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nous habitons, parce qu’on y trouve les mêmes matieres, & qu’on tire de la surface du fonds de la mer les mêmes choses que nous tirons de la surface de la terre. 3°. Que la mer a un mouvement général d’orient en occident qui fait qu’elle abandonne certaines côtes, & qu’elle avance sur d’autres. 4°. Qu’il est très-probable que les golfes & les détroits ont été formés par l’irruption de l’Océan dans les terres. Voyez Continent & Terraquée. Voyez aussi Déluge, & Fossile. (O)

C’est une vérité reconnue aujourd’hui par les naturalistes les plus éclairés, que la mer, dans les tems les plus reculés, a occupé la plus grande partie du continent que nous habitons ; c’est à son séjour qu’est dû la quantité prodigieuse de coquilles, de squelettes de poissons, & d’autres corps marins que nous trouvons dans les montagnes & dans les couches de la terre, dans des endroits souvent très-éloignés du lit que la mer occupe actuellement. Vainement voudroit-on attribuer ces phénomenes au déluge universel ; on a fait voir dans l’article Fossilles, que cette révolution n’ayant été que passagere, n’a pu produire tous les effets que la plûpart des physiciens lui ont attribués. Au contraire, en supposant le séjour de la mer sur notre continent, rien ne sera plus facile que de se faire une idée claire de la formation des couches de la terre, & de concevoir comment un si grand nombre de corps marins se trouvent renfermés dans un terrein que la mer a abandonné. Voyez Fossilles; Terre, couches de la ; Terre, révolutions de la.

La retraite de la mer a pu se faire ou subitement, ou sucessivement, & peu-à-peu ; en effet, ses eaux ont pu se retirer tout-à-coup, & laisser à sec une portion de notre continent par le changement du centre de gravité de notre globe, qui a pu causer l’inclination de son axe. A l’égard de la retraite des eaux de la mer qui se fait successivement & par degrés insensibles, pour peu qu’on ait considéré les bords de la mer, on s’apperçoit aisément qu’elle s’éloigne peu-à-peu de certains endroits, que les côtes augmentent, & que l’on ne trouve plus d’eau dans des endroits qui étoient autrefois des ports de mer où les vaisseaux abordoient. L’ancienne ville d’Alexandrie est actuellement assez éloignée de la mer ; les villes d’Arles, d’Aigues-mortes, &c. étoient autrefois des ports de mer ; il n’y a guere de pays maritimes qui ne fournissent des preuves convaincantes de cette vérité ; c’est sur tout en Suede que ces phénomenes ont été observés avec le plus d’exactitude depuis quelques années, ils ont donné lieu à une dispute très-vive entre plusieurs membres illustres de l’académie royale des sciences de Stockholm. M. Dalin ayant publié une histoire générale de la Suede, très-estimée des connoisseurs, osa jetter quelques soupçons sur l’antiquité de ce royaume, & parut douter qu’il eût été peuplé aussi anciennement que l’avoient prétendu les historiens du nord qui l’ont précédé ; il alla plus loin, & crut trouver des preuves que plusieurs parties de la Suede avoient été couvertes des eaux de la mer dans des tems fort peu éloignés de nous ; ces idées ne manquerent pas de trouver des contradicteurs ; presque tous les peuples de la terre ont de tout tems été très-jaloux de l’antiquité de leur origine. On crut la Suede deshonorée parce qu’elle n’avoit point été immédiatement peuplée par les fils de Noé. M. Celsius, savant géometre de l’académie de Stockholm, inséra en 1743, dans le recueil de son académie, un mémoire très curieux ; il y entre dans le détail des faits qui prouvent que les eaux ont diminué & diminuent encore journellement dans la mer Baltique, ainsi que l’Océan qui borne la Suede à l’occident. Il s’appuie du témoignage d’un grand nombre de pilotes & de pê-

