Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 10.djvu/43

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bycine, manna bombycina, qui s’est durcie en larmes, ou en grumeaux longs & cylindriques, semblables à des vers à soie, & qui est par petites masses, telle qu’étoit la manne d’Athénée, ou le miel céleste des anciens, que l’on apportoit en masses. Telle est aujourd’hui la manne que l’on apporte par grumeaux, appellée communément manne en marons.

La manne européenne est de plusieurs sortes ; savoir, celle d’Italie ou de Calabre, celle de Sicile, & celle de France ou de Briançon. Ces especes de mannes ne sont point liquides.

Si on considere les arbres sur lesquels on recueille la manne, elle a encore différens noms. L’une s’appelle cédrine ; c’est celle d’Hippocrate : Galien & Belon en font mention. L’autre est nommée manne de chêne, dont parle Théophraste. Celle ci manne de frêne, qui est fort en usage parmi nous. Celle-là manne du mélèse, que l’on trouve dans le territoire de Briançon. Une autre manne alhagine, dont ont parlé quelques arabes & Rauwolfius.

De toutes ces especes de mannes, nous ne faisons usage que de celle de Calabre ou de Sicile, que l’on recueille dans ces pays-là sur quelques especes de frêne.

La manne de Calabre, manna Calabra, est un suc mielleux, qui est tantôt en grains, tantôt en larmes, par grumeaux, & de figure de stalactites, friable & blanc, lorsqu’il est récent ; il devient roussâtre à la longue, se liquéfie, & acquiert la consistance de miel par l’humidité de l’air ; il a le goût du sucre avec un peu d’âcreté.

La meilleure manne est celle qui est blanche ou jaunâtre, légere, en grains, ou par grumeaux creux, douce, agréable au goût, & la moins mal-propre. On rejette celle qui est grasse, mielleuse, noirâtre & sale. C’est mal-à-propos que quelques personnes préferent celle dont la substance est grasse & mielleuse, & que l’on appelle pour cela manne grasse, puisque ce n’est le plus souvent qu’une manne gâtée par l’humidité de l’air, ou bien parce que les caisses où elle a été apportée, ont été mouillées par l’eau de la mer ou par l’eau de la pluie, ou de quelque autre maniere. Souvent même cette manne grasse n’est autre chose qu’un suc épais mélé avec le miel & un peu de scammonée ; c’est ce qui fait que cette manne est mielleuse & purge fortement.

On rejette aussi certaines masses blanches, mais opaques, dures, pesantes, qui ne sont point en stalactites. Ce n’est que du sucre & de la manne que l’on a fait cuire ensemble, jusqu’à la consistance d’un électuaire solide ; mais il est aisé de distinguer cette manne artificielle de celle qui est naturelle, car elle est compacte, pesante, d’un blanc opaque, & d’un goût tout différent de celui de la manne.

Dans la Calabre & la Sicile, pendant les chaleurs de l’été, la manne coule d’elle-même, ou par incision, des branches & des feuilles du tronc ordinaire, & elle se durcit par la chaleur du soleil, en grains ou en grumeaux. Celle qui coule d’elle-même s’appelle spontanée : celle qui ne sort que par incision est appellée par les habitans de la Calabre, sorzata ou sorzatella, parce qu’on ne peut l’avoir qu’en faisant une incision à l’écorce de l’arbre. On appelle manna di fronde, c’est-à-dire manne des feuilles, celle que l’on recueille sur les feuilles ; & manna di corpo, celle que l’on tire du tronc de l’arbre.

