Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 10.djvu/362

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mer, eau de la, (Physique, Chimie.) L’eau de l’Océan & des autres mers differe de l’eau pure par les principes étrangers dont elle est chargée, c’est-à-dire, par les différens sels qu’elle renferme, & par la substance sulfureuse qui produit son amertume, son onctuosité, & sa qualité phosphorique.

Nous ne nous étendrons point sur la nature du sel marin proprement dit, sur sa vertu septique, ou anti-septique, suivant la dose dans laquelle on le joint aux substances qui se putréfient. Voyez plus bas Sel marin.

On assure que ceux qui navigent sous la ligne s’apperçoivent que la mer est plus salée dans les climats où la chaleur du soleil est plus forte & plus propre à corrompre les fluides. Cependant d’habiles observateurs ont rapporté à Boyle que la gravité spécifique de l’eau de mer étoit la même que sous l’équateur, & au-delà du trentieme degré de latitude. Il paroît par les observations de Swedenborg, que cite Wallerius dans son Hydrologie, p. 81. que la salure de la mer, dans les pays du Nord & vers les poles de la terre, diminue toûjours très-sensiblement. On ne peut guère douter que les mers du Nord ne gelent, que parce qu’elles sont moins salées ; car on a observé que le sel marin, le sel ammoniac, sont de tous les sels ceux dont les dissolutions se changent en glace le plus difficilement.

Wallerius rapporte ailleurs (in tentam. chim. Hierne, t. II. p. 117, note.) que M. Palmstruck a constaté par des expériences faites dans le golfe de Bothnie, au tems des solstices & des équinoxes, que la salure de la mer diminue dans les grands jours, & augmente quand les jours deviennent plus courts. Le même M. Palmstruck assure que la mer est plus salée pendant le flux que pendant le reflux, & que sa salure est plus considérable à une plus grande distance des côtes & à une plus grande profondeur. Cette derniere observation est conforme à celle du comte Marsigli ; & quoiqu’elle ne s’accorde pas avec les expériences de Boyle, elle est d’une vérité sensible, puisque l’eau de la surface de la mer, ainsi que celle qui baigne les côtes, doit être beaucoup plus délayée par les eaux des pluies & des fleuves qui se jettent dans la mer.

C’est sans doute à cause que les sels des eaux de la surface de la mer sont plus lavés par des eaux pures, qu’ils sont plus acides. Ceci est prouvé, parce que le comte Marsigli ayant mis des sels tirés de l’eau de mer superficielle, & des sels tirés de la même eau prise à une certaine profondeur, dans du papier bleu, il vit que ceux qui avoient été tirés de l’eau superficielle teignoient ce papier en rouge ; & au contraire le sel des eaux profondes ne donnoit aucune impression de rougeur.

M. Hales a remarqué que des morceaux de papier bleu prenoient un œil rougeâtre, après avoir été trempés dans de la saumure de sel tiré de l’eau de la mer, mais ils n’avoient point cette couleur, lorsqu’on les trempoit de même dans une forte saumure de sel commun ; ce qui montre, dit M. Hales, que le sel imparfait d’eau de mer est en partie nitreux, mais cette conclusion ne semble pas assez juste, & ce fait prouve seulement que le sel de la premiere saumure étoit moins exactement neutralisé. De même on a expliqué, par ce principe nitreux, pourquoi l’eau de mer n’éteint pas la flamme ainsi que l’eau douce ; mais il est plus naturel d’attribuer cet effet aux parties sulfureuses & bitumineuses.

On est mieux fondé à admettre un principe nitreux dans l’eau de la mer, parce que l’esprit de sel, tiré du sel de la mer, est un dissolvant de l’or, & parce que l’on a retiré de l’esprit nitreux de l’eau-mere des salines. L’origine de ce nitre n’est pas bien connue, il appartient sans doute aux plantes mari-

nes, il est développé, & rendu sensible par leur putréfaction.

