Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 10.djvu/757

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ment se concilier sur ce point. Pour être l’image fidéle du jugement, une proposition doit donc énoncer exactement ce qui se passe alors dans l’esprit, & montrer sensiblement un sujet, un attribut, & l’existence intellectuelle du sujet sous cet attribut.

7°. Les modes sont les diverses formes qui indiquent les différentes relations des tems du verbe à l’ordre analytique ou aux vûes logiques de l’énonciation. Voyez Mode. On a comparé les modes du verbe aux cas du nom : je vais le faire aussi, mais sous un autre aspect. Tous les tems expriment un rapport d’existence à une époque ; c’est là l’idée commune de tous les tems, ils sont synonymes à cet égard ; & voici ce qui en différencie la signification : les présens expriment la simultanéité à l’égard de l’époque, les prétérits expriment l’antériorité, les futurs la postériorité ; les tems indéfinis ont rapport à une époque indéterminée, & les définis à une époque déterminée ; parmi ceux-ci, les actuels ont rapport à une époque co-incidente avec l’acte de la parole, les antérieurs à une époque précédente, les postérieurs à une époque subséquente, &c. ce sont là comme les nuances qui distinguent des mots synonymes quant à l’idée principale ; ce sont des vûes métaphysiques ; en voici de grammaticales. Les noms latins anima, animus, mens, spiritus, synonymes par l’idée principale qui fonde leur signification commune, mais différens par les idées accessoires comme par les sons, reçoivent des terminaisons analogues que l’on appelle cas ; mais chacun les forme à sa manière, & la déclinaison en est différente ; anima est de la premiere, animus est de la seconde, mens de la troisieme, spiritus de la quatrieme. Il en est de même des tems du verbe, synonymes par l’idée fondamentale qui leur est commune, mais différens par les idées accessoires ; chacun d’eux reçoit pareillement des terminaisons analogues que l’on nomme modes, mais chacun les forme à sa maniere ; amo, amem, amare, amans, sont les différens modes du présent indéfini ; amavi, amaverim, amavisse, sont ceux du prétérit ; &c. ensorte que les différentes formes d’un même tems, selon la diversité des modes, sont comme les différentes formes d’un même nom, selon la diversité des cas ; & les différens tems d’un même mode, sont comme différens noms synonymes au même cas ; les cas & les modes sont également relatifs aux vûes de l’énonciation.

Mais la différence des cas dans les noms n’empêche pas qu’ils ne gardent toujours la même signification spécifique ; ce sont toujours des mots qui présentent à l’esprit des êtres déterminés par l’idée de leur nature. La différence des modes ne doit donc pas plus altérer la signification spécifique des verbes. Or nous avons vû que les formes temporelles portent sur l’idée fondamentale de l’existence d’un sujet sous un attribut ; voilà donc la notion que l’analyse nous donne des verbes : les verbes sont des mots qui présentent à l’esprit des êtres indéterminés, désignés seulement par l’idée de l’existence sous un attribut.

De-là la premiere division du verbe, en substantif ou abstrait, & en adjectif ou concret, selon qu’il énonce l’existence sous un attribut quelconque & indéterminé, ou sous un attribut précis & déterminé.

De-là la sous-division du verbe adjectif ou concret, en actif, passif ou neutre, selon que l’attribut déterminé de la signification du verbe est une action du sujet ou une impression produite dans le sujet sans concours de sa part, ou un attribut qui n’est ni action, ni passion, mais un simple état du sujet.

De-là enfin, toutes les autres propriétés qui servent de fondement à toutes les parties de la conjugaison du verbe, lesquelles, selon une remarque générale que j’ai déja faite plus haut, doivent dans

l’ordre synthétique, découler de cette notion du verbe, puisque cette notion en est le résultat analytique. Voyez Verbe.

II. Des mots indéclinables. La déclinabilité dont on vient de faire l’examen, est une suite & une preuve de la possibilité qu’il y a d’envisager sous différens aspects, l’idée objective de la signification des mots déclinables. L’indéclinabilité des autres especes de mots est donc pareillement une suite & une preuve de l’immutabilité de l’aspect sous lequel on y envisage l’idée objective de leur signification. Les idées des êtres, réels ou abstraits qui peuvent être les objets de nos pensées, sont aussi ceux de la signification des mots déclinables ; c’est pourquoi les aspects en sont variables : les idées objectives de la signification des mots indéclinables sont donc d’une toute autre espece, puisque l’aspect en est immuable ; c’est tout ce que nous pouvons conclure de l’opposition des deux classes générales de mots : & pour parvenir à des notions plus précises de chacune des especes indéclinables, qui sont les prépositions, les adverbes, & les conjonctions ; il faut les puiser dans l’examen analytique des différens usages de ces mots.

1°. Les prépositions dans toutes les langues, exigent à leur suite un complément, sans lequel elles ne présentent à l’esprit qu’un sens vague & incomplet ; ainsi les prépositions françoises avec, dans, pour, ne présentent un sens complet & clair, qu’au moyen des complémens ; avec le roi, dans la ville, pour sortir : c’est la même chose des prépositions latines, cùm, in, ad, il faut les completter ; cùm rege, in urbe, ad exeundum.

Une seconde observation essentielle sur l’usage des prépositions, c’est que dans les langues dont les noms ne se déclinent point, on désigne par des prépositions la plûpart des rapports dont les cas sont ailleurs les signes : manus Dei, c’est en françois, la main de Dieu ; dixit Deo, c’est il a dit à Dieu.

Cette derniere observation nous indique que les prépositions désignent des rapports : l’application que l’on peut faire des mêmes prépositions à une infinité de circonstances différentes, démontre que les rapports qu’elles désignent font abstraction de toute application, & que les termes en sont indéterminés. Qu’on me permette un langage étranger sans doute à la grammaire, mais qui peut convenir à la Philosophie, parce qu’elle s’accommode de droit de tout ce qui peut mettre la vérité en évidence : les calculateurs disent que 3 est à 6, comme 5 est à 10, comme 8 est à 16, comme 25 est à 50, &c. que veulent-ils dire ? que le rapport de 3 à 6 est le même que le rapport de 5 à 10, que le rapport de 8 à 16, que le rapport de 25 à 50 ; mais ce rapport n’est aucun des nombres dont il s’agit ici ; & on le considere avec abstraction de tout terme, quand on dit que en est l’exposant. C’est la même chose d’une préposition ; c’est, pour ainsi dire, l’exposant d’un rapport considéré d’une maniere abstraite & générale, & indépendamment de tout terme antécédent & de tout terme conséquent. Aussi disons-nous avec la même préposition, la main de Dieu, la colere de ce prince, les désirs de l’ame ; & de même contraire à la paix, utile à la nation, agréable à mon pere, &c. les Grammairiens disent que les trois premieres phrases sont analogues entr’elles, & qu’il en est de même des trois dernieres ; c’est le langage des Mathématiciens, qui disent que les nombres 3 & 6, 5 & 10 sont proportionnels ; car analogie & proportion, c’est la même chose, selon la remarque même de Quintilien : Analogia præcipuè, quam, proximè ex græco transferentes in latinum, proportionem vocaverunt. liv. I.

Nous pouvons donc conclure de ces observations