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formation du mixte, périssent, ou du-moins qu’elles soient tellement masquées, suspendues, sopitæ, qu’elles soient comme si elles n’étoient point, & que le mixte soit une substance vraiment nouvelle, spécifiée par des qualités propres, & diverses de celles de chacun de ses principes. C’est ainsi que le nitre formé par l’union d’un certain acide, & d’un certain alkali, n’a plus ni les propriétés essentielles de cet acide, ni celles de cet alkali, mais des propriétés nouvelles & spéciales. C’est ainsi que plusieurs sels métalliques qui conservent la corrosivité de l’un de leurs principes, de l’acide, ne retiennent cette propriété, que parce que cet acide est contenu surabondamment dans ces sels, c’est-à-dire dans un état de mixtion très-imparfaite, très-improprement dite. Voyez Surabondant, Chimie.

8°. Un autre caractere essentiel de la mixtion, caractere beaucoup plus général, puisqu’il est sans exception, c’est que les principes qui concourent à la formation d’un mixte, y concourent dans une certaine proportion fixe, une certaine quantité numérique de parties déterminées, qui constitue dans les mixtes artificiels ce que les Chimistes appellent point de saturation. Voyez Saturation, Chimie. Car quoique nous ayons dit que les principes des mixtes s’unissoient per minina partie à partie, cela n’empêche point qu’à une seule partie d’un certain principe, ne puissent s’unir deux ou plusieurs parties d’un autre. C’est ainsi que très-vraissemblablement le soufre commun est formé par l’union d’une partie unique d’acide, & de plusieurs parties de feu ; il est vrai que cette derniere animadversion n’est qu’un soupçon qui est établi cependant sur de très-grandes probabilités. Voyez Soufre. Mais l’observation générale sur la proportion déterminée des ingrédiens de la mixtion, est un dogme d’éternelle vérité, de vérité absolue, nominale. Nous n’appellons mixtes, ou substances non-simples, vraiment chimiques, que celles qui-sont si essentiellement, si nécessairement composées, selon une proportion déterminée de principes ; que non-seulement la soustraction ou la suraddition d’une certaine quantité de tel ou rel principe, changeroit l’essence de cette substance ; mais même que l’excès d’un principe quelconque est de fait inadmissible dans les mixtes, tant naturels qu’artificiels, & que la soustraction d’une portion d’un certain principe, est, par les définitions ci dessus exposées, la décomposition même, la destruction chimique d’une portion du mixte ; en sorte que si d’une quantité donnée de nitre, on sépare une certaine quantité d’acide nitreux, il ne reste pas un nitre moins chargé d’acide ; mais un mélange de nitre parfait comme auparavant, & d’alkali fixe, qui est l’autre principe du nitre, absolument nud, à qui l’acide auquel il étoit joint a été entierement enlevé. En un mot, l’acide n’a pas été enlevé proportionnellement à la quantité entiere de nitre, mais à une certaine portion qui a été absolument dépouillée. Ceci est démontré par les faits.

La premiere assertion est prouvée aussi par des faits très-connus : tous les menstrues entrent en mixtion réelle avec les corps qu’ils dissolvent ; mais l’énergie de tous les menstrues est bornée à la dissolution d’une quantité déterminée du corps à dissoudre ; l’eau une fois saturée de sucre, (voyez Saturation, Chimie) ne dissout point du nouveau sucre ; du sucre jetté dans une dissolution parfaitement saturée de sucre y reste constamment sous le même degré de chaleur dans son état de corps concret. Cette derniere circonstance rend le dogme que nous proposons très-manifeste ; mais elle ne peut s’observer que lorsqu’on éprouve l’énergie des divers menstrues sur les corps concrets ou consistans ; car lorsqu’on l’essaye sur des liquides, ce n’est pas la

même chose, & quelque excès d’alkali résout qu’on verse dans de l’esprit de vinaigre, par exemple, il ne paroît pas sensiblement qu’une partie de la premiere liqueur soit rejettée de la mixtion. Elle l’est pourtant en effet, & la chimie a des moyens simples pour démontrer dans les cas pareils, la moindre portion excédente ou superflue de l’un des principes (voyez Saturation, Chimie) ; & cette portion excédente n’en est pas plus unie avec le mixte, pour nager dans une même liqueur avec lui. Car deux liqueurs capables de se mêler parfaitement, & qui sont actuellement mêlées très-parfaitement, ne sont pas pour cela en mixtion ensemble. Au contraire les liqueurs très-pareilles, celles, par exemple, qui ont l’eau pour base commune, se mêlent on ne peut pas plus parfaitement ensemble, au point même qu’elles sont aussi inséparables que deux verres d’eau pure bien entre-mêlés. Un verre de dissolution de sel marin, & un verre de dissolution de nitre qu’on mêleroit ensemble, seroient tout aussi inséparables que ces deux verres d’eau pure. Or ces mélanges tout indissolubles qu’ils sont, ne constituent pas la mixtion. Il en est ainsi de l’alkali excédent, dans l’expérience ci-dessus proposée ; c’est une liqueur alkaline, dont la base est de l’eau, qui est mêlée ou confondue avec une liqueur de terre foliée (c’est le nom du sel résultant de l’union de l’alkali fixe, commun, & de l’acide du vinaigre) dont la base est aussi de l’eau, comme un verre d’eau pure seroit mêlé ou confondu avec un autre verre d’eau pure. La circonstance de tenir en dissolution quelque corps ne change point à cet égard la condition de l’eau, pourvû que dans le cas où chaque eau est chargée d’un corps divers, ces deux corps ne soient point miscibles ou solubles l’un par l’autre.

Il est évident, & les considérations précédentes nous conduisent à cette vérité plus générale, que toutes ces unions de divers liquides aqueux, sont de vraies, de pures aggrégations. Une certaine quantité déterminée d’eau s’unit par le lien d’une vraie mixtion à une quantité déterminée de sel, & constitue un liquide aqueux qui est un vrai mixte. Cela est prouvé entre autres choses, en ce que dès qu’on soustrait une portion de cette eau, une portion du mixte périt : on a au lieu du mixte aqueo-salin, appelle lessive, lixivium, un corps concret, un crystal de sel. Mais toute l’eau qu’on peut surajouter à cette lessive proprement dite, ne contracte avec elle que l’aggrégation ; c’est de l’eau qui s’unit à de l’eau ; & voilà pourquoi ce mélange n’a point de termes, point de proportions : une goutte de lessive se mêle parfaitement à un océan d’eau pure : une goutte d’eau pure se mêle parfaitement à un océan de lessive. Il en est absolument de même de l’esprit de vin, du vin, du vinaigre, de toutes les liqueurs végétales & animales aqueuses, des acides, des esprits alkalis, aromatiques, &c. & de leurs mélanges à de l’eau pure ou entre eux, toutes les fois qu’ils ne contiendront pas des substances réciproquement solubles, ou abstraction faite de l’événement qui résultera de cette circonstance accidentelle, il est clair que tous ces mélanges ne sont pas des mixtions : premierement par les définitions, car ils ne sont bornés par aucune proportion ; secondement, par la nature même des choses ; car nous croyons avoir prouve que dans tous ces cas, ce sont des corps non seulement pareils, mais mêmes identiques de l’eau & de l’eau qui s’unissent, ce qui constitue l’aggrégation. Voyez l’article Liquidité, Chimie. L’acide surabondant des sels métalliques peut aussi être considéré à quelques égards comme uni par simple aggrégation au vrai mixte salin.

Les différentes substances métalliques s’alliant aussi