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point de vérités trop triviales, comme seroit celle-ci, qu’il faut ménager sa santé.

Phedre & la Fontaine placent indifféremment la moralité, tantôt avant, tantôt après le récit, selon que le goût l’exige ou le permet. L’avantage est à-peu-près égal pour l’esprit du lecteur, qui n’est pas moins exercé, soit qu’on la place auparavant ou après. Dans le premier cas, on a le plaisir de combiner chaque trait du récit avec la vérité ; dans le second cas, on a le plaisir de la suspension ; on devine ce qu’on veut nous apprendre, & on a la satisfaction de se rencontrer avec l’auteur, ou le mérite de lui ceder, si on n’a point réussi.

Moralités, (Théâtre françois.) c’est ainsi qu’on appella d’abord les premieres comédies saintes qui furent jouées en France dans le xv. & xvj. siecles. Voyez Comédies saintes.

Au nom de moralités, succéda celui de mysteres de la Passion. Voyez Mysteres de la passion.

Ces pieuses farces étoient un mélange monstrueux d’impiétés & de simplicités, mais que ni les auteurs, ni les spectateurs n’avoient l’esprit d’appercevoir. La Conception à personnages, (c’est le titre d’une des premieres moralités, jouée sur le theâtre françois, & imprimée in-4°. gothique, à Paris chez Alain Lotrian,) fait ainsi parler Joseph :


Mon soulcy ne se peut deffaire
De Marie mon épouse saincte
Que j’ai ainsi trouvée ençainte,
Ne sçay s’il y a faute ou non.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
De moi n’est la chose venue ;
Sa promesse n’a pas tenue.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Elle a rompu son mariage,
Je suis bien infeible, incrédule,
Quand je regarde bien son faire,
De croire qu’il n’y ait meffaire.

Elle est ençainte, & d’où viendroit
Le fruict ? Il faut dire par droit,
Qu’il y ait vice d’adultere,
Puisque je n’en suis pas le pere.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Elle a été troys moys entiers
Hors d’icy, & au bout du tiers
Je l’ay toute grosse receuë :
L’auroit quelque paillard déceuë,
Ou de faict voulu efforçer ?

Ha ! brief, je ne sçay que penser !

Voilà de vrais blasphêmes en bon françois ! Et Joseph alloit quitter son épouse, si l’ange Gabriël ne l’eût averti de n’en rien faire.

Mais qui croiroit qu’un jésuite espagnol, du xvij. siecle, Jean Carthagena, mort à Naples en 1617, ait débité dans un livre, intitulé Josephi mysteria, que S. Joseph peut tenir rang parmi les martyrs, à cause de la jalousie qui lui déchiroit le cœur, quand il s’apperçut de jour en jour de la grossesse de son épouse. Quelle porte n’ouvre-t-on point aux railleries des profanes, lorsqu’on ose faire des martyrs de cette nature, & qu’on expose nos mysteres à des idées d’imagination si dépravée ! (D. J.)

MORAT, (Géogr.) petite ville de la Suisse, sur la route d’Avenche à Berne, capitale du bailliage du même nom, appartenant aux cantons de Berne & de Fribourg.

Morat est illustré par trois sieges mémorables, qu’il a soutenus glorieusement ; le premier en 1032, contre l’empereur Conrard le Salique ; le second en 1292, contre l’empereur Rodolphe de Habsbourg ; & le troisieme en 1476, contre Charles le Hardi dernier duc de Bourgogne. Ce dernier siege fut suivi de

cette fameuse bataille, où les Suisses triompherent, & mirent l’armée du duc dans la déroute la plus complette. Les habitans de Morat célebrent encore de tems à autre ce grand événement par des fêtes & des réjouissances publiques. Ce fut-là l’aurore de leur liberté, que M. de Voltaire a peinte d’un si beau coloris dans les vers suivans :


Je vois la liberté répandant tous les biens,
Descendre de Morat en habit de guerriere,
Les mains teintes du sang des fiers Autrichiens,
Et de Charles le téméraire.
Devant elle on portoit ces piques & ces dards,
On traînoit ces canons, ces échelles fatales
Qu’elle-même brisa, quand ses mains triomphales
De
Morat en danger, défendoit les remparts ;
Tout un peuple la suit, sa naïve allegresse
Fit à tout l’Appennin répéter ses clameurs ;
Leurs fronts sont couronnés de ces fleurs que la Grece
Aux champs de Marathon, prodiguoit aux vainqueurs.

A un quart de lieue de Morat, on voit sur le grand chemin d’Avence, une chapelle autrefois remplie d’ossemens des bourgignons qui périrent au siege & à la bataille de 1476. Au-dessous de la porte de la chapelle dont je parle, on lit cette inscription singuliere, que les Suisses y ont fait graver : Deo. Opt. Max. Caroli inclyti, & fortissimi Burgundiæ ducis, exercitus Muratum obsidens, ab Helvetiis cæsus, hoc sui monumentum reliquit, anno 1476.

Le territoire de Morat est un pays de vignes, de champs, de prés, de bois & de marais. Son lac joint à un canal qui se rend au lac d’Yverdun & de Neuchatel, y répand du commerce. Le lac de Morat peut avoir 25 brasses de profondeur, & nourrit du poisson délicat.

Le bailliage de Morat appartient en commun aux cantons de Berne & de Fribourg, & l’on y parle, comme dans la ville, les deux langues, l’allemand & le françois, ou romand ; mais tout le baillage est de la religion protestante. Elle fut établie dans Morat en 1530, à la pluralité des voix, en présence des députés de Berne & de Fribourg. Le reste du bailliage imita bientôt l’exemple des habitans de la ville.

Elle est en partie située sur une hauteur qui a une belle esplanade, en partie au bord du lac de son nom, à 4 lieues O. de Berne, & pareille distance N. E. de Fribourg. Long. 24. 56. lat. 47. (D. J.)

MORANKGAST, (Hist. nat. Botan.) grand arbre des Indes orientales. Ses feuilles sont petites & rondes ; ses rameaux ont beaucoup d’étendue : il produit des siliques remplies d’une espece de feves que les habitans des Maldives mangent très-communément.

MORATOIRES LETTRES, litteræ-moratoriæ. (Jurisp.) C’est ainsi qu’on nomme en Allemagne, des lettres que l’on obtient de l’empereur & des états de l’Empire, en vertu desquelles les créanciers doivent accorder à leurs débiteurs un certain tems marqué par ces lettres, pendant lequel ils ne peuvent point les inquiéter. Suivant les lois de l’Empire, les lettres moratoires ne doivent s’accorder que sur des raisons légitimes & valables ; & celui qui les obtient, doit donner caution qu’il payera ce qu’il doit, lorsque le délai qu’il a demandé sera expiré. Les lettres moratoires sont la même chose que ce qu’on appelle lettres d’état en France. (—)

MORAVA la, (Géog.) riviere de Moravie, de Hongrie & d’Autriche, elle a sa source aux confins de la Bohème, & court entre l’Autriche & la Hongrie, jusqu’au Danube.

Morava la, (Géog.) le Margus des Latins ; les Allemands l’appellent der Maher, & les Bohémiens,