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ment du xviij. siecle Guillaume Harvey dissipa tous les vains fantômes de la Médecine, par sa découverte immortelle de la circulation du sang. Elle a seule répandu la lumiere sur la vie, la santé, le plus grand nombre de maladies, & a jetté dans le monde les vrais fondemens de l’art de guérir.

Depuis que les Médecins ont connu cette circulation, ainsi que la route du chyle, ils sont mieux en état d’expliquer la transformation des alimens en sang, & l’origine des maladies. La démonstration des vaisseaux lymphatiques, des veines lactées, du canal thorachique, répand du jour sur les maladies qui naissent du vice des glandes, de la lymphe, ou d’une mauvaise nutrition. Les découvertes de Malpighi sur les poumons, & celles de Bellini sur les reins, peuvent servir à mieux entendre l’origine & les causes des maladies dont ces parties sont attaquées ; telles que la phthisie, l’hydropisie, & les douleurs néphrétiques. Le travail de Glisson, de Bianchi, & de Morgagni, sur la structure du foie, conduit au traitement éclairé des maladies de cet organe.

Les recherches aussi belles que curieuses de Sanctorius sur la Médecine statique, ont dévoilé les mysteres de la transpiration insensible, ses avantages, & les maladies de sa diminution, de sa suppression, dont on n’avoit auparavant aucune connoissance.

Depuis que les Medecins sont instruits de la maniere dont le sang circule dans les canaux tortueux de l’utérus, les maladies de cette partie, de même que celles qui proviennent de l’irrégularité des regles, sont plus faciles à comprendre & à traiter. La connoissance de la distribution des nerfs & de leur communication, a jetté de la lumiere sur l’intelligence des affections spasmodiques, hypocondriaques & hystériques, dont les symptômes terribles effraient un peu moins.

Depuis que Swammerdam & de Graaf, après eux Cowper, Morgagny, Sanctorini, & une infinité d’autres habiles gens ont examiné la structure des parties de la génération de l’un & de l’autre sexe, les maladies qui y surviennent ont été, pour ainsi dire, soumises aux jugemens de nos sens, & leurs causes rendues assez palpables.

Enfin, personne n’ignore les avantages que retire la Physiologie des travaux de plusieurs autres modernes, comme, par exemple, des traités de Lower, de Lancisi, & de Sénac sur le cœur ; des descriptions de Duverney & de Valsalva sur l’organe de l’ouie ; des belles observations d’Havers sur les os, & sur-tout des ouvrages admirables de Ruysch.

Mais c’est à Boerhaave qu’est dûe la gloire d’avoir posé, au commencement de ce siecle, les vrais & durables fondemens de l’art de guérir. Ce génie profond & sublime, nourri de la doctrine des anciens, éclairé par ses veilles des découvertes de tous les âges, également versé dans la connoissance de la Méchanique, de l’Anatomie, de la Chimie & de la Botanique, a porté, par ses ouvrages dans la Medecine, des lumieres qui en fixent les principes, & qui lui donnent un éclat que l’espace de trois mille ans n’avoit pu lui procurer.

Cependant les nations savantes de l’Europe ne pratiquent pas toutes cette Médecine avec la même gloire. Déja l’Italie, qui la premiere a retiré cette science des ténebres, & qui l’a illustrée par le plus grand nombre d’excellens ouvrages, semble se reposer sur les lauriers qu’elle a moissonnés. Les Hollandois sont encore plus intéressés par la nature de leur climat à cultiver noblement une science qu’ils tiennent de leur illustre compatriote, mais la facilité que tout le monde a dans les sept Provinces-Unies d’exercer la profession de Médecine, l’avilissement où elle est à divers égards, les foibles émolumens

qu’en retirent ceux qui la pratiquent avec honneur, donnent lieu de craindre que sa beauté n’y soit ternie du matin au soir, comme une fleur de leurs jardins que flétrit le premier brouillard.

On aime beaucoup la Médecine en Allemagne, mais on aime encore davantage les remedes chimiques & pharmaceutiques qu’elle dédaigne : on travaille, on imprime sans cesse dans les académies germaniques des écrits sur la Médecine ; mais ils manquent de goût, & sont chargés d’un fatras d’érudition inutile & hors d’œuvre.

La France est éclairée des lumieres de l’Anatomie & de la Chirurgie, deux branches essentielles de l’art qui y sont poussées fort loin : ce pays devroit encore être animé à la culture de la Médecine par l’exemple des Jacotius, des Durets, des Holliers, des Baillous, des Fernels, des Quesnays ; car il est quelquefois permis de citer les vivans. Cependant peu de medecins de ce grand royaume marchent sur les traces de ces hommes célebres qui les ont precédés. Je crois entrevoir que la fausse méthode des académies, des écoles medicinales, l’exemple, la facilité d’une routine qui se borne à trois remedes ; la mode, le goût des plaisirs, le manque de confiance de la part des malades ; l’envie qu’ils ont de guérir promptement ; les manieres & le beau langage qu’on préfere à l’étude & au savoir ; la vanité, le luxe d’imitation : le desir de faire une fortune rapide . . . . . je ne veux point développer toutes les causes morales & physiques de cette triste décadence.

C’est donc en Angleterre ou, pour mieux parler, dans les trois royaumes de la Grande-Bretagne, que la Médecine fleurit avec le plus de gloire : elle y est perfectionnée par la connoissance des autres sciences qui y concourent ; par la nature du gouvernement, par le goût de la nation ; par son génie naturel & studieux ; par les voyages, par l’honneur qu’on attache à cette profession ; par les émolumens qui l’accompagnent ; par l’aisance de ceux qui s’y destinent ; enfin, par la vraie théorie de Boerhaave, qui a formé tous les medecins des îles Britanniques. Puissent-ils ne point changer cette théorie en empirisme, ne point s’écarter de la pratique de leur maitre, & de la conduite du vertueux Sydenham leur compatriote !

O mes fils, gardez-vous de suivre d’autres lois !

Je serois fort aise si je pouvois inspirer quelque passion pour l’honnête profession d’une science utile & nécessaire : les sages ont dit que tel étoit l’éclat de la vérité, que les hommes en étoient éblouis lorsqu’elle se montroit à eux toute nue ; mais ce n’est point la Médecine qui se présente ainsi. On cherchera vainement les moyens de la perfectionner, tant que sa véritable théorie ne sera pas cultivée, & tant que ceux qui en exerceront la pratique la corrompront par leur ignorance ou leur avarice.

L’étendue de cette théorie, dit très-bien M. Quesnay, dont je vais emprunter les réflexions, demande de la part des Medecins une étude continuelle & des recherches pénibles ; mais ces travaux sont si longs & si difficiles, que la plûpart les négligent, & qu’ils tâchent d’y suppléer par des conjectures qui rendent souvent l’art de guérir plus nuisible aux hommes qu’il ne leur est utile.

Les Medecins peu intelligens ou peu instruits, ne distinguent pas assez les effets des remedes d’avec ceux de la nature ; & les évenemens qu’ils interpretent diversement, reglent ou favorisent les différentes méthodes qui se sont introduites dans la Médecine. Il y a des praticiens qui, trop frappés des bons ou des mauvais succès, & trop dominés par leurs propres observations, restent assujettis à l’empirisme, & ne suivent de méthode que celle qu’il leur sug-