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qui n’avoit aucun repos d’une dislocation de l’un des piés. Il traita aussi la reine Atossa, femme du même Darius, d’un cancer qu’elle avoit au sein. Hérodote ajoute, que Démocede ayant réussi dans ces deux cures, reçut de très-riches présens, & s’acquit un si grand crédit auprès du roi, qu’il le faisoit manger à sa table. Cependant il eut la liberté de retourner en Grece, sous la promesse de servir d’espion ; mais il s’y fixa tout-à-fait, se garda bien de jouer ce rôle infame, & épousa une fille du fameux Milon son compatriote. On ne sait aucune autre particularité de la médecine de Démocede, ni de celle des autres médecins de Crotone.

Démocrite d’Abdere voyagea beaucoup, & se plut à faire des expériences ; mais il y a long-tems que nous avons perdu ses ouvrages, & ce que l’histoire nous apprend de sa vie & de ses sentimens, est plein d’incertitude. On sait seulement, à n’en pouvoir douter, qu’il étoit d’Abdere en Thrace, qu’il descendoit d’une famille illustre, & que ce fut dans de longs & pénibles voyages, où le porta l’ardeur insatiable de s’instruire, qu’il employa sa jeunesse, & dissipa son riche patrimoine. Revenu dans sa patrie, âgé, fort savant & très-pauvre, il rassembla toutes ses observations, & écrivit ses livres, dans lesquels on a prétendu qu’il avoit traité de l’anatomie & de la chimie. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’il est l’auteur, ou du-moins le restaurateur de la philosophie corpusculaire, que les méthodiques appliquerent ensuite à la médecine. Hippocrate vint un jour le voir à Abdere ; & charmé de ses lumieres, il conserva toute sa vie pour lui la plus grande estime. Voyez ci-après Hippocrate.

Dioclès, de Cariste, suivit de près Hippocrate quant au tems, & se fit une réputation des plus célebres. Il passe pour auteur d’une lettre que nous avons, & qui est adressée à Antigonus, roi d’Asie, ce qui marqueroit qu’il vivoit sous le regne de ce successeur d’Alexandre. Ses ouvrages cités pas Athénée se sont perdus, ainsi que celui intitulé, des maladies, dont Galien rapporte un fragment. Il possedoit, ajoute-t-il, autant que personne l’art de guérir, & exerça la Médecine par principe d’humanité, & non comme la plûpart des autres médecins, par intérêt ou par vaine gloire : il a écrit le premier de la maniere de disséquer les corps.

Empédocle, disciple de Pythagore, & philosophe d’un grand génie, étoit d’Agrigente en Sicile, & florissoit aux environs de la 84e olympiade, ou 430 ans avant la naissance de Jesus-Christ. Il faisoit un tel cas de la Médecine, qu’il élevoit presque au rang des immortels ceux qui excelloient dans cet art. Il étoit en cela bien éloigné des idées du fameux Héraclite, qui disoit que les Grammairiens pourroient se vanter d’être les plus grands fous, s’il n’y avoit point de Médecins au monde.

Erasistrate, disciple de Crisippe de Gnide, étoit de Julis dans l’île de Céa, & fut inhumé sur le mont Mycale, vis-à-vis de Samos. Il tient un rang distingué entre les anciens médecins, par son esprit, par ses systèmes, ses talens & ses ouvrages, dont nous devons regretter la perte : il fleurissoit sous le regne de Séleucus Nicanor ; l’histoire suivante en est la preuve.

