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croissement en deux ou trois ans, que d’autres merisiers auxquels on n’avoit pas touché, n’avoient fait en quinze ans.

Le merisier est peut être l’arbre qui réussit le mieux à la transplantation pour former du bois & pour garnir des places vuides. M. de Buffon, à qui j’ai vu faire de grandes epreuves dans cette partie, & qui a fait planter des arbres de toutes especes pour mettre des terreins en bois, y a fait employer entr’autres beaucoup de merisiers. Dans des terres très-fortes, très-dures, très-froides, couvertes d’une quantité extrème d’herbes sauvages, le merisier a été l’espece d’arbre qui a le mieux réussi, le mieux repris, & le mieux profité, sans aucune culture. On observe que le terrein en question est environné de grandes forêts où il n’y a point de merisiers, & qu’on n’en trouve qu’à trois lieues de là : ainsi on ne peut dire pour raison du succès que les merisiers étoient naturalisés dans le pays, qu’ils s’y plaisoient, ni que ce terrein dût leur convenir particulierement, puisqu’il est bien acquis au contraire qu’il faut à cet arbre une terre légere, sablonneuse & pierreuse.

Le fruit de cet arbre, que l’on nomme merise, est succulent, extrèmement doux, bon à manger ; les merises rouges sont moins douces que les noires : celles-ci sont d’un grand usage pour les ratafiats ; elles en font ordinairement la base. On en peut faire aussi de bonne eau-de-vie.

Le bois du merisier est rougeâtre, très-fort, très dur ; il est veiné, sonore & de longue durée ; il est presque d’aussi bon service que le chêne pour le dedans des bâtimens. Sa couleur rouge devient plus foncée en le laissant deux ou trois ans sur la terre après qu’il est coupé ; il est très-propre à faire des meubles, tant parce qu’il est veiné & d’une couleur agréable, qu’à cause qu’il prend bien le poli & qu’il est facile à travailler : ensorte qu’il est recherché par les Ebenistes, les Menuisiers, les Tourneurs, & de plus par les Luthiers.

Le merisier a donné une très jolie variété, qui est à fleur double : on peut l’employer dans les bosquets, ou elle sera d’un grand agrément au printems ; elle donne à la fin d’Avril la plus grande quantité de fleurs très-doubles, qui sont d’une blancheur admirable. Cette variété ne porte point de fruit : on la multiplie aisément par la greffe en écusson sur le merisier ordinaire, qui fait toujours un grand arbre ; mais si l’on ne veut l’avoir que sous la forme d’un arbrisseau, il faudra la greffer aussi en écusson sur le cerisier sauvage dont le fruit est très-amer, que l’on nomme à Paris mahaleb, en Bourgogne canot ou quenot, & à Orléans canout.

MÉRITE, s. m. (Droit nat.) Le mérite est une qualité qui donne droit de prétendre à l’approbation, à l’estime & à la bienveillance de nos supérieurs ou de nos égaux, & aux avantages qui en sont une suite.

Le démérite est une qualité opposée qui, nous rendant digne de la désapprobation & du blâme de ceux avec lesquels nous vivons, nous force pour ainsi dire de reconnoître que c’est avec raison qu’ils ont pour nous ces sentimens, & que nous sommes dans la triste obligation de souffrir les mauvais effets qui en sont les conséquences.

Ces notions de mérite & de démérite ont donc, comme on le voit, leur fondement dans la nature même des choses, & elles sont parfaitement conformes au sentiment commun & aux idées généralement reçues. La louange & le blâme, à en juger généralement, suivent toujours la qualité des actions, suivant qu’elles sont moralement bonnes ou mauvaises. Cela est clair à l’égard du législateur ; il se démentiroit lui même grossierement, s’il n’approuvoit pas ce qui est conforme à ses lois, & s’il ne

condamnoit pas ce qui y est contraire ; & par rapport à ceux qui dépendent de lui, ils sont par cela même obligés de regler là-dessus leurs jugemens.

Comme il y a de meilleures actions les unes que les autres, & que les mauvaises peuvent aussi l’être plus ou moins, suivant les diverses circonstances qui les accompagnent & les dispositions de celui qui les fait, il en résulte que le mérite & le démérite ont leurs degrés. C’est pourquoi, quand il s’agit de déterminer précisément jusqu’à quel point on doit imputer une action à quelqu’un, il faut avoir égard à ces différences ; & la louange ou le blâme, la récompense ou la peine, doivent avoir aussi leurs degrés proportionnellement au mérite ou au démérite. Ainsi, selon que le bien ou le mal qui provient d’une action est plus ou moins considérable ; selon qu’il y avoit plus ou moins de facilité ou de difficulté à faire cette action ou à s’en abstenir ; selon qu’elle a été faite avec plus ou moins de réflexion & de liberté ; selon que les raisons qui devoient nous y déterminer ou nous en détourner étoient plus ou moins fortes, & que l’intention & les motifs en sont plus ou moins nobles, l’imputation s’en fait aussi d’une maniere plus ou moins efficace, & les effets en sont plus avantageux ou fâcheux.

Mais pour remonter jusqu’aux premiers principes de la théorie que nous venons d’établir, il faut remarquer que dès que l’on suppose que l’homme se trouve par sa nature & par son état assujetti à suivre certaines regles de conduite, l’observation de ces regles fait la perfection de la nature humaine, & leur violation produit au contraire la dégradation de l’un & de l’autre. Or nous sommes faits de telle maniere que la perfection & l’ordre nous plaisent par eux-mêmes, & que l’imperfection, le desordre & tout ce qui y a rapport nous déplait naturellement. En conséquence nous reconnoissons que ceux qui répondant à leur destination font ce qu’ils doivent & contribuent au bien du système de l’humanité, sont dignes de notre approbation, de notre estime, & de notre bienveillance ; qu’ils peuvent raisonnablement exiger de nous ces sentimens, & qu’ils ont quelque droit aux effets qui en sont les suites naturelles. Nous ne saurions au contraire nous empêcher de condamner ceux qui par un mauvais usage de leurs facultés dégradent leur propre nature ; nous reconnoissons qu’ils sont dignes de desapprobation & de blâme, & qu’il est conforme à la raison que les mauvais effets de leur conduite retombent sur eux. Tels sont les vrais fondemens du mérite & du démérite, qu’il suffit d’envisager ici d’une vûe générale.

Si deux hommes sembloient à nos yeux également vertueux, à qui donner la préférence de nos suffrages ? ne vaudroit-il pas mieux l’accorder à un homme d’une condition médiocre, qu’à l’homme déja distingué, soit par la naissance, soit par les richesses ? Cela paroît d’abord ainsi ; cependant, dit Bacon, la mérite est plus rare chez les grands que parmi les hommes d’une condition ordinaire, soit que la vertu ait plus de peine à s’allier avec la fortune, ou qu’elle ne soit guere l’héritage de la naissance : en sorte que celui qui la possede se trouvant placé dans un haut rang, est propre à dédommager la terre des indignités communes de ceux de sa condition. (D. J.)

Mérite, en Théologie, signifie la bonté morale des actions des hommes, & la récompense qui leur est dûe.

Les Scholastiques distinguent deux sortes de mérite par rapport à Dieu ; l’un de congruité, l’autre de condignité, ou, comme ils s’expriment, meritum de congruo, & meritum de condigno.

Meritum de congruo, le mérite de congruité est lorsqu’il n’y a pas une juste proportion entre l’action &