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de la Minerve de Sanctius, compare ainsi les modes des verbes aux cas des noms : Eodem planè modo se habent modi in vertis, quo casus in nominibus. Utrique consistunt in diversis terminationibus pro diversitate constructionis. Unique ab illa terminationum diversa forma nomem suum accepêre, ut illi dicantur terminationum varii casus, hi modi. Denique utrorumque terminationes singulares appellantur à potissimo earum usu, non unico. Il ne faut pourtant pas s’imaginer que l’on puisse établir entre les cas & les modes un parallele soutenu, & dire, par exemple, que l’indicatif dans les verbes répond au nominatif dans les noms, l’impératif au vocatif, le subjonctif à l’accusatif, &c. on trouveroit peut être entre quelques-uns des membres de ce parallele, quelque analogie éloignée ; mais la comparaison ne se soutiendroit pas jusqu’à la fin, & le succès d’ailleurs ne dédommageroit pas assez des attentions minutieuses d’un pareil détail. Il est bien plus simple de rechercher la nature des modes dans l’usage que l’on en fait dans les langues, que de s’amuser à des généralités vagues, incertaines & stériles. Or,

I. On remarque dans les langues deux especes générales de modes, les uns personnels & les autres impersonnels.

Les modes personnels sont ceux où le verbe reçoit des terminaisons par lesquelles il se met en concordance de personne avec le nom ou le pronom qui en exprime le sujet : facio, facis, facit, je fais, tu fais, il fait ; facimus, facitis, faciunt, nous faisons, vous faites, ils font, c’est du mode indicatif : faciam, facias, faciat, je fasse, tu fasses, il fasse ; faciamus, faciaris, faciant, nous fassions, vous fassiez, ils fassent, c’est du mode subjonctif ; & tout cela est personnel.

Les modes impersonnels sont ceux où le verbe ne reçoit aucune terminaison pour être en concordance de personne avec un sujet : facere, fecisse, faire, avoir fait, c’est du mode infinitif ; faciens, facturus, faisant, devant faire, c’est du mode participe ; & tout cela est impersonnel.

Cette premiere différence des modes porte sur celle de leur destination dans la phrase. Les personnes, en Grammaire, considérées d’une maniere abstraite & générale, sont les diverses relations que peut avoir à la production de la parole le sujet de la proposition, & dans les verbes ce sont les diverses terminaisons que le verbe reçoit selon la relation actuelle du sujet de ce verbe à la production de la parole. Voyez Personne. Les modes personnels sont donc ceux qui servent à énoncer des propositions, & qui en renferment ce que les Logiciens appellent la copule, puisque c’est seulement dans ces modes que le verbe s’identifie avec le sujet, par la concordance des personnes qui indiquent des relations exclusivement propres au sujet considéré comme sujet. Les modes impersonnels au contraire ne peuvent servir à énoncer des propositions, puisqu’ils n’ont pas la forme qui désigneroit leur identification avec leur sujet considéré comme tel. En effet, Dieu est éternel, sans que nous comprenions, vous auriez raison, retire-toi, sont des propositions, des énonciations complettes de jugemens. Mais en est-il de même quand on dit écouter, avoir compris, une chanson notée, Auguste ayant fait la paix, Catilina devant proscrire les plus riches citoyens ? non, sans doute, rien n’est affirmé ou nié d’aucun sujet, mais le sujet tout au plus est énoncé ; il faut y ajouter quelque chose pour avoir des propositions entieres, & spécialement un verbe qui soit à un mode personnel.

II. Entre les modes personnels, les uns sont directs, & les autres sont indirects ou obliques.

Les modes directs sont ceux dans lesquels seuls le

verbe sert à constituer la proposition principale, c’est-à-dire l’expression immédiate de la pensée que l’on veut manifester.

Les modes indirects ou obliques sont ceux qui ne constituent qu’une proposition incidente subordonnée à un antécédent qui n’est qu’une partie de la proposition principale.

Ainsi, quand on dit je fais de mon mieux, je ferois mieux si je pouvois, faites mieux, les différens modes du verbe faire, je fais, je ferois, faites, sont directs, parce qu’ils servent immédiatement à l’expression du jugement principal que l’on veut manifester. Si l’on dit au contraire, il est nécessaire que je fasse mieux, le mode je fasse est indirect ou oblique, parce qu’il ne constitue qu’une énonciation subordonnée à l’antécédent il, qui est le sujet de la proposition principale ; c’est comme si l’on disoit il que je fasse mieux est nécessaire.

Remarquez que je dis des modes directs qu’ils sont les seuls dans lesquels le verbe sert à constituer la proposition principale ; ce qui ne veut pas dire que toute proposition dont le verbe est à un mode direct, soit principale, puisqu’il n’y a rien de plus commun que des propositions incidentes dont le verbe est à un mode direct : par exemple, la remarque que je fais est utile, les remarques que vous ferez seroient utiles, &c. Je ne prétends donc exprimer par-là qu’une propriété exclusive des modes directs, & faire entendre que les indirects n’énoncent jamais une proposition principale, comme je le dis ensuite dans la définition que j’en donne.

Si nous trouvons quelques locutions où le mode subjonctif, qui est oblique, semble être le verbe de la proposition principale, nous devons être assurés que la phrase est elliptique, que le principal verbe est supprimé, qu’il faut le suppléer dans l’analyse. & que la proposition exprimée n’est qu’incidente. Ainsi, quand on lit dans Tite-Live, VI. xjv. Tunc vero ego nequicquam capitolium arcemque servaverim, si, &c. il faut réduire la phrase à cette construction analytique : Tunc vero (res erit ita ut) ego servaverim nequicquam capitolium que arcem, si, &c. C’est la même chose quand on dit en françois, qu’on se taise ; il faut sous-entendre je veux, ou queiqu’autre equivalent. Voyez Subjonctif.

Nous avons en françois trois modes personnels directs, qui sont l’indicatif, l’impératif & le suppositif. Je sais est à l’indicatif, sais est à l’impératif, je ferais est au suppositif.

Ces trois modes également directs, different entr’eux par des idées accessoires ; l’indicatif exprime purement l’existence d’un sujet déterminé sous un attribut : c’est un mode pur ; les deux autres sont mixtes, parce qu’ils ajoutent à cette signification primitive d’autres idées accessoires accidentelles à cette signification. L’impératif y ajoute l’idée accessoire de la volonté de celui qui parle : le suppositif celle d’une hypothèse. Voyez Indicatif, Impératif, Suppositif.

Les Grecs ni les Latins n’avoient pas le suppositif ; ils en suppléoient la valeur par des circonlocutions que l’ellipse abrégeoit. Ainsi, dans cette phrase de Ciceron, de nat. dear II. xxxvij. Profectò & esse deos, & hæc tanta opera deorum esse arbitrarentur, le verbe arbitrarentur ne seroit pas rendu littéralement par ils croioient, ils se persuaderoient ; ce seroit ils crussent, ils se persuadassent, parce que la construction analitique est (res est ita ut) arbitrarentur, &c. Ce mode est usité dans la langue italienne, dans l’espagnole & dans l’allemande, quoiqu’il n’ait pas encore plu aux grammairiens de l’y distinguer, non plus que dans la nôtre, excepté l’abbé Girard. Voyez Suppositif.

IV. Nous n’avons en françois de mode oblique que