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gere. Il y en a d’autres, encore plus nombreux, qui moins attentifs ou même moins sensibles au sort des malades, s’abandonnent aveuglément aux pratiques les plus communes & les plus adoptées par leurs confreres & par le public.

Toutes les nations ont de ces pratiques vulgaires autorisées par des succès apparens, & plus encore par des préjugés qui les perpétuent & qui en voilent les imperfections. On craint en Allemagne de verser le sang, on le prodigue en France : on pensoit différemment autrefois : toutes les nations de l’Europe suivoient unanimement la pratique d’Hippocrate ; mais le public séduit par la réputation de quelques medecins entreprenans qui introduisent de nouvelles méthodes, s’y prête, s’y accoutume, & même y applaudit. Une telle prévention subjugue les praticiens peu éclairés, peu courageux, ou peut-être trop mercénaires, & les assujettit à des pratiques qui ne sont autorisées que par l’usage & par la réputation des medecins qui les suivent, & dont l’expérience paroît les confirmer.

On ne sauroit comprendre combien ces préjugés ont retardé les progrès de la Médecine ; ils sont si dominans en tout pays, qu’on entreprendroit en vain de les dissiper. On ne doit donc pas se proposer de réformer les opinions populaires qui décident de la pratique de la Médecine & du mérite des Medecins. Ainsi je n’aurai en vûe que quelques hommes de probité qui veulent exercer dignement leur profession, sans se laisser entraîner par l’exemple, la renommée & l’amour des richesses.

L’exercice le plus multiplié ne nous assure ni du mérite ni de la capacité des Medecins. La variété & l’inconstance de leur pratique est au contraire une preuve décisive de l’insuffisance de cet exercice pour leur procurer des connoissances. En effet, le long exercice d’un praticien qui ne peut acquérir par l’étude les lumieres nécessaires pour l’éclairer dans la pratique qui se regle par les évenemens, ou se fixe à la méthode la plus accréditée dans le public ; qui toujours distrait par la multitude des malades, par la diversité des maladies, par les importunités des assistans, par les soins qu’il donne à sa réputation, ne peut qu’entrevoir confusément les malades & les maladies. Un medecin privé de connoissances, toujours dissipé par tant d’objets différens, a-t il le tems, la tranquilité, les lumieres pour observer & pour découvrir la liaison qu’il y a entre les effets des maladies & leurs causes ?

Fixé à une pratique habituelle, il l’exerce avec une facilité que les malades attribuent à son expérience : il les entretient dans cette opinion favorable par des raisonnemens conformes à leurs préjuges ; & par le récit de ses succès, il parvient même à les persuader que la capacité d’un praticien dépend d’un long exercice, & que le savoir ne peut former qu’un medecin spéculatif ou, pour parler leur langage, un medecin de cabinet.

Il y a des auteurs instruits dans la théorie, & qui, étant attentifs à des observations répétées où ils ont remarqué constamment les mêmes faits dans quelque point de pratique, sont parvenus à former des dogmes particuliers qu’on trouve dispersés dans leurs ouvrages : tels sont les Hilden, les Mercatus, les Riviere, &c. mais ces dogmes sont ordinairement peu exacts & peu lumineux.

D’autres ont porté plus loin leurs travaux ; ils ont rassemblé les connoissances que leur érudition, leur propre expérience & la physique de leur tems ont pu leur fournir, pour enrichir les différentes matieres qu’ils ont traitées : tels sont plus ou moins les Celse, les Æginetes, les Avicennes, les Albucasis, les Chauliac, les Paré, les Aquapendente, les Duret, les Houllier, les Sennert, &c. Mais dans les tems que

ces grands maîtres s’appliquoient à étendre la théorie par les connoissances qui naissent de la pratique, les autres sciences qui doivent éclairer ces connoissances faisoient peu de progrès. Ainsi les productions de ces medecins devoient être fort imparfaites.

Quelques auteurs se sont attachés à étendre & à perfectionner la théorie de certaines maladies : tels ont été les Baillou, les Pison, les Engalenus, les Bennet, les Magatus, les Severinus, les Wepfer, &c. qui, par leurs recherches & par leurs travaux, ont enrichi de nouvelles connoissances la théorie des maladies qu’ils ont traitées. Il semble même qu’en n’embrassant ainsi que des parties de la théorie, on pourroit davantage en hâter les progrès ; mais toutes les maladies ont entr’elles tant de liaison, que l’accroissement des connoissances sur une maladie dépend souvent entierement du concours de celles que l’on acquiert de nouveau sur les autres maladies, & cet accroissement dépend aussi du progrès des sciences qui peuvent éclairer cette théorie.

Enfin, il y a une autre classe de grands maîtres, qui est d’un ordre supérieur à celles dont nous venons de parler, & qui se réduit à un très-petit nombre d’hommes. Elle comprend les vrais instituteurs de la théorie de la Médecine qui cultivent en même tems les différentes sciences nécessaires pour former cette théorie, & qui rassemblent & concilient de nouveau les connoissances qu’elles peuvent leur fournir pour former les principes d’une doctrine plus étendue, plus exacte & plus lumineuse ; ce sont des architectes qui recommencent l’édifice dès les fondemens ; qui ne se servent des productions des autres que comme des matériaux déja préparés ; qui ne s’en rapportent pas simplement au jugement de ceux qui les ont fournis ; qui en examinent eux mêmes toute la solidité, toute la valeur & toutes les propriétés ; qui en rassemblent beaucoup d’autres qu’on n’a pas encore employé, & qui par des recherches générales & une grande pénétration, en découvrent eux-mêmes un grand nombre, dont l’utilité regle & détermine l’usage des autres. C’est par de tels travaux qu’Hippocrate, Arétée, Galien & Boerhaave ont formé la théorie de la Médecine, ou l’ont fait reparoître dans un plus grand jour, & l’ont élevée successivement à de plus hauts degrés de perfection.

C’est par ces productions plus ou moins étendues de tant d’auteurs qui ont concouru aux progrès de la théorie de la Médecine, que nous reconnoissons tous les avantages de l’experience : nous y voyons par-tout que ses progrès dépendent de l’accroissement des connoissances qu’on peut puiser dans la pratique de cet art ; que ces connoissances doivent être éclairées par la physique du corps humain ; que cette physique tire elle-même des lumieres d’autres sciences qui naissent aussi de l’expérience ; & qu’ainsi l’avancement de la théorie qui peut guider dans la pratique, dépend de l’accroissement de tous ces différens genres de connoissances, & des travaux des maîtres qui cultivent la Médecine avec gloire.

Mais les praticiens de routine, assujettis sans discernement aux méthodes vulgaires, loin de contribuer à l’avancement de la Médecine, ne font qu’en retarder les progrès ; car le public les présente ordinairement aux autres medecins comme des modeles qu’ils doivent imiter dans la pratique ; & ce suffrage aveugle & dangereux vient à bout de séduire des hommes sages. Extr. de la préf. du Dict. de Méd. traduite par M. Diderot, de l’angl. du D. James. (D. J.)

Médecine, parties de la, (Science.) La Médecine, comme je l’ai déja dit, est l’art de conserver la santé présente & de rétablir celle qui est altérée ; c’est la définition de Galien.

Les modernes divisent généralement la Médecine