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espece. Animal, homme, brute, chien, cheval, &c. sont des noms appellatifs ; animal est générique à l’égard des noms homme & brute, qui sont spécifiques par rapport à animal ; brute est générique à l’égard des noms chien, cheval, &c. & ceux-ci sont spécifiques à l’égard de brute : Ciceron, Médor, Bucephale, sont des noms propres compris sous les spécifiques homme, chien, cheval.

Il en est encore des adjectifs & des verbes, par rapport aux genres, comme par rapport aux nombres & aux cas : ce sont des terminaisons différentes qu’ils prennent successivement selon le genre propre du nom auquel ils ont rapport, qu’ils imitent en quelque maniere, & avec lequel ils s’accordent. Ainsi dans la même phrase de Phedre, l’adjectif eumdem a une inflexion masculine pour s’accorder en genre avec le nom rivum, auquel il se rapporte ; & l’adjectif verbe ou participe compulse, a de même la terminaison masculine pour s’accorder en genre avec les deux noms lupus & agnus, ses corrélatifs. Il en résulte donc encore que ces deux especes de mots présentent à l’esprit des êtres indéterminés.

4°. La distribution physique des noms en différentes classes que l’on nomme genres, & leur division métaphysique en appellatifs génériques, spécifiques & propres, sont également fondées sur l’idée déterminative qui caractérise cette espece. La division des pronoms doit avoir un fondement pareil, si l’analogie qui regle tout d’une maniere plus ou moins marquée, ne nous manque pas ici. Or on divise les pronoms par les personnes, & l’on distingue ceux de la premiere, ceux de la seconde, & ceux de la troisieme.

Les personnes sont les relations des êtres à l’acte même de la parole ; & il y en a trois, puisqu’on peut distinguer le sujet qui parle, celui à qui on adresse la parole, & enfin l’être, qui est simplement l’objet du discours, sans le prononcer & sans être apostrophé. Voyez Personne. Or les usages de toutes les langues déposent unanimement que l’une de ces trois relations à l’acte de la parole, est déterminément attachée à chaque pronom : ainsi ἐγω en grec, ego en latin, ich en allemand, io en italien ; je en françois, expriment déterminément le sujet qui produit ou qui est censé produire l’acte de la parole, de quelque nature que soit ce sujet, mâle ou femelle, animé même ou inanimé, réel ou abstrait ; σύ en grec, tu en latin, du ou ihr en allemand, tu, que l’on prononcera tou en italien, tu ou vous en françois, marquent déterminément le sujet auquel on adresse la parole, &c. Les noms au contraire n’ont point de relation fixe à la parole, c’est-à dire point de personne fixe ; sous la même terminaison, ou sous des terminaisons différentes, ils sont tantôt d’une personne & tantôt d’une autre, selon l’occurrence. Ainsi dans cette phrase, ego Joannes vidi, le nom Joannes est de la premiere petsonne par concordance avec ego, comme ego est du masculin par concordance avec Joannes ; le pronom ego détermine la personne qui est essentiellement vague dans Joannes, comme le nom Joannes détermine la nature qui est essentiellement indéterminée dans ego : dans Joannes vidisti, le même nom Joannes est de la seconde personne, parce qu’il exprime le sujet à qui on parle, & en cette occurrence on change quelquefois la terminaison, domine pour dominus : dans Joannes vidit, le nom Joannes est de la troisieme personne, parce qu’il exprime l’être dont on parle sans lui adresser la parole.

De même donc que sous le nom de genres on a rapporté les noms à différentes classes qui ont leur fondement commun dans la nature des êtres ; on a pareillement, sous le nom de personne, rapporté les pronoms à des classes différenciées par les diver-

ses relations des êtres à l’acte de la parole. Les personnes

sont à l’égard des pronoms, ce que les genres sont à l’égard des noms, parce que l’idée de la relation à l’acte de la parole, est l’idée caractéristique des pronoms, comme l’idée de la nature est celle des noms. L’idée de la relation à l’acte de la parole, qui est essentielle & précise dans les pronoms, demeure vague & indéterminée dans les noms ; comme l’idée de la nature, qui est essentielle & précise dans les noms, demeure vague & indéterminée dans les pronoms. Ainsi les êtres déterminés dans les noms par l’idée précise de leur nature, sont susceptibles de toutes les relations possibles à la parole ; & réciproquement, les êtres déterminés dans les pronoms par l’idée précise de leur relation à l’acte de la parole, peuvent être rapportés à toutes les natures.

Les adjectifs & les verbes sont toujours des mots qui présentent à l’esprit des êtres indéterminés, puisqu’à tous égards ils ont besoin d’être appliqués à quelque nom ou à quelque pronom, pour pouvoir prendre quelque terminaison déterminative. Les personnes, par exemple, qui ne sont dans les verbes que des terminaisons, suivent la relation du sujet à l’acte de la parole, & les verbes prennent telle ou telle terminaison personnelle, selon cette relation de leurs sujets à l’acte de la parole, ego Joannes vidi, tu Joannes vidisti, Joannes vidit.

5°. Le fil de notre analyse nous a menés jusqu’ici à la véritable notion des noms & des pronoms.

Les noms sont des mots qui présentent à l’esprit des êtres déterminés par l’idée précise de leur nature ; & de-là la division des noms en appellatifs & en propres, & celle des appellatifs en génériques & en spécifiques ; de-là encore une autre division des noms en substantifs & abstractifs, selon qu’ils présentent à l’esprit des êtres réels ou purement abstraits. Voyez Nom.

Les pronoms sont des mots qui présentent à l’esprit des êtres déterminés par l’idée précise de leur relation à l’acte de la parole ; & de là la division des pronoms par la premiere, la seconde & la troisieme personne. Voyez Pronom.

Mais nous ne connoissons encore de la nature des adjectifs & des verbes, qu’un caractere générique, savoir que les uns & les autres présentent à l’esprit des êtres indéterminés ; & il nous reste à trouver la différence caractéristique de ces deux especes. Cependant les deux especes de variations accidentelles qui nous restent à examiner, savoir les tems & les modes, appartiennent au verbe exclusivement. Par quel moyen pourrons-nous donc fixer les caracteres spécifiques de ces deux especes ? Revenons sur nos pas.

Quoique les uns & les autres ne présentent à l’esprit que des êtres indéterminés, les uns & les autres renferment pourtant dans leur signification une idée très-précise : par exemple, l’idée de la bonté est très-précise dans l’adjectif bon, & l’idée de l’amour ne l’est pas moins dans le verbe aimer, quoique l’être en qui se trouve ou la bonté ou l’amour y soit très-indéterminé. Cette idée précise de la signification des adjectifs & des verbes, doit être notre ressource, si nous saisissons quelques observations des usages connus.

Une singularité frappante, unanimement admise dans toutes les langues, c’est que l’adjectif n’a reçu aucune variation relative aux personnes qui caractérisent les pronoms. Les adjectifs mêmes dérivés des verbes qui sous le nom de participe réunissent en effet la double nature des deux parties d’oraison, n’ont reçu nulle part les inflexions personnelles, quoiqu’on en ait accordé à d’autres modes du verbe. Au contraire tous les adjectifs, tant ceux qui ne sont qu’adjectifs, que les participes, ont reçu, du-moins dans les langues qui les comportent, des inflexions relatives aux genres, dont on a vu que la distinction