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Théognis né dans cette ville, & qui fleurissoit 548 ans avant J. C. peut servir de preuve. Le tems nous a conservé quelques-uns de ses ouvrages. Henri Etienne les a recueillis avec ceux des autres poëtes, dans son édition de 1566.

Mais c’est Euclide, fondateur de la secte Mégarique, qui fit le plus d’honneur à sa patrie. Il vivoit 390 ans avant l’ere chrétienne, & près de cent ans avant le grand géometre du même nom, qui étoit natif d’Alexandrie. Euclide le mégarien avoit tant d’amour pour Socrate dont il étoit disciple, qu’il se déguisoit en femme, & se rendoit presque toutes les nuits de Mégare à Athènes, pour voir & pour entretenir ce philosophe, malgré les peines décernées par les Athéniens, contre tout citoyen de Mégare qui mettroit le pié dans leur ville.

On rapporte un mot de lui, qui peint une ame tendre & sensible. Entendant son frere qui lui disoit dans sa colere : « Que je meurs si je ne me venge ! Et moi, répliqua-t-il, je mourrai à la peine, si je ne puis calmer votre transport, & faire en sorte que vous m’aimiez encore plus que vous n’avez fait jusqu’ici ».

Eubulide son successeur, étoit aussi de Mégare. Il eut la gloire d’attirer à lui Démosthene, de la former, de l’exercer, & de lui apprendre à prononcer la lettre R, que la conformation de ses organes de la voix, & la négligence de son éducation, l’avoient empêché d’articuler jusqu’alors.

Enfin Stilpon qui fleurissoit vers la 120 Olympiade, ou 314 ans avant J. C. étoit natif de Mégare. Son éloquence entraîna presque toute la Grece dans la secte Mégarique. C’est de lui que Cicéron dit à l’honneur de la Philosophie, qu’étant porté par son tempérament à l’amour du vin & des femmes, elle lui avoit appris à dompter ces deux passions. Ptolomée Soter s’étant emparé de Mégare, fit tous ses efforts pour l’emmener en Egypte, & lui remit une grosse somme d’argent, pour le dédommager de la perte qu’il pouvoit avoir faite dans le siege de la ville. Stilpon renvoya la plus grande partie du présent, & resta dans sa patrie. C’est dommage qu’une secte qui eut pour chefs de si grands maîtres, ait enfin dégénéré en disputes frivoles.

Mais, me demandera peut-être quelqu’un, qu’est devenue votre ville de Mégare qui produisoit des artistes, des poëtes, & des philosophes illustres dans le tems même qu’elle étoit si fort en butte au mépris & aux traits satyriques de ses voisins, qui l’ont tant de fois saccagée & renversée ? Je réponds que Mégare conserve toujours son nom, avec une légere altération : on la nomme aujourd’hui Mégra, espece de village habité seulement par deux ou trois cent malheureux grecs. Ce village est situé à l’est du duché d’Athènes, dans une vallée, au fond de la baie du golfe de Corinthe, qui se nomme à-présent Livadostro, & au sud-est du golfe saronique, qu’on appelle le golfe Engia.

On y trouve encore quelques inscriptions & restes d’antiquités. Son territoire est assez fertile dix lieues à la ronde. Il y a une tour dans cet endroit, où logeoit ci-devant un vayvode que des corsaires prirent, & depuis lors aucun turc n’en a voulu. Les pauvres grecs de Mégra craignent eux-mêmes tellement les pirates, qu’à la vûe de la moindre barque, ils plient bagage, & se sauvent dans les montagnes. Ils gagnent leur vie à labourer la terre, & les Turcs à qui elle appartient en propre, leur donnent la moitié de la récolte. Long. 41. 27. lat. 38. 10. (D. J.)

Megare, Pierre de, (Hist. nat.) lapis megaricus, nom donné par quelques naturalistes à des pierres entierement d’un amas composée de coquilles.

