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toient avec eux les couleurs qu’ils atteignoient, & laissoient les mêmes parties vuides sur le baquet : alors il prenoit une feuille qu’il étendoit sur le baquet ainsi disposé, & sa feuille se coloroit par-tout, excepté aux endroits d’où la planche en bois avoit précédemment enlevé la couleur ; il parvenoit donc à avoir sur sa feuille le dessein de sa planche.

17. Du mélange des couleurs que nous avons indiquées, on en pourra tirer une infinité d’autres.

Ainsi l’on aura la couleur de café, si l’on prend un quarteron de rouge d’Angleterre, qu’on le broye avec gros comme une noisette de gomme & deux ceuillerées de fiel de bœuf.

Un brun, si à un mélange de noir de fumée préparé avec l’indigo, & de rouge d’Angleterre, on ajoute de la gomme & du fiel de bœuf.

Un gris, si l’on broye ensemble du noir de fumée, du blanc d’Espagne & de l’indigo.

Un aurore, si on mêle l’orpin avec l’ochre, ajoutant aussi la gomme & le fiel de bœuf.

Un bleu turquin, en mettant dans la couleur précédente plus d’indigo & moins de blanc d’Espagne.

Un bleu céleste, en mettant au contraire dans la même couleur plus de blanc d’Espagne & moins d’indigo.

Un verd, en mettant de l’orpin jaune avec de l’ochre, broyant & délayant à l’ordinaire.

Un verd céleste, en ajoutant au verd précédent un peu de blanc d’Espagne.

Un verd foncé, par le moyen d’un noir de fumée broyé avec de l’indigo & de l’ochre.

Au reste, entre ces couleurs, il y en a quelques-unes dont la préparation varie, du moins quant aux doses relatives des drogues dont on les compose, selon l’espece de papier qu’on veut marbrer. Mais quelle qu’elle soit, & quelles que soient les couleurs qu’on y veut employer, il ne faut pas les employer sur le champ ; il faut qu’elles ayent reposé du soir au lendemain.

18. Voyez les outils du marbreur dans nos Planches, au bas des vignettes : aaa, les baquets ; b, le pot à beurre ou la baratte ; c, le tamis ; dddd, les pinceaux ; eeeee, les peignes ; f, la pointe ; gggg, des pots à couleur ; h, l’étendoir ; iii, les châssis ; k, pierre ; l, la molette ; m, ramassoire pour les couleurs ; n, ramassoire pour les eaux ; o, établi ; p, pierre à broyer & à lisser ; qqq, lissoir ; r, plioir.

19. Au reste, il ne faut pas imaginer qu’on fera bien du papier marbré tout en débutant ; qu’il ne s’agit que d’avoir les instrumens, les couleurs, les préparer, les étendre sur les baquets, & y appliquer des feuilles de papier ; il n’y aura que l’habitude, l’expérience & l’adresse qui apprendront à éviter un grand nombre de petits inconvéniens de détail, & à atteindre à des petites manœuvres qui perfectionnent. Plus il est facile de se passer des ouvrages, plus il faut y apporter des soins, & moins on en est récompensé. C’est-là ce qui a fait vraisemblablement tomber le papier marbré. On n’en fait presque plus de beau. C’est un métier qui ne laisse pas d’entraîner des dépenses, qui suppose de l’industrie, & qui rend peu.

Si l’on veut pratiquer sur le papier marbré des filets d’or, ou autres agrémens de cette nature, il faut avoir un patron découpé, le ployer sur la feuille marbrée, appliquer un mordant à tous les endroits qui paroissent à travers les découpures du patron, y appliquer l’or, le laisser prendre, ensuite ôter le patron, & frotter la feuille avec du coton. Le coton enlevera le superflu de l’or que le mordant n’avoit pas attaché, & ce qui restera formera les filets & autres figures qu’on voudra donner à la feuille marbrée.

MARBRIER, s. m. (Art. mécan.) ouvrier qui fait des ouvrages communs en marbre, compris sous le nom de Marbrerie, &c. Par le nom de marbrerie, l’on entend non-seulement l’usage & la maniere d’employer les marbres de différente espece & qualité, mais encore l’art de les tailler, polir, & assembler avec propreté & délicatesse, selon les ouvrages où ils doivent être employés.

Le marbre du latin marmor, dérivé du grec μαρμαίρεειν, reluire, à cause du beau poli qu’il reçoit, est une espece de pierre calcaire, dure, difficile à tailler, qui porte le nom des différentes provinces où sont les carrieres d’où on le tire. C’est de cette espece de pierre que l’on fait les plus beaux ornemens des palais, temples, & autres monumens d’importance, comme les colonnes, autels, tombeaux, vases, figures, lambris, pavés, &c.

Les anciens qui en avoient en abondance en faisoient des bâtimens entiers, en revétissoient non-seulement l’intérieur de leurs maisons particulieres, mais même quelquefois l’extérieur. Il en est de plusieurs couleurs ; les uns sont blancs ou noirs ; d’autres sont variés ou mêlés de taches, veines, mouches, ondes & nuages, différemment colorés ; les uns & les autres sont opaques ; le blanc seul est transparant lorsqu’il est débité par tranche mince ; aussi, au rapport de M. Félibien, les anciens s’en servoient-ils au lieu de verre qu’ils ne connoissoient pas alors pour les croisées des bains, étuves, & autres lieux, qu’ils vouloient garantir du froid. On voyoit même à Florence, ajoute cet auteur, une église très-bien éclairée, dont les croisées en étoient garnies.

La marbrerie se divise en deux parties : l’une consiste dans la connoissance des différentes especes de marbre, & l’autre dans l’art de les travailler pour en faire les plus beaux ornemens des édifices publics & particuliers.

Nous avons traité la premiere à l’article Maçonnerie, voyez cet article. Il ne nous reste ici qu’à parler de la seconde.

Du marbre selon ses façons. On appelle marbre brut, celui qui étant sorti de la carriere en bloc d’échantillon ou par quartier, n’a pas encore été travaillé.

Marbre dégrossi, celui qui est débité dans le chantier à la scie, ou seulement équarri au marteau, selon la disposition d’un vase, d’une figure, d’un profil, ou autre ouvrage de cette espece.

Marbre ébauché, celui qui ayant dêja reçu quelques membres d’architecture ou de sculpture, est travaillé à la double pointe pour l’un, & approché avec le ciseau pour l’autre.

Marbre piqué, celui qui est travaillé avec la pointe du marteau pour détacher les avant-corps des arriere-corps dans l’extérieur des ouvrages rustics.

Marbre matte, celui qui est frotté avec de la prêle ou de la peau de chien de mer, pour détacher des membres d’architecture ou de sculpture de dessus un fond poli.

Marbre poli, celui qui ayant été frotté avec le grès & le rabot, qui est de la pierre de Gothlande, & ensuite repassé avec la pierre de ponce, est poli à force de bras avec un tampon de linge & de la potée d’émeril pour les marbres de couleur, & de la potée d’étain pour les marbres blancs ; celle d’émeril les rougissant, il est mieux de se servir, ainsi qu’on le pratique en Italie, d’un morceau de plomb au lieu de linge, pour donner au marbre un plus beau poli & de plus longue durée ; mais il en coûte beaucoup plus de tems & de peine ; le marbre sale, terne ou taché, se repolit de la même maniere ; les taches d’huile particulierement sur le blanc, ne peuvent s’effacer, parce qu’elles pénetrent.