cheurs avancés en âge, qui attestent avoir trouvé

dans leur jeunesse beaucoup plus d’eau en certains endroits qu’ils n’en trouvent aujourd’hui ; des écueils & des pointes des rochers qui étoient anciennement sous l’eau ou à fleur d’eau, sortent maintenant de plusieurs piés au-dessus du niveau de la mer ; on ne peut plus passer qu’avec des chaloupes ou des barques dans des endroits où il passoit autrefois des navires chargés ; des bourgs & des villes qui étoient anciennement sur le bord de la mer, en sont maintenant à une distance de quelques lieues ; on trouve des ancres & des débris de vaisseaux qui sont fort avancés dans les terres, &c. Après avoir fait l’énumération de toutes ces preuves, M. Celsius tente de déterminer de combien les eaux de la mer baissent en un tems donné. Il établit son calcul sur plusieurs observations qui ont été faites en différens endroits, il trouve entr’autres qu’un rocher qui étoit il y a 168 ans à fleur d’eau, & sur lequel on alloit à la pêche des veaux marins, s’est élevé depuis ce tems de 8 piés au-dessus de la surface de la mer. M. Celsius trouve que l’on marche à sec dans un endroit où 50 ans auparavant on avoit de l’eau jusqu’au genou. Il trouve que des écueils qui étoient cachés sous l’eau, dans la jeunesse de quelques anciens pilotes, & qui même étoient à deux piés de profondeur, sortent maintenant de 3 piés, &c. De toutes ces observations, il résulte, suivant M. Celsius, que l’on peut faire une estimation commune, & que l’eau de la mer baisse en un an de lignes, en 18 ans de 4 pouces & 5 lignes, en cent ans de 4 piés 5 pouces, en 500 ans de 22 piés 5 pouces, en mille ans de 45 piés géométriques, &c.

M. Celsius remarque, avec raison, qu’il seroit à souhaiter que l’on observât exactement la hauteur de certains endroits au dessus du niveau de la mer, par ce moyen la postérité seroit à portée de juger avec certitude de la diminution de ses eaux ; à sa priere, M. Rudman son ami, fit tracer en 1731 une ligne horisontale sur une roche appellée swarthaellen pæ wihcken, qui se trouve à la partie septentrionale de l’île de Loefgrund, à deux milles au nord-est de Gesle. Cette ligne marque précisément jusqu’où venoit la surface des eaux en 1731. Voyez les mémoires de l’académie de Suede, tom. V. année 1743. Il seroit à souhaiter que l’on fit des observations de ce genre sur toutes les côtes & dans toutes les mers connues, cela jetteroit beaucoup de jour sur un phénomene trés-curieux de la Physique, & dont jusqu’à présent l’on ne paroît s’être fortement occupé qu’en Suede.

La grande question qui partage maintenant les académiciens de Suede, a pour objet de savoir si la diminution des eaux de la mer est réelle ; c’est-à-dire, si la somme totale des eaux de la mer diminue effectivement sur notre globe, ce qui paroît être le sentiment de M. Celsius, du célebre M. Linnæus & de plusieurs autres : ou si, comme M. Browallius & d’autres le prétendent, cette diminution des eaux n’est que relative ; c’est-à-dire, si la mer va regagner d’un côté ce qu’elle perd d’un autre. On sent aisément combien cette question est embarrassante ; en effet, il faudroit un grand nombre d’observations faites dans toutes les parties de notre globe, & continuées pendant plusieurs siecles pour la décider avec quelque certitude.

Il est constant que les eaux de la mer s’élevent en vapeurs, forment des nuages & retombent en pluie ; une partie de ces pluies rentre dans la mer, une autre forme des rivieres qui retombent encore dans la mer, de là il résulte une circulation perpétuelle qui ne tend point à produire une diminution réelle des eaux de la mer ; mais, suivant M. Celsius, la partie des eaux qui abreuve les terres, & qui sert à la