais en mouvement. La définition du mouvement se tire de cette difficulté apparente ; un corps n’est pas mû dans la place où il est, mais de la place où il est dans celle qui suit immédiatement.

Le plus fameux de tous les sophismes contre le mouvement, est celui que Zénon avoit appellé l’Achille ; pour marquer sa force, qu’il croyoit invincible, il supposoit Achille courant après une tortue, & allant dix fois plus vite qu’elle. Il donnoit une lieue d’avance à la tortue, & raisonnoit ainsi : tandis qu’Achille parcourt la lieue que la tortue a d’avance sur lui, celle-ci parcourra un dixieme de lieue ; pendant qu’il parcourra le dixieme, la tortue parcourra la centieme partie d’une lieue ; ainsi de dixieme en dixieme, la tortue dévancera toujours Achille, qui ne l’atteindra jamais. Mais 1°. quand il seroit vrai qu’Achille n’attrapât jamais la tortue, il ne s’ensuivroit pas pour cela que le mouvement fût impossible, car Achille & la tortue se meuvent réellement, puisqu’Achille approche toujours de la tortue qui est supposée le dévancer toujours infiniment peu. 2°. On a répondu directement au sophisme de Zénon. Gregoire de Saint-Vincent fut le premier qui en démontra la fausseté, & qui assigna le point précis auquel Achille devoit atteindre la tortue, & ce point se trouve par le moyen des progressions géométriques infinies, au bout d’une lieue & d’un neuvieme de lieue ; car la somme de toute progression géométrique est finie, & cela parce qu’être fini, ou s’étendre à l’infini, sont deux choses très-différentes. Un tout fini quelconque, un pié par exemple, est composé de fini & d’infini. Le pié est fini en tant qu’il ne contient qu’un certain nombre d’êtres simples ; mais je puis le supposer divisé en une infinité, ou plûtôt en une quantité non finie de parties, en considérant ce pié comme une étendue abstraite ; ainsi si j’ai pris d’abord dans mon esprit la moitié de ce pié, & que je prenne ensuite la moitié de ce qui reste, ou un quart de pié, puis la moitié de ce quart, ou un huitieme de pié, je procéderai ainsi mentalement à l’infini, en prenant toujours de nouvelles moitiés des croissances, qui toutes ensemble ne feront jamais que ce pié : de même tous ces dixiemes de dixiemes à l’infini, ne font que 1/9 de lieue, & c’est au bout de cet espace qu’Achille doit attraper la tortue, & il l’attrape au bout d’un tems fini, parce que tous ces dixiemes de dixiemes sont parcourus durant des parties de tems des croissances, dont la somme fait un tems fini. M. Formey.

Les auteurs de Physique anciens & modernes, ont été fort embarrassés à définir la nature du mouvement local : les péripatéticiens disent qu’il est actus entis in potentia quatenus est in potentia. Aristote, 3. Phys. c. ij. Mais cette notion paroît trop obscure pour qu’on puisse s’en contenter aujourd’hui, & elle ne sauroit servir à expliquer les propriétés du mouvement.

Les Epicuriens définissoient le mouvement, le passage d’un corps ou d’une partie de corps d’un lieu en un autre, & quelques philosophes de nos jours suivent à peu près cette définition, & appellent le mouvement d’un corps, le passage de ce corps d’un espace à un autre espace, substituant ainsi le mot d’espace à celui de lieu.

Les Cartésiens définissent le mouvement, le passage ou l’éloignement d’une portion de matiere, du voisinage des parties qui lui étoient immédiatement contiguës dans le voisinage d’autres parties.

Cette définition est dans le fond conforme à celle des Epicuriens, & il n’y a entr’elles d’autre différence, sinon que ce que l’une l’appelle corps & lieu, l’autre l’appelle matiere & partie contiguë.

Borelli, & après lui d’autres auteurs modernes, définissent le mouvement, le passage successif d’un corps, d’un lieu en un autre, dans un certain tems déterminé,

le corps étant successivement contigu à toutes les parties de l’espace intermédiaire.

On convient donc que le mouvement est le transport d’un corps d’un lieu en un autre ; mais les Philosophes sont très-peu d’accord lorsqu’il s’agit d’expliquer en quoi consiste ce transport ; ce qui fait que leurs divisions du mouvement sont très-différentes.

Aristote & les Péripatéticiens divisent le mouvement en naturel & violent.

Le naturel est celui dont le principe ou la force mouvante est renfermée dans le corps mû, tel est celui d’une pierre qui tombe vers le centre de la terre. Voyez Gravité.

Le mouvement violent est celui dont le principe est externe, & auquel le corps mû résiste ; tel est celui d’une pierre jettée en haut. Les modernes divisent généralement le mouvement en absolu & relatif.

Le mouvement absolu est le changement de lieu absolu d’un corps mû, dont la vitesse doit par conséquent se mesurer par la quantité de l’espace absolu que le mobile parcourt. Voyez Lieu.

Mouvement relatif, c’est le changement du lieu relatif ordinaire du corps mû, & sa vitesse s’estime par la quantité d’espace relatif qui est parcourue dans ce mouvement.

Pour faire sentir la différence de ces deux sortes de mouvemens, imaginons un corps qui se meuve dans un bateau ; si le bateau est en repos, le mouvement de ce corps sera, ou plûtôt sera censé mouvement absolu ; si au contraire le bateau est en mouvement, le mouvement de ce corps dans le bateau ne sera qu’un mouvement relatif, parce que ce corps outre son mouvement propre, participera encore au mouvement du bateau ; de sorte que si le bateau fait par exemple, deux piés de chemin pendant que le corps parcourt dans le bateau l’espace d’un pié dans le même sens, le mouvement absolu du corps sera de trois piés, & son mouvement relatif d’un pié.

Il est très-difficile de décider si le mouvement d’un corps est absolu ou relatif, parce qu’il seroit nécessaire d’avoir un corps que l’on sût certainement être en repos, & qui serviroit de point fixe pour connoître & juger de la quantité du mouvement des autres corps. M. Newton donne pourtant, ou plûtôt indique quelques moyens généraux pour cela dans le scholie qui est à la tête de ses principes mathématiques. Voici l’exemple qu’il nous donne pour expliquer ses idées sur ce sujet. Imaginons, dit ce grand philosophe, deux globes attachés à un fil, & qui tournent dans le vuide au tour de leur centre de gravité commun ; comme il n’y a point par la supposition, d’autres corps auquels on puisse les comparer, & que ces deux corps en tournant, conservent toujours la même situation l’un par rapport à l’autre, on ne peut juger ni s’ils sont en mouvement, ni de quel côté ils se meuvent, à moins qu’on n’examine la tension du fil qui les unit. Cette tension connue peut servir d’abord à connoître la force avec laquelle les globes tendent à s’éloigner de l’axe de leur mouvement, & par-là on peut connoître la quantité du mouvement de chacun des corps ; pour connoître présentement la direction de ce mouvement, qu’on donne des impulsions égales à chacun de ces corps en sens contraire, suivant les directions paralleles, la tension du fil doit augmenter ou diminuer, selon que les forces imprimées seront plus ou moins conspirantes avec le mouvement primitif, & cette tension sera la plus grande qu’il est possible lorsque les forces seront imprimées dans la direction même du mouvement primitif ; de sorte que si on imprime successivement à ces corps des mouvemens égaux & contraints dans différentes directions, on connoîtra, lorsque la tension du fil sera la plus augmentée, que les forces imprimées ont été dans la direction même du mouvement