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les ruches ne donnent pas des essaims, ni du miel tous les ans. Il est des années où l’on n’a pas du miel ni des essaims. Il en est où l’on n’a que du miel & très-peu d’essaims. Il en est au contraire pendant lesquelles l’un & l’autre abonde. Pour donner un exemple de fécondité, j’ai vû une ruche qui, dans l’espace d’un mois & demi environ, donna cinq essaims. Ces différences viennent des différentes températures de leur l’air. Quand les abeilles ont essuyé un mauvais hiver & un printems trop sec, les plantes produisent peu de fleurs & fort tard ; alors uniquement occupées à recueillir le peu de ce que la saison leur fournit, elles travaillent beaucoup pendant long-tems pour ne ramasser que peu des provisions ; la saison est déja avancée, qu’elles ont à peine rempli les cellules vuidées pendant l’hiver pour leur entretien ; de sorte qu’en ces années-là elles n’ont pû amasser au-delà de leur provision pour l’hiver suivant. Elle leur a couté cependant assez des fatigues pour nuire à la génération, aussi n’en avons-nous pas des essaims.

Quand l’hiver a été moins rude & le printems assez doux vers sa fin, les abeilles n’ont pu trouver assez tôt de quoi faire leur récolte : elles se sont excédées de fatigue, & n’ont pu remplir les ruches & engendrer ; l’un a nui à l’autre, de maniere qu’il n’en a pu résulter que peu ou point d’essaims.

Quand le printems commence de bonne heure à faire sentir ses douces influences, les abeilles cessent d’être engourdies ; la nature se réveille, & leur ardeur est inexprimable, quand les campagnes peuvent fournir à leur diligence. C’est en ces années-là que les ravages sont d’abord réparés, les gâteaux multipliés & alongés, & les cellules remplies de miel, à quoi succedent bientôt beaucoup d’essaims.

Quand le nombre des essaims est grand, la durée de l’apparition depuis le premier jusqu’au dernier est plus longue que quand le nombre est petit, comme nous l’avons déja dit, parce que certaines ruches en donnent plusieurs dans la même saison. Nous devons, en ces années-là plus qu’en toutes les autres, porter plus d’attention à châtrer les ruches, & le faire à plusieurs reprises. 1°. parce que levant le miel dans toutes, le même jour ; si c’est trop tôt, nous détruisons la multiplication, puisque les abeilles cherchent dès-lors à réparer les pertes qu’elles viennent d’essuyer, par un travail opiniâtre qui nuit à la génération. 2.° On détruit inévitablement le couvain mélé en certaines ruches, avec le miel ; 3.° & le miel ainsi confondu, en acquiert un goût bien moins agréable. Il faut donc donner à nos abeilles le tems de peupler & reconnoître, en observant celles qui ont donné des essaims, afin de les châtrer quand on jugera qu’un certain nombre de ruches en aura assez engendré.

J’ai remarqué, en voyant prendre les essaims, que certains entroient de bonne grace dans les ruches qu’on leur avoit préparées, & qu’ils y restoient. D’autres n’entroient qu’en partie ; ou si ils entroient en entier, ils ne faisoient qu’aller & venir de la ruche à l’arbre où ils s’étoient d’abord accrochés. Ce dégoût pour les ruches étoit plus ou moins long en certains ; les uns s’arrêtoient après quelques heures, à celles qu’on leur avoit présentées ; d’autres flottoient plus long tems dans l’incertitude, & disparoissoient bientôt après ; d’autres entroient dans les ruches : on les plaçoit, mais ils disparoissoient après quelques jours ; enfin, certains, après avoir commencé leurs rayons, abandonnoient leur besogne & leur demeure.

