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Le premier, c’est qu’on ne doit pas regarder comme une conjonction, même en y ajoutant l’épithete de composée, une phrase qui renferme plusieurs mots, comme l’ont fait tous les Grammairiens, excepté M. l’abbé Girard. En effet une conjonction est une sorte de mot, & chacun de ceux qui entrent dans l’une de ces phrases que l’on traite de conjonctions, doit être rapporté à sa classe. Ainsi on n’a pas dû regarder comme des conjonctions, les phrases si ce n’est, c’est-à-dire, pourvu que, parce que, à condition que, au surplus, c’est pourquoi, par conséquent, &c.

En adoptant ce principe, M. l’abbé Girard est tombé dans une autre méprise : il a écrit de suite les mots élémentaires de plusieurs de ces phrases, comme si chacune n’étoit qu’un seul mot ; & l’on trouve dans son système des conjonctions, deplus, dailleurs, pourvuque, amoins, bienque, nonplus, tandisque, parceque, dautantque, parconséquent, entantque, aureste, dureste ; ce qui est contraire à l’usage de notre orthographe, & conséquemment aux véritables idées des choses. On doit écrire de plus, d’ailleurs, pourvu que, à moins, bien que, non plus, tandis que, parce que, d’autant que, par conséquent, en tant que, au reste, du reste.

Un second principe qu’il ne faut plus que rappeller, c’est que tout mot qui peut être rendu par une préposition avec son complément est un adverbe : d’où il suit qu’aucun mot de cette espece ne doit entrer dans le système des conjonctions ; en quoi peche celui de M. l’abbé Girard, copié par M. du Marsais.

Cette conséquence est évidente d’abord pour toutes les phrases où notre orthographe montre distinctement une préposition & son complément, comme à moins, au reste, d’ailleurs, de plus, du reste, par conséquent. L’auteur des vrais principes s’explique ainsi lui-même : « Par conséquent n’est mis au rang des conjonctions qu’autant qu’on l’écrit de suite sans en faire deux mots ; autrement chacun doit être rapporté à sa classe : & alors par sera une préposition, conséquent un adjectif pris substantivement ; ces deux mots ne changent point de nature, quoiqu’employés pour énoncer le membre conjonctif de la phrase ». (tom. II. pag. 284.) Mais il est constant qu’une préposition avec son complément est l’équivalent d’un adverbe, & que tout mot qui est l’équivalent d’une préposition avec son complément est un adverbe ; d’où il suit que quand on écriroit de suite par conséquent, il n’en seroit pas moins adverbe, parce que l’étymologie y retrouveroit toujours les mêmes élémens, & la Logique le même sens.

C’est par la même raison que l’on doit regarder comme de simples adverbes, les mots suivans réputés communément conjonctions.

Cependant, néanmoins, pourtant, toutefois, sont adverbes ; l’abréviateur de Richelet le dit expressément des deux derniers, qu’il explique par les premiers, quoiqu’à l’article néanmoins il désigne ce mot comme conjonction. Lorsque cependant est relatif au tems, c’est un adverbe qui veut dire pendant ce tems ; & quand il est synonyme de néanmoins, pourtant, toutefois, il signifie, comme les trois autres, malgré ou nonobstant cela, avec les différences délicates que l’on peut voir dans les synonymes de l’abbé Girard.

Enfin c’est évidemment enfin, c’est-à-dire pour fin, pour article final, finalement, adverbe.

C’est la même chose d’afin, au lieu de quoi l’on disoit anciennement à celle fin, qui subsiste encore dans les patois de plusieurs provinces, & qui en est la vraie interprétation.

Jusque, regardé par Vaugelas (Rem. 514.) comme une préposition, & par l’abbé Girard, comme une conjonction, est effectivement un adverbe, qui signifie à-peu-près sans discontinuation, sans exception, &c. Le latin usque, qui en est le correspon-

dant & le radical, se trouve pareillement employé

à-peu-près dans le sens de jugiter, assiduè, indesinenter, continuè ; & ce dernier veut dire in spatio (temporis aut loci) continuo ; ce qui est remarquable, parce que notre jusque s’emploie également avec relation au tems & au lieu.

Pourvu signifie sous la condition ; & c’est ainsi que l’explique l’abréviateur de Richelet ; c’est donc un adverbe.

Quant signifie relativement, par rapport.

Surtout vient de sur tout, c’est-à-dire principalement : il est si évidemment adverbe, qu’il est surprenant qu’on se soit avisé d’en faire une conjonction.

Tantôt répété veut dire, la premiere fois, dans un tems, & la seconde fois, dans un autre tems : tantot caressante & tantot dédaigneuse, c’est-à-dire caressante dans un tems & dédaigneuse dans un autre. Les Latins répetent dans le même sens l’adverbe nunc, qui ne devient pas pour cela conjonction.

Remarquez que dans tous les mots que nous venons de voir, nous n’avons rien trouvé de conjonctif qui puisse autoriser les Grammairiens à les regarder comme conjonctions. Il n’en est pas de même de quelques autres mots, qui étant analysés, renferment en effet la valeur d’une préposition avec son complément, & de plus un mot simple qui ne peut servir qu’à lier.

Par exemple, ainsi, aussi, donc, partant signifient & par cette raison, & pour cette cause, & par conséquent, & par résultat : ce sont des adverbes, si vous voulez, mais qui indiquent encore une liaison : & comme l’expression déterminée du complément d’un rapport, fait qu’un mot, sous cet aspect, n’est plus une préposition, quoiqu’il la renferme encore, mais un adverbe ; l’expression de la liaison ajoutée à la signification de l’adverbe doit faire pareillement regarder le mot comme conjonction, & non comme adverbe, quoiqu’il renferme encore l’adverbe.

C’est la même chose de lorsque, quand, qui veulent dire dans le tems que ; quoique, qui signifie malgré la raison, ou la cause, ou le motif que ; puisque, qui veut dire par la raison supposée ou posée que (posite quod, qui en est peut-être l’origine, plutôt que postquam assigné comme tel par Ménage) ; si, c’est-à-dire sous la condition que, &c.

La facilité avec laquelle on a confondu les adverbes & les conjonctions, semble indiquer d’abord que ces deux sortes de mots ont quelque chose de commun dans leur nature ; & ce que nous venons de remarquer en dernier lieu met la chose hors de doute, en nous apprenant que toute la signification de l’adverbe est dans la conjonction, qui y ajoute de plus l’idée de liaison entre des propositions. Concluons donc que les conjonctions sont des mots qui désignent entre les propositions, une liaison fondée sur les rapports qu’elles ont entre elles.

De-là la distinction des conjonctions en copulatives, adversatives, disjonctives, explicatives, périodiques, hypothétiques, conclusives, causatives, transitives & déterminatives, selon la différence des rapports qui fondent la liaison des propositions.

Les conjonctions copulatives, &, ni, (& en latin &, ac, atque, que, nec, neque), désignent entre des propositions semblables, une liaison d’unité, fondée sur leur similitude.

Les conjonctions adversatives mais, quoique, (& en latin sed, at, quamvis, etsi, &c.), désignent entre des propositions opposées à quelques égards, une liaison d’unité, fondée sur leur compatibilité intrinseque.

Les conjonctions disjonctives ou, soi, (ve, vel, aut, seu, sive,) désignent entre des propositions incompatibles, une liaison de choix, fondée sur leur incompatibilité même.