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ensemble, non avec de l’eau, mais avec de l’huile de lin, que l’on remue tous les jours avec un morceau de fer. La premiere quantité est de 80 livres, que l’on augmente jusqu’à ce que le tout soit bien pris ; ce qui se connoît lorsque la masse entiere devenant unie, s’enfle de jour en jour en forme de pyramide, & l’eau qui étoit dans la chaux s’évapore : on y remet de l’huile tous les jours, de peur qu’elle ne se desseche, ce qui arrive cependant plus ou moins, selon la température des climats, des saisons, &c. Cette masse est ordinairement en été dix-huit ou vingt jours à acquérir son degré de perfection, & dans les autres tems de l’année davantage, à proportion de l’humidité de l’air, & de la rigueur des saisons ; de sorte qu’en hiver un mois entier ne suffit quelquefois pas pour la sécher : ce degré se connoît lorsque le mélange cessant de s’élever, l’eau qui étoit dans la chaux étant évaporée, elle demeure dans un état fixe, comme une espece d’onguent ; ce tems passé l’huile de lin s’évapore à son tour, & la poudre de marbre mêlée avec la chaux demeurant intimement liées, se durcissent & ne font plus qu’un corps solide.

Si l’on étoit pressé, on pourroit paîtrir dans ses mains de la chaux éteinte réduite en poudre, avec trois fois autant de poudre de marbre de Tibur, mêlée d’huile de lin, avec quoi l’on feroit un mastic semblable au précedent.

De la maniere de préparer le mastic. Pour préparer les murs, pavés, & autres choses semblables à recevoir la mosaïque, il faut y appliquer le mastic ; & pour cet effet, on enfonce auparavant dans ces murs de forts clous, à tête large, disposés en échiquier espacés les uns des autres d’environ deux pouces à deux & demi ; on les frotte ensuite avec un pinceau trempé dans l’huile de lin : au bout de quelques heures ou plus, selon l’humidité du tems, on garnit de mastic le pourtour de la tête de ces clous par petits morceaux, appliqués de plus en plus les uns sur les autres, jusqu’à ce qu’étant bien liés sur les murs, ils ne forment plus qu’un tout que l’on dresse alors à la regle ; on en fait environ 3 à 4 toises au plus de suite, pour qu’il ne se puisse durcir avant que l’on ait placé les petits morceaux de marbre que l’on joint bien proprement les uns contre les autres en les attachant au mastic ; lorsque tout l’ouvrage est bien pris, on le polit à la pierre-ponce bien également par-tout.

Si le mur étoit en pierre dure, & que l’on ne pût y enfoncer des clous, il faudroit alors y faire des trous à queue d’aronde, c’est-à-dire plus larges au fond que sur les bords, d’environ un pouce en quarré sur la même profondeur, espacés les uns des autres de deux pouces & demi à trois pouces, disposés en échiquier, que l’on empliroit ensuite de mastic, comme auparavant par petits morceaux les uns sur les autres, & bien liés ensemble. Ces trous assez près les uns des autres, à queue d’aronde & remplis d’un mastic qui, lorsqu’il est dur, ne peut plus ressortir, forment une espece de chaîne qui retient très solidement la masse.

On peut encore préparer ces murs d’une autre maniere, en y appliquant des ceintures ou bandes de fer entrelacées ; mais ce moyen augmente alors considérablement la dépense.

S’il arrivoit que l’on voulût faire des portraits, paysages, histoires & autres tableaux portatifs, tels que l’on en faisoit autrefois, ce qui s’exécute ordinairement sur le bois, il faudroit y enfoncer des clous à large tête, & y appliquer ensuite le mastic, de la maniere que nous l’avons vu.

III. partie. Des ouvrages de mosaïque. La mosaïque étant un composé de petits morceaux de marbre de diverses formes joints ensemble, les habiles ou-

vriers exigent que chacun d’eux soit d’une seule couleur,

de maniere que les changemens & diminutions de couleurs & de nuances, s’y fassent par différentes pierres réunies les unes contre les autres, comme elles se font dans la tapisserie par différens points dont chacun n’est que d’une seule couleur. Aussi est-il nécessaire qu’ils soient travaillés & rejoints avec beaucoup d’art, & que le génie de l’ouvrier soit riche, pour produire l’agréable diversité qui en fait toute la beauté & le charme. On voit encore en Italie, quantité de ces ouvrages. Ciampinus a fait graver la plus grande partie de ceux qui lui ont paru les plus beaux ; on voit aussi dans plusieurs de nos maisons royales quelques portraits, paysages, &c. encore existans de ces sortes d’ouvrages.

On divisoit anciennement les ouvrages de mosaïque en trois especes ; la premiere étoit de ceux que l’on nommoit grands, qui avoient environ dix piés en quarré au-moins ; on les employoit à tout ce qu’on pouvoit appeller pavé, exposé & non exposé aux injures de l’air ; on n’y représentoit aucune figure d’hommes ni d’animaux, mais seulement des peintures semblables à celles que l’on nomme arabesques ; on peut voir dans l’art de Marbrerie quantité de ces sortes de pavés. La deuxieme espece étoit de ceux que l’on appelloit moyens, qui avoient au-moins deux piés en quarré, & étoient composés de pierres moins grandes, par conséquent en plus grande quantité, & exigeoient aussi plus de délicatesse & de propreté que les autres. La troisieme espece étoit de ceux que l’on nommoit petits, ces derniers qui alloient jusqu’à un pié en quarré étoient les plus compliqués par la petitesse des pierres dont ils étoient composés, la difficulté de les assembler avec propreté, & l’énorme quantité des figures qui alloit jusqu’à deux millions.

La fig. 1. Pl. I. représente un paysage de la premiere espece, que le savant Marie Suarez, évêque de Vaison, contemporain de Ciampinus, a apporté lui-même à Preneste sa patrie ; on y voit sur le devant un pêcheur monté sur sa barque parcourant les bords du Nil.

La fig. 2. Pl. II. est un autre paysage de la derniere espece, exécuté dans l’église de S. Alexis à Rome, dont le fond représente le palais d’un prince souverain sur les bord du Nil ou de quelque autre grand fleuve, au-devant duquel sont deux barques de pêcheurs, dont l’une va à la voile.

La fig. 3. représente un assemblage de quelques animaux de diverses especes exécutés sur le pilastre qui soutient l’arc de triomphe en face du sanctuaire, dans l’église de sainte Marie, au-delà du Tibre.

La fig. 4. représente Europe, fille d’Agenor, roi de Phénicie, enlevée par Jupiter changé en taureau, trait assez connu dans Ovide. Ce tableau conservé dans le palais du prince Barberin, porte environ deux piés & demi en quarré, & a été trouvé dans un lieu appellé communément l’Aréione, proche les murs de la ville de Préneste, parmi les débris de marbre de différente façon, qu’on a employés dans la suite à décorer des colonnes de différens ordres.

La fig. 5. Pl. III. est une statue trouvée dans quelques anciens monumens au-delà de la porte Asinaria, appellée maintenant la rue Latine de S. Jean. Cette figure plongée dans l’obscurité, semble représenter le Sommeil tenant en sa main gauche trois fleurs appellées pavots, attributs de cette divinité. A l’égard de ce qu’elle tenoit de la main droite, & que le tems a fait tomber ; on croit selon la fiction des Poëtes qu’elle portoit une corne qui contenoit de l’eau du fleuve Lethé.