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nous avons dit caractériser ces eaux, nous devons ajouter qu’il nage dans plusieurs des floccons d’une matiere gélatineuse ou presque graisseuse, qui présentés au feu donnent une flamme bleue & répandent une odeur de soufre brûlant.

Parmi les eaux sulfureuses, on compte principalement celles de Bareges, celles d’Ax, de Cauteretz ; les eaux bonnes & les eaux chaudes dans le Béarn ; celles d’Arles, de Molitx, de Vernet, & plusieurs qu’on trouve dans le Roussillon ; celles de Saint-Jean-de-Seyrargues, près d’Uzès, la fontaine puante près d’Alais ; les eaux de Bagnols dans le Gévaudan ; celles qui portent le même nom dans la Normandie ; les fameuses eaux d’Aix-la-Chapelle, &c. Toutes ces eaux sont onctueuses & même, autant qu’on peut le croire, chaudes, mais dans différens degrés de chaleur : elles contiennent certains sels & certaines terres qui sont différentes suivant les eaux ; ces principes se trouvent même plus abondamment dans les unes que dans les autres ; celles d’Aix-la-Chapelle, par exemple, en contiennent une grande quantité. Cette considération doit donc nécessairement entrer dans l’estimation des propriétés de ces eaux, puisque toutes différent entr’elles à raison de la quantité & de la qualité de ces principes terreux & salins, & sur-tout par le plus ou le moins d’élément sulfureux. Le soufre est si manifestement contenu dans certaines de ces eaux, qu’il paroît même à la vûe sous la forme de petites masses très sensibles ; dans d’autres cette substance y est sublimée en forme de fleurs, ainsi qu’on l’observe dans les eaux d’Aix-la-Chapelle. Enfin il est de ces eaux dont le soufre occupe la surface en forme de pellicule ; telle est la fontaine puante près d’Alais. Dans un grand nombre de ces eaux on ne sauroit s’assurer de l’existence du soufre que par le moyen des expériences & des observations rapportées ci-dessus, l’analyse n’ayant pu jusqu’ici parvenir à la démontrer. Le soufre de ces eaux s’y trouve dissous dans un degré de ténuité & de stabilité qui est à peine saisissable : ensorte qu’elles perdent bientôt leur goût & leur odeur à l’air libre ; & que soumises aux expériences, elles ne donnent pas deux fois les mêmes phénomenes, ce qui arrive plus parfaitement encore si on les met sur le feu. Il est d’ailleurs de ces eaux qui blanchissent ou deviennent laiteuses à l’air libre, peut-être est-ce par la précipitation du principe sulfureux.

Ces eaux, quoique mises depuis long-tems dans le verre, conservent leur vertu, pourvu que les bouteilles soient exactement bouchées ; il faut cependant avouer que ces vertus n’y sont pas dans toute leur intégrité ; & même que celles de ces eaux qui ne sont pas fort chargées de soufre, perdent absolument dans le transport toute leur efficacité & leur énergie. C’est pourquoi il est plus utile de les boire à la source même que dans des endroits éloignés.

Les eaux sulfureuses prises intérieurement par des sujets d’un tempérament robuste, font les effets suivans : 1°. la plûpart d’entr’elles ne menent pas par le bas & ne provoquent les urines que presqu’en proportion de la quantité qu’on en prend. 2°. Elles excitent la circulation du sang, augmentent la transpiration. 3°. Elles portent quelquefois à la tête, la rendent lourde, & occasionnent des insomnies. 4°. Elles aiguisent l’appétit, d’où il est bien aisé de se représenter le principal méchanisme de leur action dans le soulagement qu’elles procurent aux malades auxquels on juge qu’elles sont convenables ; & l’on peut également prévoir les regles à suivre dans leur administration. En outre ces eaux sont encore bonnes dans les affections froides de l’estomac & des intestins, qui participent du spasme ou de l’atonie ; dans

la crudité acide, la diarrhée ; dans la curation de l’ictere, leur vertu se montre à-peu-près la même que celle des eaux salées : elles sont également propres à rétablir le flux menstruel & hémorihoïdal, ou à les modérer lorsqu’ils sont trop abondans. Elles font souvent beaucoup de bien dans les fleurs blanches, en redonnant du ton à l’estomac, en excitant la circulation des humeurs, & augmentant la transpiration. Elles sont par la même raison utiles dans la chlorose : on les regarde comme spécifiques dans certaines maladies de la poitrine, & on les emploie avec beaucoup de succès dans les catharres opiniâtres, dont elles viennent à bout en débarrassant les couloirs des poumons, & augmentant la transpiration de cet organe : elles sont encore très-bonnes dans l’asthme tuberculeux, prises hors le paroxysme ; dans les ulceres du poumon qui sont produits par un abscès ou qui viennent à la suite de la pleurésie, de la péripneumonie, ou en conséquence d’une blessure, dans la suppuration de beaucoup d’autres parties internes, &c. Elles sont encore quelquefois indiquées dans la phtisie pulmonaire, soit que le malade en soit actuellement atteint, ou qu’il n’en soit que menacé ; dans ces derniers cas les medecins expérimentés ont coutume de n’ordonner les eaux sulfureuses qu’autant que le sujet & la maladie sont pour ainsi dire d’une espece ou qualité froide. Ils en redoutent au contraire l’usage lorsqu’il s’agit de personnes d’un tempérament facile, comme ils le disent, à émouvoir, & que la maladie tient beaucoup du caractere fiévreux & de la phlogose.

Quelque bien indiqué que paroisse l’usage des eaux sulfureuses, il est toujours à craindre que le malade ne s’en trouve trop échauffé ; il convient donc alors de choisir les eaux les plus douces & les plus tempérées, de ne les donner qu’à très petite dose, & même de les couper quelquefois avec du lait : cette méthode a souvent très-bien réussi. Dans le traitement des écrouelles, l’usage de ces eaux combiné avec des frictions mercurielles, est encore un excellent remede, comme M. de Bordeu l’assure dans sa dissertation sur l’usage des eaux de Barêge & du mercure.

Pour ce qui est de la méthode d’administrer convenablement ces eaux, ce que nous avons dit à ce sujet en parlant des eaux salées, convient ici parfaitement.

Les eaux sulfureuses qui sont très-fortes, comme, par exemple, celles de Barêge & de Cauteretz, doivent être prises à fort petite dose, c’est-à-dire depuis trois jusqu’à six ou huit verres ; on peut cependant augmenter la dose de celles où l’élément sulfureux se trouve en petite quantité, comme dans celles de Bagnols, que plusieurs personnes prennent à la dose de quatre ou six livres sans s’en trouver imcommodées. Du reste, dans tous les cas dont nous venons de parler, le bain tempéré aide très-utilement la boisson de ces eaux.

Dans la curation des ulceres calleux, fistuleux, invétérés, qui ne tiennent point à une cause interne absolument indestructible, la douche, soit des eaux de Barêge, soit des eaux bonnes, est au-dessus de tous les remedes ; au surplus, leur chaleur & leurs effets prochains sont à-peu-près comme ceux de la douche des eaux de Balaruc. Ce remede opere ordinairement avec beaucoup d’efficacité dans ces sortes d’affections, soit par la chaleur comme brûlante des eaux qui, en excitant une fievre locale dans la partie, & mettant en jeu les forces suppuratoires & dépuratoires, renouvelle, pour ainsi dire, la plaie, soit encore à cause de la qualité détersive & balsamique de l’élément sulfureux dont ces eaux sont chargées. L’injection, dans le cas des ulceres sinueux ou fistuleux, n’est pas non plus d’un moindre secours