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gluten composé de limon & de sable. Il prétend qu’il y a eu autant d’inondations, qu’il y a de couches différentes ; que ces inondations se sont faites à une grande distance les unes des autres ; que les tremblemens de la terre & ses affaissemens ont dérangé & détruit quelques montagnes ; d’où l’on voit qu’elles n’ont pu être formées ni en même tems, ni de la même maniere. Voyez Terre (couches de la).

Enfin, M. Rouelle a un sentiment sur la formation des montagnes qu’il faut espérer qu’il communiquera quelque jour au public ; en attendant voici les principaux points de son système, qui paroît avoir beaucoup de vraissemblance. Il suppose que dans l’origine des choses les substances qui composent notre globe nâgeoient dans un fluide ; que les parties similaires qui composent les grandes montagnes, se sont rapprochées les unes des autres, & ont formé au fond des eaux une crystallisation. Ainsi il regarde toutes les montagnes primitives comme des crystaux qui se sont quelquefois groupés & réunis à la maniere des sels, & qui quelquefois se sont trouvés isolés. Ce sentiment acquerra beaucoup de probabilité, quand on fera attention à la forme pyramidale que les grandes montagnes affectent pour l’ordinaire, & que les pierres en le formant suivent toûjours une espece de régularité dans le tissu ou l’arrangement de leurs parties. A l’égard des montagnes par couches, M. Rouelle les attribue tant au séjour de la mer, qu’au déluge universel, & aux inondations locales, & aux autres révolutions particulieres, arrivées à quelques portions de notre globe. (—)

Montagnes, s. f. (Géog) dans l’article qui précede on a considéré les montagnes en physicien ; dans celui-ci on va les considérer relativement à la Géographie, c’est-à-dire, suivant leur position, leur hauteur, leur étendue en longueur, qui sert souvent de limites entre les peuples, & leurs rapports.

Divers auteurs en traitant des principes de la Géographie, ont indiqué dans leurs ouvrages des regles pour mesurer la hauteur des montagnes ; mais ces regles, quoique fort belles, appartiennent à la Physique & à la Trigonométrie. C’est assez de remarquer en passant, que la méthode qu’on donne de mesurer la hauteur d’un sommet de montagnes par les angles, n’est pas d’une exactitude certaine, à cause de la réfraction de l’air, qui en change plus ou moins le calcul à proportion de la hauteur ; & c’est un inconvénient considérable dans cette méthode. La voie du barometre seroit plus courte & plus facile, si on avoit pu convenir du rapport précis qu’a son élévation avec celle des lieux où il est placé ; car le mercure contenu dans le barometre ne monte ni ne descend que par le plus ou le moins de pesanteur de la colonne d’air qui presse. Or cette colonne doit être plus courte au sommet d’une montagne, qu’au pié.

On a tâché de fixer le rapport de la hauteur du vif argent à celle de la montagne ; mais il ne paroît pas que l’on soit encore arrivé à cette précision si nécessaire pour la sûreté du calcul. Par exemple, on a trouvé que sur le sommet du Snowdon-Hill, qui est une des plus hautes montagnes de la grande-Bretagne, le mercure baisse jusqu’à 24 degrés. Il s’agiroit donc pour mesurer la hauteur de cette montagne, d’établir exactement combien cette baisse doit valoir de toises ; cependant c’est là-dessus qu’on n’est point d’accord ; les tables de M. Cassini donnent pour 24 degrés de la hauteur du barometre 676 toises ; celles de Mariote, 544 toises ; & celles de Scheuchzer, 559. Cette différence si grande entre d’habiles gens, est une preuve de l’imperfection où est encore cette méthode.

Je ne parle pas de la maniere qu’ont les voya-

geurs de mesurer la hauteur d’une montagne, en

comptant les heures qu’ils marchent pour arriver au sommet, & faisant de chaque heure une lieue. Tout le monde sent que cette méthode est la plus fautive de toutes ; car outre qu’on ne monte point une montagne en ligne droite, que l’on fait des détours pour en adoucir la marche, le tems que l’on met à la monter, doit varier à proportion que l’on va plus ou moins vîte, & que la pente est plus ou moins roide.

Il est certain qu’il y a des montagnes d’une extrème hauteur, comme le Caucase en Asie, le mont Cassin, les Andés en Amérique, le pic d’Adam dans l’ile de Ceylan, le pic saint Georges aux Açores, le pic de Ténériffe en Afrique, & plusieurs autres.

Il y a des montagnes isolées & indépendantes, qui semblent sortir d’une plaine, & dont on peut faire le tour. Il y en a qui sont contiguës à d’autres montagnes, comme les Alpes, les Pyrénées, le mont Ktapack, &c.

Il y a des montagnes qui semblent entassées les unes sur les autres ; de sorte que quand on est arrivé au sommet de l’une, on trouve une plaine où commence le pié d’une autre montagne. De-là est venu l’idée poétique de ces géans, qui posoient les montagnes l’une sur l’autre pour escalader le ciel. Il y a des montagnes qui s’étendent à-travers de vastes pays, & qui souvent leur servent de bornes. Les Alpes, par exemple, séparent l’Italie de la France & de l’Allemagne.

Les montagnes ainsi continuées, se nommoient en latin jugum, & s’appellent dans notre langue une chaîne de montagnes, parce que ces montagnes sont comme enchaînées l’une à l’autre ; & quoiqu’elles ayent de tems en tems quelque interruption, soit pour le passage d’une riviere, soit par quelque col, pas, ou défilé, qui les abaisse, elles se relevent bientôt, & continuent leur cours.

Ainsi les Alpes traversant la Savoie & le Dauphiné, se continuent par une branche qui commence au pays de Gex, court le long de la Franche-Comté, du Suntgow, de l’Alsace, du Palatinat, jusqu’au Rhin & la Vétéravie. Une autre branche part du Dauphiné, recommence de l’autre côté du Rhône, traverse le Vivarais, le Lyonnois, & la Bourgogne jusqu’à Dijon, envoie ses rameaux dans l’Auvergne & dans le Forès. Au midi elle se continue par les Cévennes, traverse le Languedoc, & se joint aux Pyrénées, qui séparent la France de l’Espagne.

Ces mêmes montagnes se partagent sous d’autres noms en quantité de branches. L’une court par la Navarre, la Biscaye, la Catalogne, l’Arragon, la nouvelle Castille, la Manche, la Sierra Moréna, & traverse le Portugal. Une autre branche partant de la Manche, traverse le royaume de Grenade, l’Andalousie, & vient se terminer à Gibraltar, pour se relever en Afrique, de l’autre côté du détroit où commence le mont Atlas, dont je parlerai bientôt.

Ce n’est pas tout encore. Les Alpes occupées par les Suisses, la Souabe, & le Tirol, envoyent une nouvelle branche qui serpente dans la Carniole, la Stirie, l’Autriche, la Moravie, la Bohème, la Pologne, jusque dans la Prusse. Une autre branche différente part du Tirol, parcourt le Cadorin, le Frioul, la Carniole, l’Istrie, la Croatie, la Dalmatie, l’Albanie ; tandis qu’une des branches va se terminer dans le golfe de Patras, une autre va séparer la Janna de la Livadie ; une autre va couper en deux la Macédoine ; une autre se divisant en divers rameaux, va former les fameuses montagnes de Thrace. Ces mêmes montagnes descendent dans la Bosnie, la Servie, passent le Danube, se portent le long de la Valachie, & vont à-travers la Transylvanie