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lette ; car, si l’on n’a soin de les percer par un bout, & d’en tirer entierement la moëlle ; si l’on n’y seringue plusieurs fois des eaux propres à emporter cette matiere onctueuse, on voit dans quelque tems, qu’un os qui paroissoit blanc d’abord, devient extrèmement jaune ensuite ; parce qu’à la moindre chaleur l’huile médullaire qui y est restée, transude naturellement, & peu-à-peu des lames internes vers les lames externes.

C’est aussi pour quoi les ouvriers qui emploient des os dans leurs ouvrages, ont la précaution de les scier en long, pour en ôter exactement toute la moëlle, & même le tissu spongieux, afin que la blancheur de l’os ne soit point altérée.

Sentiment dont la moëlle est susceptible. Les anciens & les modernes ont parlé avec tant d’incertitude du sentiment que peut avoir la moëlle, que M. Duverney s’est cru obligé de l’examiner avec soin. Voyant dans les hôpitaux panser ceux qui avoient un bras ou une jambe coupés, il fit toucher un peu rudement la moëlle qui étoit à découvert, & le malade aussi-tôt donna des marques d’une nouvelle douleur ; mais comme cette premiere expérience ne lui parut pas convainquante, il eut recours à une seconde qui ne lui laissa aucun sujet de doute.

Il fit scier, en présence de Mrs de l’académie des Sciences, (Mém. de l’acad. des Scienc. année 1700.) l’os de la cuisse d’un animal vivant, & ayant fait ôter les chairs & les membranes pour laisser le bout de l’os entierement à nud, après avoir laissé passer les cruelles douleurs que cette opération causoit à l’animal, il plongea un stilet dans la moëlle, & aussitôt on vit que l’animal donnoit des marques d’une très-vive douleur. Cette expérience ayant été réiterée plusieurs fois avec le même succès, il n’y a pas lieu de douter que la moëlle n’ait un sentiment très-exquis.

Mais il ne faut pas s’imaginer que ce sentiment soit dans la moëlle même, c’est-à-dire dans cette huile fine & fluide qui fait proprement la moëlle ; car la moëlle considérée de la sorte, n’est pas plus susceptible de sentiment que le sang renfermé dans les veines. Il faut donc l’attribuer aux petites vésicules membraneuses qui contiennent la moëlle, & qui seules peuvent avoir un sentiment si délicat. Donc, quand l’on dit que les moindres impressions sur la moëlle excitent des sensations douloureuses, cela ne doit s’entendre que de sa portion membraneuse qui est très-sensible, parce qu’elle est parsemée de nerfs.

Les usages de la moëlle. La moëlle & le suc moëlleux ont des usages qui leur sont communs avec la graisse, & d’autres qui leur sont particuliers.

Hippocrate & Galien ont cru que la moëlle servoit de nourriture aux os, tant parce qu’ils ne voyoient point de vaisseaux sanguins se distribuer dans le corps de l’os, que parce qu’à mesure que les os sont longs, leur cavité est plus ample & plus capable de soutenir une grande quantité de suc moëlleux pour leur nourriture.

Il faut avouer que cette opinion a quelque apparence de vérité. Cependant on ne peut l’adopter, quand l’on considere que la partie solide des os des jeunes animaux est réellement parsemée d’un grand nombre de vaisseaux sanguins ; qu’il y a plusieurs os qui sont tout-à-fait solides, & dépourvus de moëlle, comme les osselets de l’oreille, le bois des cerfs & des daims, & que cependant ces os ne laissent pas de se nourrir ; qu’il y a d’autres os qui sont creux, & qui ne sont revêtus que d’une membrane glanduleuse, comme les cavités qui se trouvent entre les deux tables de certains os du crâne, & qu’on nomme sinus. On sait aussi

que les feuilles osseuses qui tiennent lieu de diploé dans le crâne de l’éléphant, sont sans moëlle, & tapissées seulement d’une membrane parsemée de plusieurs vaisseaux. Le creux des os, dont les pattes des homars & des écrevisses sont composées, est aussi sans moëlle, & n’est rempli que de muscles qui servent à leur mouvement : & cependant tous ces os ne laissent pas de se bien nourrir. On peut enfin ajouter que ce n’est pas seulement pour enfermer & conserver la moëlle, que les os sont creux ; mais que c’est principalement afin qu’ils soient moins pesans, sans être moins fermes.

Il est donc plus vraissemblable de croire que l’usage de l’huile médullaire sera de lubrifier les jointures, & de s’insinuer entre les lames des os pour entretenir la cohésion des parties terrestres des corps osseux, & faire entre elles l’office d’une espece de glu.

Cette conjecture s’appuie par les raisons suivantes.

1°. Lorsque cette huile médullaire vient à manquer, par la vieillesse ou les maladies qui l’ont épuisée, ce mouvement des jointures devient plus rude & plus pénible ; & les os privés de ce suc, ou abreuvés de ce suc quand il est vicié, se brisent bien plus aisément. 2°. Que les os qui font de grands mouvemens, & qui par-là pourroient trop se dessécher, sont abondamment pourvus de moëlle ou d’huile médullaire, de même que les parties où la nature a fourni plus de graisse, sont celles d’ordinaire, où les muscles ayant plus d’action, ont plus besoin d’être humectés. De-là vient qu’il y a beaucoup moins de moëlle, à proportion dans les jeunes os, qui sont tendres & flexibles. 3°. Si l’on dépouille les os de cette huile, par le moyen du feu, ils deviennent friables ; & si après les avoir calcinés par un feu violent, on les plonge dans l’huile, ils recouvrent derechef leur consistance.

On objecte contre ces raisons, que le cerf qui court avec tant de légéreté, a moins de moëlle dans les os longs que d’autres bêtes qui marchent très lentement. Mais l’on peut répondre, que, si l’exercice du cerf le prive d’une abondance de moëlle dans les os longs, l’huile médullaire qui y est répandue, ou dans les jointures, y supplée & facilite également sa course légere.

Maladies que produit la moëlle altérée. Il est aisé de concevoir que l’huile médullaire séparée du sang artériel, accumulée dans les vésicules, ou dispersée dans les parties celluleuses des os, peut être sujette à diverses maladies, car elle peut être viciée à plusieurs égards.

Il y aura maladie dans les os, lorsque les vésicules qui contiennent l’huile médullaire, seront affectées ; si la corruption de cette huile est considérable, il en résultera un grand nombre de maux. Si l’huile médullaire est en stagnation dans ses vésicules, dans ses émonctoires, ou dans les interstices des os, & s’il arrive que le mouvement & la chaleur vitale la rendent acrimonieuse, putride & sanieuse, la secrétion en sera interrompue, il y aura obstruction dans les vaisseaux qui servent à sa distribution, & dans ceux qui sont destinés à sa secrétion, & il surviendra inflammation dans ses vésicules. Il en suivra donc suppuration ou putréfaction gangreneuse, & corruption des fluides & des solides. La substance de l’os en deviendra alterée, & cette altération sera nécessairement suivie de douleurs violentes, de chaleurs, de pulsations, de tumeurs, d’abscès, & de carie. Voyez sur ces maladies, Boerhaave & son savant commentateur Van-Swieten.

Contes faux sur la moëlle. On a fait bien des contes sur la moëlle, lesquels, comme il arrive ordi-