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que c’est par antonomase qu’on le donne exclusivement au trope dont il s’agit ici. C’est que sur la foi de tous les Rhéteurs, il tire le nom μεταφορὰ des racines μετὰ & φέρω, en traduisant μετὰ par trans, en sorte que le mot grec μεταφορὰ est synonyme au mot latin translatio, comme Cicéron lui-même & Quintilien l’ont traduit : mais cette préposition pouvoit aussi-bien se rendre par cùm, & le mot qui en est composé par collatio, qui auroit très-bien exprimé le caractere propre du trope dont il est question, puisqu’il suppose toujours une comparaison mentale, & qu’il n’a de justesse qu’autant que la similitude paroît exacte. Pour rendre le discours plus coulant & plus élégant, dit M. Warbuthon (Essai sur les hiéroglyphes, t. I. part. I. §. 13.), la similitude a produit la métaphore, qui n’est autre chose qu’une similitude en petit. Car les hommes étant aussi habitués qu’ils le sont aux objets matériels, ont toujours eu besoin d’images sensibles pour communiquer leurs idées abstraites.

La métaphore, dit-il plus loin, (part. II. §. 35.) est dûe-évidemment à la grossiereté de la conception..... Les premiers hommes étant simples, grossiers & plongés dans le sens, ne pouvoient exprimer leurs conceptions imparfaites des idées abstraites, & les opérations réfléchies de l’entendement qu’à l’aide des images sensibles, qui, au moyen de cette application, devenoient métaphores. Telle est l’origine véritable de l’expression figurée, & elle ne vient point, comme on le suppose ordinairement, du feu d’une imagination poétique. Le style des Barbares de l’Amérique, quoiqu’ils soient d’une compléxion très-froide & très-flegmatique, le démontre encore aujourd’hui. Voici ce qu’un savant missionnaire dit des Iroquois, qui habitent la partie septentrionale du continent. Les Iroquois, comme les Lacédémoniens, veulent un discours vif & concis. Leur style est cependant figuré & tout métaphorique. (Mœurs des sauv. améric. par le P. Lafiteau, t. I. p. 480.) Leur phlegme a bien pu rendre leur style concis, mais il n’a pas pu en retrancher les figures.... Mais pourquoi aller chercher si loin des exemples ? Quiconque voudra seulement faire attention à ce qui échappe généralement aux réflexions des hommes, parce qu’il est trop ordinaire, peut observer que le peuple est presque toujours porté à parler en figures.]

« En effet, disoit M. du Marsais, (Trop. part. I. art. j.) je suis persuadé qu’il se fait plus de figures un jour de marché à la Halle, qu’il ne s’en fait en plusieurs jours d’assemblées académiques ».

[Il est vrai, continue M. Warburthon, que quand cette disposition rencontre une imagination ardente qui a été cultivée par l’exercice & la méditation, & qui se plaît à peindre des images vives & fortes, la métaphore est bientôt ornée de toutes les fleurs de l’esprit. Car l’esprit consiste à employer des images énergiques & métaphoriques en se servant d’allusions extraordinaires, quoique justes.]

« Il y a cette différence, reprend M. du Marsais, entre la métaphore & la comparaison, que dans la comparaison on se sert de termes qui font connoître que l’on compare une chose à une autre ; par exemple, si l’on dit d’un homme en colere qu’il est comme un lion, c’est une comparaison ; mais quand on dit simplement, c’est un lion, la comparaison n’est alors que dans l’esprit & non dans les termes, c’est une métaphore ». [Eoque distat, quod illa (la similitude) comparatur rei quam volumus exprimere ; hæc (la métaphore) pro ipsâ re dicitur. Quint. Inst. VIII. 6. de Tropis.]

« Mesurer, dans le sens propre, c’est juger d’une quantité inconnue par une quantité connue, soit par le secours du compas, de la regle, ou de quelque autre instrument, qu’on appelle mesure. Ceux qui prennent bien toutes leurs précautions pour arriver à leurs fins, sont comparés à ceux qui me-

surent quelque quantité ; ainsi on dit par métaphore

qu’ils ont bien pris leurs mesures. Par la même raison, on dit que les personnes d’une condition médiocre ne doivent pas se mesurer avec les grands, c’est-à-dire vivre comme les grands, se comparer à eux, comme on compare une mesure avec ce qu’on veut mesurer. On doit mesurer sa dépense à son revenu, c’est-à-dire qu’il faut régler sa dépense sur son revenu ; la quantité du revenu doit être comme la mesure de la quantité de la dépense.

» Comme une clé ouvre la porte d’un appartement & nous en donne l’entrée, de même il y a des connoissances préliminaires qui ouvrent, pour ainsi dire, l’entrée aux sciences plus profondes : ces connoissances ou principes sont appellés clés par métaphore ; la Grammaire est la clé des sciences : la Logique est la clé de la Philosophie. On dit aussi d’une ville fortifiée qui est sur une frontiere, qu’elle est la clé du royaume, c’est-à-dire que l’ennemi qui se rendroit maître de cette ville, seroit à portée d’entrer ensuite avec moins de peine dans le royaume dont on parle. Par la même raison, l’on donne le nom de clé, en terme de Musique, à certaines marques ou caracteres que l’on met au commencement des lignes de musique : ces marques font connoître le nom que l’on doit donner aux notes ; elles donnent, pour ainsi dire, l’entrée du chant.

» Quand les métaphores sont régulieres, il n’est pas difficile de trouver le rapport de comparaison. La métaphore est donc aussi étendue que la comparaison ; & lorsque la comparaison ne seroit pas juste ou seroit trop recherchée, la métaphore ne seroit pas réguliere.

» Nous avons déja remarqué que les langues n’ont pas autant de mots que nous avons d’idées ; cette disette de mots a donné lieu à plusieurs métaphores : par exemple, le cœur tendre, le cœur dur, un rayon de miel, les rayons d’une roue, &c. L’imagination vient, pour ainsi dire, au secours de cette disette ; elle supplée par les images & les idées accessoires aux mots que la langue peut lui fournir ; & il arrive même, comme nous l’avons déja dit, que ces images & ces idées accessoires occupent l’esprit plus agréablement que si l’on se servoit de mots propres, & qu’elles rendent le discours plus énergique : par exemple, quand on dit d’un homme endormi qu’il est enseveli dans le sommeil, cette métaphore dit plus que si l’on disoit simplement qu’il dort. Les Grecs surprirent Troie ensevelie dans le vin & dans le sommeil, (invadunt urbem somno vinoque sepultam, Æn. II. 265.) Remarquez 1° que dans cet exemple sepultam a un sens tout nouveau & différent du sens propre. 2° Sepultam n’a ce nouveau sens que parce qu’il est joint à somno vinoque, avec lesquels il ne sauroit être uni dans le sens propre ; car ce n’est que par une nouvelle union des termes que les mots se donnent le sens métaphorique. Lumiere n’est uni dans le sens propre qu’avec le feu, le soleil & les autres objets lumineux ; celui qui le premier a uni lumiere à esprit, a donné à lumiere un sens métaphorique, & en a fait un mot nouveau par ce nouveau sens. Je voudrois que l’on pût donner cette interprétation à ces paroles d’Horace : (Art poet. 47.)

Dixeris egregie, notum si callida verbum
Reddiderit junctura novum.

» La métaphore est très-ordinaire ; en voici encore quelques exemples. On dit dans le sens propre, s’enivrer de quelque liqueur ; & l’on dit par métaphore, s’enivrer de plaisirs ; la bonne fortune enivre les sots, c’est-à-dire qu’elle leur fait perdre la raison, & leur fait oublier leur premier état.