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tagnes qui sont dûes à une formation plus récente. Il n’est pas douteux que les révolutions que la terre a éprouvées & éprouve encore journellement n’y produisent des nouvelles éminences ; ce sont sur tout les feux souterreins & les inondations, qui sont les plus propres à opérer ces changemens à la surface de la terre. Un grand nombre d’exemples nous prouvent que les embrasemens de la terre ont souvent formé des montagnes dans des endroits où il n’y en avoit point auparavant. C’est ainsi que les histoires nous apprennent qu’il s’est formé des montagnes & des îles par l’abondance des pierres, des terres, du sable, & des autres matieres que les feux souterreins ont soulevés & fait sortir même du fond de la mer. Les montagnes formées de cette maniere sont aisées à reconnoître, elles ne sont que des amas de débris, de pierres brisées, de pierres ponces, de matiere vitrifiée ou de lave, de soufre, de cendres, de sels, de sable, &c. & il est aisé de les distinguer des montagnes primitives dont d’ailleurs elles n’ont jamais la hauteur.

Quant aux montagnes qui ont été formées par des inondations, elles différent des montagnes primitives par la forme : nous avons déja fait remarquer que ces dernieres sont en pyramides, au lieu que celles dont nous parlons sont arrondies par le haut, couvertes de terres qui forment souvent une surface plane très-étendue ; on y trouve aussi soit du sable, soit des fragmens de pierres, soit des amas de cailloux arrondis & qui paroissent avoir été roulés par les eaux, & semblables à ceux du lit des rivieres. Il y a lieu de croire que les eaux du déluge ont pû produire quelques unes de ces montagnes ; cependant plusieurs phénomenes semblent prouver que c’est principalement au séjour de la mer, sur des parties de notre continent qu’elle a depuis laissées à sec, que la plûpart de ces montagnes doivent leur origine. En effet nous voyons qu’à l’intérieur ces montagnes sont composées d’un amas de lits ou de couches horisontales, ou du-moins foiblement inclinées à l’horison. Ces couches ou ces lits sont remplis d’une quantité prodigieuse de coquilles, de corps marins, d’ossemens de poissons ; on y rencontre des bois, des empreintes de plantes, des matieres résineuses qui visiblement tirent leur origine du regne végétal. Les couches de ces montagnes varient à l’infini ; elles sont composées tantôt de sable fin, tantôt de gravier, tantôt de glaise, tantôt de craie ou de marne, tantôt de différens lits de pierres qui se succedent les uns aux autres. les pierres que l’on rencontre dans ces couches sont d’une nature très-différente de celles qui sont le noyau des montagnes primitives : ce sont des marbres qui sont souvent remplis de corps marins ; des grès formés d’un amas de grains de sable ; des pierres à chaux qui paroissent uniquement formées de débris de coquilles ; des ardoises formées par de l’argille, durcies & pétrifiées, & quelquefois chargées d’empreintes de plantes ; de la pierre à plâtre ; de la serpentine, &c.

A l’égard des substances métalliques ou des mines que l’on trouve dans ces sortes de montagnes, elles ne sont jamais par filons suivis ; elles sont par couches qui ne sont composées que des débris & des fragmens de filons, que les eaux ont arraché des montagnes primitives pour les porter dans celles qu’elles ont produites de nouveau. C’est ainsi que l’on trouve un grand nombre de mines de fer qui ont souffert une décomposition, & qui forment des couches entieres d’ochre, ou de ce qu’on appelle la mine de fer limoneuse. On trouve aussi dans cet état des mines d’étain qui ont été visiblement roulées, entraînées par les eaux, & amassées dans les lits de certaines montagnes. Voyez Mines. C’est dans les montagnes dont nous parlons que l’on rencontre la

calamine, les mines de charbon de terre, qui, comme il est très-probable, ont été formées par des forêts entieres ensevelies par les eaux dans le sein de la terre. Le sel gemme, l’alun, les bitumes, &c. se trouvent aussi par couches, & jamais on ne verra ces substances dans les montagnes primitives. Cependant il est à-propos de faire attention que ces amas de couches vont très-souvent s’appuyer contre les montagnes primitives qui leur servent de support, pour-lors elles semblent se confondre avec elles ; c’est d’elles qu’elles reçoivent les parties métalliques que l’on rencontre dans leurs couches : cette remarque est très-importante pour les observateurs que ce voisinage pourroit induire en erreur, s’ils ne faisoient qu’une attention superficielle aux choses. Les montagnes récentes en s’appuyant, comme il arrive d’ordinaire, sur les côtés des montagnes primitives qu’elles entourent, finissent par aller se perdre insensiblement dans les plaines.

Le parallelisme qu’observent les couches dont les montagnes récentes sont composées n’est point toûjours parfaitement exact ; ces couches depuis leur formation ont éprouvé des révolutions & des changemens, qui leur ont fait faire des coudes, des sauts, c’est-à-dire, qui ont fait tantôt remonter, tantôt descendre en terre, & qui tantôt ont tranché quelques-unes de leurs parties ; des roches & des matieres étrangeres sont venues les couper en de certains endroits ; ces irrégularités ont été vraissemblablement produites par des tremblemens de terre, par des affaissemens d’une portion des montagnes, par des fentes qui s’y sont faites & qui se sont ensuite remplies de nouvelles roches, &c.

Les montagnes récentes different aussi entr’elles pour le nombre & l’épaisseur des couches ou des lits dont elles sont composées ; dans quelques-unes, on a trouvé jusqu’à trente ou quarante lits qui se succédoient ; dans d’autres, on n’en a rencontré que trois ou quatre. Mais voici une observation générale que M. Lehmann, après des remarques constantes & multipliées, assure n’avoir jamais trouvé démentie, c’est que dans les montagnes récentes & composées de couches, la couche la plus profonde est toûjours celle du charbon de terre, elle est portée sur un gravier ou sable grossier & ferrugineux. Au-dessus du charbon de terre, on rencontre les couches d’ardoise, de schiste, ou de pierre feuilletée. Et enfin, la partie supérieure des couches est constamment occupée par la pierre à chaux & par les fontaines salées. On sent de quelle utilité peut être une pareille découverte, lorsqu’il s’agira d’établir des travaux pour l’exploitation des mines ; &, en faisant attention à la distinction que nous avons donnée des montagnes, on saura la nature des substances que l’on pourra espérer d’y trouver lorsqu’on y voudra fouiller. Personne n’a mieux fait sentir cette distinction que M. Lehmann, de l’académie royale des Sciences de Berlin, dans son Essai d’une histoire naturelle des couches de la terre, qui forme le III. vol. de la traduction françoise des œuvres de ce savant physicien, que j’ai publiée en 1759.

On a déja fait remarquer que toutes les montagnes, de quelque nature qu’elles soient, sont sujettes à éprouver de très-grands changemens. Les eaux du ciel, les torrens en arrachent souvent des parties considérables & des quartiers de rochers qui sont portés dans les plaines quelquefois à des distances étonnantes, & ces mêmes eaux y creusent des précipices. Les tremblemens de la terre y produisent des fentes, les eaux intérieures y font des grottes & des excavations qui causent quelquefois leur affaissement total. Pline & Strabon nous apprennent que deux montagnes du voisinage de Modene se sont rapprochées tout-à-coup pour n’en faire plus qu’une seule.