MEGARIQUE, secte, (Hist. de la Philosophie.) Euclide de Mégare fut le fondateur de cette secte,

qui s’appella aussi l’eristique ; megarique, de la part de celui qui présidoit dans l’école ; eristique, de la maniere contentieuse & sophistique dont on y disputoit. Ces philosophes avoient pris de Socrate l’art d’interroger & de répondre ; mais ils l’avoient corrompu par la subtilité du sophisme & la frivolité des sujets. Ils se proposoient moins d’instruire que d’embarrasser ; de montrer la vérité, que de réduire au silence. Ils se jouoient du bon sens & de la raison. On compte parmi ceux qui excellerent particulierement dans cet abus du tems & des talens Euclide, ce n’est pas le géometre, Eubulide, Alexinus, Euphante, Apollonius Cronus, Diodore Cronus, Ichtias, Clinomaque, & Stilpon : nous allons dire un mot de chacun d’eux.

Euclide de Mégare reçut de la nature un esprit prompt & subtil. Il s’appliqua de bonne heure à l’étude. Il avoit lû les ouvrages de Parmenide, avant que d’entendre Socrate. La réputation de celui ci l’attira dans Athènes. Alors les Athéniens irrités contre les habitans de Mégare, avoient décerné la mort, contre tout mégarien qui oseroit entrer dans leur ville. Euclide, pour satisfaire sa curiosité, sans exposer trop indiscrettement sa vie, sortoit à la chûte du jour, prenoit une longue tunique de femme, s’enveloppoit la tête d’un voile, & venoit passer la nuit chez Socrate. Il étoit difficile que la maniere facile & paisible de philosopher de ce maître plût beaucoup à un jeune homme aussi bouillant. Aussi Euclide n’eut guère moins d’empressement à le quitter, qu’il en avoit montré à le chercher. Il se jetta du côté du barreau. Il se livra aux sectateurs de l’eléatisme ; & Socrate qui le regrettoit sans doute, lui disoit : « ô Euclide, tu sais tirer parti des Sophistes, mais tu ne sais pas user des hommes ».

Euclide de retour à Mégare, y ouvrit une école brillante, où les Grecs, amis de la dispute, accoururent en foule. Socrate lui avoit laissé toute la pétulence de son esprit, mais il avoit adouci son caractere. On reconnoît les leçons de Socrate dans la réponse que fit Euclide à quelqu’un qui lui disoit dans un transport de colere : je veux mourir si je ne me venge. Je veux mourir, reprit Euclide, si je ne t’appaise, & si tu ne m’aimes comme auparavant.

Après la mort de Socrate, Platon & les autres disciples de Socrate, effrayés, chercherent à Mégare un asile contre les suites de la tyrannie. Euclide les reçut avec humanité, & leur continua ses bons offices jusqu’à ce que le péril fût passé, & qu’il leur fût permis de reparoître dans Athènes.

On nous a transmis peu de chose des principes philosophiques d’Euclide. Il disoit dans une argumentation : l’on procede d’un objet à son semblable ou à son dissemblable. Dans le premier cas il faut s’assurer de la similitude ; dans le second, la comparaison est nulle.

Il n’est pas nécessaire dans la réfutation d’une erreur de poser des principes contraires ; il suffit de suivre les conséquences de celui que l’adversaire admet ; s’il est faux, on aboutit nécessairement a une absurdité.

Le bien est un, on lui donne seulement différens noms.

Il s’exprimoit sur les dieux & sur la religion avec beaucoup de circonspection. Cela n’étoit guère dans son caractere ; mais le sort malheureux de Socrate l’avoit apparemment rendu sage. Interrogé par quelqu’un sur ce que c’étoient que les dieux, & sur ce qui leur plaisoit le plus. Je ne sais là dessus qu’une chose, répondit-il, c’est qu’ils haïssent les curieux.

Eubulide le milésien succéda à Euclide. Cet homme avoit pris Aristote en aversion, & il n’échappoit aucune occasion de le décrier : on compte Démosthene parmi ses disciples. On prétend que l’orateur