On pourroit croire que l’abandon de leur ruche étoit la marque du changement de patrie, ou que la mort avoit suivi leur établissement. Quelques soins que je me sois donnés pour découvrir la cause de ce changement, je n’ai jamais vu que la mort

l’eût produit ; il y a tout lieu de croire que les corps morts auroient été au pié de la ruche & dans les rayons, comme on les trouve dans les anciennes, quand la vieillesse ou d’autres causes la produisent. Je n’ai jamais vu aussi, pendant plusieurs années que j’ai observé ces animaux, qu’ils aient changé de patrie : l’homme destiné à en avoir soin pendant toute l’année, & occupé uniquement au printems à veiller à la sortie des essaims, à les loger & à les placer, n’a pu découvrir cette transmigration. Il est donc vraissemblable que ces essaims mécontens de leurs logemens, ou par affection pour la maison paternelle, vont rejoindre leurs parens, qui, apparemment comme nous, sont toujours prêts à accueillir leurs enfans. Il semble sur ce pié-là que l’inconstance de la jeunesse & la tendresse des peres produisent ces déguerpissemens.

Ne pourroit-on pas soupçonner quelqu’autre cause, en considérant les allées & les venues des essaims & leurs murmures dedans & dehors les ruches ? Ne semble-t-il pas que celles qu’on leur destine manquant par la grandeur (car les aromates dont elles sont parfumées devroient les y arrêter) en paroissent mécontens, après un examen assez long, à en juger par leurs mouvemens contraires & bruyans ? Les uns trouvent la ruche trop grande pour loger la famille ; les autres, celle qu’on leur présente trop petite ; certains s’accommodent de celles qu’on leur offre, & la famille s’y loge ; enfin, il en est qui s’étant d’abord accommodés du logement qu’on leur a offert, y travaillent ; mais soit inconstance, soit que la saison qui a suivi leurs premiers travaux, n’ait pu seconder leur ardeur, elles se sont découragées, après avoir reconnu apparemment qu’elles ne pouvoient remplir leurs premiers projets ; elles abandonnent la place avec un ou deux petits gâteaux déja élevés. Je me confirmai dans cette opinion en 1757, ou j’eus assez abondamment des essaims. J’avois fait construire des ruches pour les loger, plus grandes que les ruches-meres, croyant alors que celles-ci étant pleines & donnant des essaims, exigeoient des caisses pareilles ou plus grandes pour me procurer à l’avenir plus de miel, en y plaçant les plus gros. Je me trompai ; puisque quelque tems après, toutes ces ruches furent désertées, malgré les rayons que les essaims avoient déja commencé d’élever ; au lieu que les petites ruches réussirent mieux. Il n’y eut que les plus petits essaims, qui étant les derniers nés, ne trouverent aucun logement convenable : la moindre de mes ruches étoit pour eux des palais trop spacieux ; tous déguerpirent, y étant peut-être déterminés par la difficulté des subsistances qui survint alors. On doit entrevoir de-là, que, ne voulant pas des petits essaims, il faut châtrer les ruches dès qu’elles ont donné des essaims, quand on reconnoîtra qu’ils deviennent plus petits ; dès-lors elles chercheront plutôt à réparer leur perte qu’à engendrer ; & l’on éviteroit de voir périr ces ruches meres, suite ordinaire de l’épuisement. Si l’on veut cependant profiter de leur fécondité, il faut proportionner la grandeur des caisses à la grosseur des essaims ; ensorte qu’un essaim n’ayant que le quart de la grosseur d’un autre (telle étoit à-peu-ptès la proportion des grosseurs du plus petit au plus grand de mes essaims de l’année 1757), il faut que la capacité des caisses soient dans le rapport de 1 à 4 ; ou bien réunir plusieurs essaims, en ne conservant qu’une reine (chose si difficile) pour éviter la rébellion. Il semble cependant, selon ce que nous avons dit précédemment, que les essaims quittant leur ruche, & ne changeant pas de patrie, mais se réunissant avec leurs peres, leurs reines ne sont plus rébelles, & qu’elles inspirent au contraire à