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tique en présence des Athéniens, étoit très-chaste, quoad continentiam pertinet constantissimam ; parce que, poursuit-il, il ne le faisoit que pour éviter les inconvéniens que peut entraîner la semence retenue. Mais il est rare qu’on ne tombe pas dans l’excès. La passion emporte : plus on s’y livre, & plus on y est porté ; & en y succombant, on ne fait que l’irriter. L’esprit continuellement absorbé dans des pensées voluptueuses, détermine sans cesse les esprits animaux à se porter aux parties de la génération, qui, par les attouchemens répétés, sont devenues plus mobiles, plus obéissantes au déréglement de l’imagination : de-là les érections presque continuelles, les pollutions fréquentes, & l’évacuation excessive de semence.

C’est cette excrétion immodérée qui est la source d’une infinité de maladies : il n’est personne qui n’ait éprouvé combien, lors même qu’elle n’est pas poussée trop loin, elle affoiblit, & quelle langueur, quel dérangement, quel trouble suivent l’acte vénérien un peu trop réiteré : les nerfs sont les parties qui semblent principalement affectées, & les maladies nerveuses sont les suites les plus fréquentes de cette évacuation trop abondante. Si nous considérons la composition de la semence & le méchanisme de son excrétion, nous serons peu surpris de la voir devenir la source & la cause de cette infinité de maladies que les médecins observateurs nous ont transmis. Celles qui commencent les premieres à se développer, sont un abatement de forces, foiblesses, lassitudes spontanées, langueur d’estomac, engourdissement du corps & de l’esprit, maigreur, &c. Si le malade nullement effrayé par ces symptomes, persiste à en renouveller la cause, tous ces accidens augmentent ; la phthisie dorsale survient ; une fievre lente se déclare ; le sommeil est court, interrompu, troublé par des songes effrayans ; les digestions se dérangent totalement ; la maigreur dégénere en marasme ; la foiblesse devient extrème ; tous les sens, & principalement la vûe, s’émoussent ; les yeux s’enfoncent, s’obscurcissent, quelquefois même perdent tout-à-fait la clarté ; le visage est couvert d’une pâleur mortelle ; le front parsemé de boutons ; la tête est tourmentée de douleurs affreuses ; une goutte cruelle occupe les articulations ; tout le corps quelquefois souffre d’un rhumatisme universel, & sur-tout le dos & les reins qui semblent moulus de coups de bâton. Les parties de la génération, instrumens des plaisirs & du crime, sont le plus souvent attaquées par un priapisme douloureux, par des tumeurs, par des ardeurs d’urine, strangurie, le plus souvent par une gonorrhée habituelle, ou par un flux de semence au moindre effort : ce qui acheve encore d’épuiser le malade.

J’ai vû une personne qui à la suite des débauches outrées, étoit tombée dans une fievre lente ; & toutes les nuits elle essuyoit deux ou trois pollutions nocturnes involontaires. Lorsque la semence sortoit, il lui sembloit qu’un trait de flamme lui dévoroit l’urethre. Tous ces dérangemens du corps influent aussi sur l’imagination, qui ayant eu la plus grande part au crime, est aussi cruellement punie par les remords, la crainte, le desespoir, & souvent elle s’appesantit. Les idées s’obscurcissent ; la mémoire s’affoiblit : la perte ou la diminution de la mémoire est un accident des plus ordinaires. Je sens bien, écrivoit un mastuprateur pénitent à M. Tissot, que cette mauvaise manœuvre m’a diminué la force des facultés, & sur-tout la mémoire. Quelquefois les malades tombent dans une heureuse stupidité : ils deviennent hébêtés, insensibles à tous les maux qui les accablent. D’autres fois au contraire, tout le corps est extraordinairement mobile, d’une sensibilité exquise ; la moindre cause excite des dou-

leurs aiguës, occasionne des spasmes, des mouvemens

convulsifs ; quelques malades sont devenus par cette cause, paralytiques, hydropiques ; plusieurs sont tombés dans des accès de manie, de mélancolie, d’hypocondriacité, d’épilepsie. On a vû dans quelques-uns la mort précipitée par des attaques d’apoplexie, par des gangrenes spontanées : ces derniers accidens sont plus ordinaires aux vieillards libertins qui se livrent sans mesure à des plaisirs qui ne sont plus de leur âge. On voit par-là qu’il n’y a point de maladie grave qu’on n’ait quelquefois observé suivre une évacuation excessive de semence ; mais bien plus, les maladies aiguës qui surviennent dans ces circonstances sont toujours plus dangereuses, & acquierent par-là un caractere de malignité, comme Hippocrate l’a observé (epidem. lib. III. sect. 3. agr. 16.) Il semble qu’on ne sauroit rien ajouter au déplorable état où se trouvent réduits ces malades : mais l’horreur de leur situation est encore augmentée par le souvenir desespérant des plaisirs passés, des fautes, des imprudences, & du crime. Sans ressource du côté de la Morale pour tranquilliser leur esprit ; ne pouvant pour l’ordinaire recevoir de la Médecine aucun soulagement pour le corps, ils appellent à leur secours la mort, trop lente à se rendre à leurs souhaits ; ils la souhaitent comme le seul asyle à leurs maux, & ils meurent enfin dans toutes les horreurs d’un affreux desespoir.

Toutes ces maladies dépendantes principalement de l’évacuation excessive de semence, regardent presqu’également le coït & la manustrupration ; mais l’observation fait voir que les accidens qu’entraîne cette excrétion illégitime sont bien plus graves & plus prompts que ceux qui suivent les plaisirs trop réitérés d’un commerce naturel : à l’observation incontestable nous pouvons joindre les raisons suivantes.

1°. C’est un axiome de Sanctorius, confirmé par l’expérience, que l’excrétion de la semence déterminée par la nature, c’est-à-dire par la plénitude & l’irritation locale des vésicules séminales, loin d’affoiblir le corps, le rend plus agile, & qu’au contraire « celle qui est excitée par l’imagination, la blesse, ainsi que la mémoire », à mente, mentem & memoriam lædit. (sect. VI. aphor. 35.) c’est ce qui arrive dans la manustupration. Les idées obscènes, toujours présentes à l’esprit, occasionnent les érections, sans que la semence y concoure par sa quantité ou son mouvement. Les efforts que l’on fait pour en provoquer l’excrétion, sont plus grands, durent plus long tems, & en conséquence affoiblissent davantage. Mais ce qu’il y a de plus horrible, c’est qu’on voit des jeunes personnes se livrer à cette passion, avant d’être parvenues à l’âgé fixé par la nature, où l’excrétion de la semence devient un besoin ; ils n’ont d’autre aiguillon que ceux d’une imagination échauffée par des mauvais exemples, ou par des lectures obscènes ; ils tâchent, instruits par des compagnons séducteurs, à force de chatouillemens, d’exciter une foible érection, & de se procurer des plaisirs qu’on leur a exagérés. Mais ils se tourmentent en vain, n’éjaculant rien, ou que très-peu de chose, sans ressentir cette volupté piquante qui assaisonne les plaisirs légitimes. Ils parviennent cependant par-là à ruiner leur santé, à affoiblir leur tempérament, & à se préparer une vie languissante & une suite d’incommodités.

2°. Le plaisir vif qu’on éprouve dans les embrassemens d’une femme qu’on aime, contribue à réparer les pertes qu’on a fait & à diminuer la foiblesse qui devroit en résulter. La joie est, comme personne n’ignore, très-propre à réveiller, à ranimer les esprits animaux engourdis, à redonner du ton & de la for-