J’ai appris de M. Venel qu’on voit beaucoup de sel de glauber très-distinct, & très-bien crystallisé dans les tables des salines où on évapore l’eau de mer. Je ne connois point d’auteurs qui aient fait cette remarque. Peut-être ce sel de glauber est-il formé dans les salines par la combinaison d’un acide aérien avec la base alkaline du sel marin : peut-être aussi l’existence des sels neutres, produits dans l’eau de la mer par l’acide nitreux & par l’acide vitriolique, doit-elle fortifier le soupçon si légitime qu’on a de l’identité radicale des acides nitreux.

L’eau de la mer est d’autant plus amere qu’on la puise à une plus grande profondeur. Il est très-probable qu’elle doit son amertume à un esprit huileux, volatil, de nature bitumineuse, dont elle est imprégnée. Car le comte Marsigli a publié dans son Histoire physique de la mer, p. 26. une table des proportions des sels communs & d’esprit de charbons, qui donnent à l’eau de citerne, outre la même pesanteur spécifique, le même goût salé & amer qu’à l’eau naturelle de la mer, superficielle ou profonde. Le même auteur a trouvé que l’eau de la mer, bien qu’elle ait été entierement dépouillée de sel après beaucoup d’exactes & réitérées distillations, conserve avec une amertume dégoûtante, quelque chose de visqueux & de gluant, qui s’attache aux côtés d’une bouteille dans laquelle on agite cette eau distillée, & ne se précipite au fond qu’avec peine lorsqu’on la laisse reposer : il a remarqué que cette substance onctueuse ne rend l’eau de la mer distillée en aucune façon plus pesante que l’eau insipide des citernes, ce qui prouve la grande volatilité de l’esprit bitumineux qui produit cette substance onctueuse. Cette volatilité est encore démontrée parce que l’esprit qu’employoit Marsigli, pour donner le goût amer à l’eau simplement salée, n’en altéroit point du tout le poids. Il faut observer néanmoins qu’on ne trouve point d’amertume, ni de goût de bitume, si l’on distille de l’eau de mer qui ait été puisée seulement à quatre ou cinq pouces de la surface de la mer.

On n’est point d’accord sur l’origine de la salure des eaux de la mer, plusieurs auteurs pensent qu’elle est aussi ancienne que la mer même ; d’autres prétendent qu’elle est dûe à la dissolution des rochers & des mines de sel gemme, que le bassin de la mer renferme en grande quantité suivant Varenius. Mais les Stalhliens conjecturent avec beaucoup de fondement, qu’il se produit chaque jour une nouvelle quantité de sel dans les eaux de la mer, puisque le sel est un mixte composé de terre & d’eau, & que rien n’empêche que ce mixte ne puisse être produit par la combinaison de l’eau avec le sable, le limon, les débris des coquillages, & de terre calcaire qui recouvre en plusieurs endroits le fond de la mer, dont les parties sont subtilisées par l’agitation de la mer & par la chaleur du soleil. Les cadavres resous d’une infinité de poissons, & le bitume de la mer ajoutent à ce produit une substance inflammable particuliere, qui acheve le caractere spécifique du sel marin. L’opinion des Stalhliens peut être confirmée par ce que Tavernier rapporte, que dans le royaume d’Assem on prépare un sel semblable au sel commun, en agitant fortement pendant dix à douze heures une dissolution du sel lixiviel des feuilles du figuier d’Adam, qu’on dépure des feces, & qu’on épaissit ensuite par la coction. Sthal (fundam. Chim. part. II. p. 154.) ne doute point qu’on ne pût retirer de même du sel commun des autres sels lixiviels.

Le comte Marsigli a vû en plusieurs endroits de la mer de Thrace du bitume flottant, qui paroît sur l’eau lorsqu’elle est calme. Il ajoute qu’on en trouve de même abondamment dans les mers des Indes