Antiochus devint éperdument amoureux de Stratonice, seconde femme de Séleucus son pere. Les efforts qu’il fit pour dérober cette passion à la connoissance de ceux qui l’environnoient, le jetterent dans une langueur mortelle. La-dessus Séleucus appella les médecins les plus experts, entre lesquels fut Erasistrate, qui seul découvrit la vraie cause du mal d’Antiochus. Il annonça à Séleucus, que l’amour étoit la maladie du prince, maladie, ajouta-t-il, d’autant plus dangereuse, qu’il est épris d’une per-

sonne dont il ne doit rien espérer. Séleucus surpris

de cette nouvelle, & plus encore de ce qu’il n’étoit point au pouvoir de son fils de se satisfaire, demanda qui étoit donc cette personne qu’Antiochus devoit aimer sans espoir. C’est ma femme, répondit Erasistrate. Hé quoi, reprit Séleucus ! causerez vous la mort d’un fils qui m’est cher, en lui refusant votre femme ? Seigneur, reprit le médecin, si le prince étoit amoureux de Stratonice, la lui céderiez-vous ? Sans doute, reprit Séleucus avec serment. Eh bien, lui dit Erasistrate, c’est d’elle même dont Antiochus est épris. Le roi tint sa parole, quoiqu’il eût déjà de Stratonice un enfant.

Aucun anatomiste n’ignore qu’Erasistrate poussa cette science concurremment avec Hérophile, à un haut degré de perfection. Ils connurent les premiers les principaux usages du cerveau & des nerfs, du moins les usages que les Anatomistes ont depuis assignés à ces parties. Erasistrate découvrit en particulier dans les chevreaux les vaisseaux lactés du mésentere. Il fit aussi la découverte des valvules du cœur. Galien vous instruira de sa pratique ; c’est assez de dire ici que sectateur de Crisippe son maître, il desapprouvoit la saignée & les purgatifs, les lavemens âcres, & les vomitifs violens. Il n’employoit aussi que les remedes simples, méprisant avec raison ces compositions royales & tous ces antidotes que ses contemporains appelloient les mains des dieux. Il étoit assez éloigné de la secte des empiriques : jugeant nécessaire la recherche des causes dans les maladies des parties organiques, & dans toute maladie en général. Le livre qu’il composa sur ce sujet n’est pas parvenu jusqu’à nous, ainsi que ses autres écrits, dont Galien & Cælius Aurélianus ne nous ont conservé que les titres. Sa franchise mérite des éloges, car il avouoit ingénuement au sujet de cette espece de faim qu’on ne peut rassasier, & qu’il appelle boulimia (terme qu’il employa le premier), qu’il ignoroit pourquoi cette maladie regnoit plûtôt dans le grand froid que dans les chaleurs. C’est Aulu-Gelle, liv. XVI. chap. iij. qui rapporte ce trait de la vie d’Erasistrate. Petrus Casteslanus raconte, que cet illustre médecin, aceab e dans la vieillesse des douleurs d’un ulcere qu’il avoit au pié, & qu’il avoit vainement tenté de guérir, s’empoisonna avec le suc de ciguë, & en mourut.

Esculape, est ce grand médecin sur le compte duquel on a débité tant de fables, qu’il est maintenant impossible de les séparer de la vérité. Pausanias & d’autres auteurs comptent jusqu’à soixante-trois temples qu’on lui avoit élevés dans la Grece & les colonies greques. Les peuples y accouroient de toutes parts pour être guéris de leurs maladies, ce que l’on faisoit apparamment par des moyens fort naturels, mais qu’on déguisoit adroitement par mille cérémonies aux malades, qui ne manquoient pas d’attribuer leur guérison à la protection miraculeuse du dieu. Une vérité que l’on apperçoit au-travers de toutes les fables que les Grecs ont débitées sur le compte d’Esculape, c’est que ce fut un des bienfaiteurs du genre humain, & qu’il dut les autels qu’on lui éleva, aux efforts heureux qu’il fit pour donner à la Médecine, imparfaite & grossiere avant lui, une forme plus scientifique & plus réguliere. Ces principes passerent aux Asclépiades, ses descendans, jusqu’à Hippocrate, qui y mit le sceau de l’immortalité.

Pour ne nous en rapporter ici qu’aux gens du métier, je croirois que d’après le témoignage de Celse & de Galien, on pourroit former quelques conjectures assez approchantes de la vérité sur le compte d’Esculape. Il paroît d’abord qu’il fut fils naturel de quelque femme d’un rang distingué, qui le fit exposer sur une montagne située dans le territoire d’Epidaure, pour cacher sa faute, & qu’il tomba