En Calabre, la manne coule d’elle-même dans un tems serein, depuis le 20 de Juin jusqu’à la fin de Juillet, du tronc & des grosses branches des arbres. Elle commence à couler sur le midi, & elle continue jusqu’au soir sous la forme d’une liqueur très-claire ; elle s’épaissit ensuite peu-à-peu, & se forme en grumeaux, qui durcissent & deviennent blancs. On ne les ramasse que le matin du lendemain, en les déta-

chant avec des couteaux de bois, pourvû que le tems

ait été sérain pendant la nuit ; car s’il survient de la pluie ou du brouillard, la manne se fond, & se perd entierement. Après que l’on a ramassé les grumeaux on les met dans des vases de terre non vernissés ; ensuite on les étend sur du papier blanc, & on les expose au soleil jusqu’à ce qu’ils ne s’attachent plus aux mains. C’est là ce qu’on appelle la manne choisie du tronc de l’arbre.

Sur la fin de Juillet, lorsque cette liqueur cesse de couler, les paysans font des incisions dans l’écorce des deux sortes de frêne jusqu’au corps de l’arbre ; alors la même liqueur découle encore depuis midi jusqu’au soir, & se transforme en grumeaux plus gros. Quelquefois ce suc est si abondant, qu’il coule jusqu’au pié de l’arbre, & y forme de grandes masses qui ressemblent à de la cire ou à de la résine. On les y laisse pendant un ou deux jours, afin qu’elles se durcissent ; ensuite on les coupe par petits morceaux, & on les fait sécher au soleil. C’est là ce qu’on appelle la manne tirée par incision, forzata & forzatella. Sa couleur n’est pas si blanche ; elle devient rousse, & souvent même noire, à cause des ordures & de la terre qui y sont mélées.

La troisieme espece de manne est celle que l’on recueille sur les feuilles du frêne, & que l’on appelle manna di fronde. Au mois de Juillet & au mois d’Août, vers le midi, on la voit paroître d’elle même, comme de petites goutes d’une liqueur très claire, sur les fibres nerveuses des grandes feuilles, & sur les veines des petites. La chaleur fait sécher ces gouttes, & elles se changent en petits grains blancs de la grosseur du millet, ou du froment. Quoique l’on ait fait autrefois un grand usage de cette manne recueillie sur les feuilles, cependant on en trouve très-rarement dans les boutiques d’Italie, à cause de la difficulté de la ramasser.

Les habitans de la Calabre mettent de la différence entre la manne tirée par incision, des arbres qui en ont déja donné d’eux-mêmes, & de la manne tirée par incision des frênes sauvages, qui n’en donnent jamais d’eux-mêmes. On croit que cette derniere est bien meilleure que la premiere ; de même que la manne qui coule d’elle-même du tronc est bien meilleure que les autres. Quelquefois après que l’on a fait l’incision dans l’écorce des frênes, on y insere des pailles, des chalumeaux, des fétus, ou de petites branches. Le suc qui coule le long de ces corps s’épaissit, & forme de grosses gouttes pendantes ou stalactites, que l’on ôte quand elles sont assez grandes ; on en retire la paille, & on les fait sécher au soleil : il s’en forme des larmes très-belles, longues, creuses, légeres, comme cannelées en-dedans, blanchâtres, & tirant quelquefois sur le rouge. Quand elles sont seches, on les renferme bien précieusement dans des caisses. On estime beaucoup cette manne stalactite, & avec raison ; car elle ne contient aucune ordure. On l’appelle communément chez nous, manne en larmes.

Après la manne en larmes, on fait plus de cas dans nos boutiques de la manne de Calabre, & de celle qu’on recueille dans la Pouille près du mont Saint-Ange, quoiqu’elle ne soit pas fort seche, & qu’elle soit un peu jaune. On place après celle-là, la manne de Sicile, qui est plus blanche & plus seche. Enfin, la moins estimée est celle qui vient dans le territoire de Rome, appellée la tolpha, près de Civita-vecchia, qui est seche, plus opaque, plus pesante, & moins chere.

Nous avons ci-dessus nommé en passant, la manne de Briançon : on l’appelle ainsi parce qu’elle découle près de Briançon en Dauphiné. Cette manne est blanche, & divisée en grumeaux, tantôt de figure sphérique, tantôt de la grosseur de la coriandre,