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tarque auroit eû mauvaise grace de l’appeller l’ami de César ; mais il y a un passage de Cicéron qui prouve, ce me semble, que la Médecine étoit de son tems regardée à Rome comme un art que les personnes libres pouvoient exercer sans se dégrader. Les arts, dit-il, qui demandent une grande connoissance, ou qui ne sont pas d’une médiocre utilité, comme la Médecine, comme l’Architecture, comme tous les autres arts qui enseignent des choses honnêtes, ne déshonorent point ceux qui les exercent, lorsqu’ils sont d’une condition à la quelle ces professions conviennent. Offic. liv. I. chap. xlij.

Il est vrai qu’on vit à Rome & ailleurs un très grand nombre d’esclaves médecins, soit qu’ils eussent appris leur profession étant déja esclaves, soit qu’étant nés libres, ils fussent tombés par malheur dans l’esclavage : mais de quelque condition qu’ayent été les médecins qui succéderent à ceux dont nous avons parlé jusqu’ici, ils ne se distinguerent les uns ni les autres par aucun ouvrage intéressant ; la plûpart ne s’occuperent que de leur fortune, & les Historiens ne parlent avec éloge que d’Andromachus, médecin de Néron, & de Rufus d’Ephese qui vécut sous Trajan.

Galien qui naquit à Pergame sous le regne d’Adrien environ la 131e année de l’ére chrétienne, se distingua singulierement dans cette profession par sa pratique & par ses ouvrages.

Pour connoître l’état de la Médecine lorsque Galien parut, il faut se rappeller que les sectes dogmatiques, empiriques, méthodiques, épisynthétiques, pneumatiques & éclectiques subsistoient encore. Les méthodiques étoient en crédit, & l’emportoient sur les dogmatiques affoiblis par leur division ; les uns tenant pour Hippocrate ou Praxagore, les autres pour Erasistrate ou pour Asclépiade. Les empiriques étoient les moins considérés. Les éclectiques les plus raisonnables de tous, puisqu’ils faisoient profession d’adopter ce que chaque secte avoit de bon, sans s’attacher particulierement à aucune, n’étoient pas en grand nombre. Quant aux épisynthétiques & aux pneumatiques, c’étoient des especes de branches du parti des méthodiques.

Galien proteste qu’il ne veut embrasser aucune secte, & traite d’esclaves tous ceux de son tems qui s’appelloient Hippocratiques, Praxagoréens, & qui ne choisissoient pas indistinctement ce qu’il y avoit de bon dans les écrits de tous les Médecins. Là-dessus qui ne le croiroit éclectique ? Cependant Galien étoit pour Hippocrate préférablement à tout autre, ou plutôt il ne suivoit que lui : c’étoit son auteur favori ; & quoiqu’il l’accuse en plusieurs endroits d’obscurité, de manque d’ordre, & de quelques autres défauts ; il marque une estime particuliere pour sa doctrine, & il confesse qu’à l’exclusion de tout autre, il a posé les vrais fondemens de cette science. Dans cette idée, loin de rien emprunter des autres sectes, ou de tenir entr’elles un juste milieu, il composa plusieurs livres pour combattre ce qu’on avoit innové dans la Médecine, & rétablit la pratique & la théorie d’Hippocrate. Plusieurs Médecins avoient commenté cet ancien, avant que Galien parût ; mais celui-ci prétend que la plûpart de ceux qui s’en étoient mêlés, s’en étoient mal acquittés. Il n’étoit point éloigné de se croire le seul qui l’eut jamais bien entendu. Cependant les savans ont remarqué qu’il lui donne assez souvent de fausses interprétations.

Les défauts de Galien sont trop connus de tous les habiles médecins, pour m’arrêter à les exposer ; on ne peut cependant disconvenir que son système ne soit la production d’un homme d’esprit, doué d’une imagination des plus brillantes. Il montre ordinairement beaucoup de lumieres & de sagacité,

quand il commente quelques points de la doctrine d’Hippocrate sur la connoissance ou la cure des maladies ; mais il fait pitié quand il nous entretient des quatre élémens, des qualités premieres, des esprits, des facultés, & des causes occultes.

Pour ce qui regarde son anatomie, il a laissé sur cette matiere, deux ouvrages qui l’ont immortalisé. L’un que nous n’avons pas complet, est intitulé, administration anatomique ; l’autre a pour titre de l’usage des parties du corps humain ; c’est un livre admirable digne d’être étudié par tous les physiciens. On voit en parcourant ces deux traités, que leur auteur infatigable possédoit toutes les découvertes anatomiques des siecles qui l’avoient précédé, & que trompé seulement par la ressemblance exterieure de l’homme avec le singe, il a souvent attribué à l’homme ce qui ne regardoit que le singe ; c’est presque le seul reproche qu’on puisse lui faire.

Les médecins grecs qui vinrent après lui, suivirent généralement sa doctrine, & s’en tinrent au gros de la méthode de leur prédécesseur. Les plus distingués d’entr’eux sont Oribase, Aetius, Aiéxandre Trallian, Paul Eginete, Actuarius & Myrepsus. Nous parlerons de tous sous le mot Médecin, quoiqu’il n’y ait presque rien de nouveau qui leur appartienne en propre dans leurs écrits. Quelques autres encore moins estimables, quoique nommés par les historiens, n’ont été que les sectateurs aveugles de ceux ci, & ne méritent pas même d’être placés à côté d’eux. Presque tous, au lieu de se piquer de recherche & d’industrie, ont employé leur tems à décrire & à vanter un nombre infini de compositions ridicules. La Médecine en a été surchargée ; la pratique en est devenue plus incertaine, & ses progrès en ont été retardés.

Ce qu’on vient de dire des derniers médecins grecs, n’est pas moins vrai des médecins arabes. Ceux-ci ont toutefois la réputation d’avoir introduit dans la Médecine l’usage de quelques plantes, & particulierement de quelques purgatifs les plus doux, tels que la manne, les tamarins, la casse, les mirobolans, la rhubarbe & le séné qui est un cathartique plus fort. Ils firent encore entrer le sucre dans les compositions médicinales ; d’où il arriva, qu’elles se reproduisirent sous une infinité de formes inconnues aux anciens, & d’un très-petit avantage à leurs successeurs. C’est à eux que la Médecine doit les syrops, les juleps, les conserves & les confections. Ils ont aussi transmis à la Médecine l’usage du musc, de la muscade, du macis, des clous de gérofle, & de quelqu’autres aromates dont se sert la cuisine, & qui sont d’un usage aussi peu nécessaire à la Médecine, que celui des pierres précieuses pilées, & des feuilles d’or & d’argent. Enfin, ils ont eu connoissance de la chimie & de l’alchimie ; mais ils méritent par quelque endroit d’être lûs, je veux dire pour avoir décrit avec une grande exactitude quelques maladies que les anciens n’ont pas connues ; telles que la petite-vérole, la rougeole & le spina ventosa.

Il est certain que dans la décadence des lettres en Europe, les Arabes ont cultivé toutes les sciences ; qu’ils ont traduit les principaux auteurs, & qu’il y en a quelques-uns qui étant perdus en grec, ne se retrouvent que dans les traductions arabes. Ce fut le calife Almansor qui donna le premier à ses sujets le goût des sciences ; mais Almamon cinquieme calife, favorisa plus qu’aucun autre les gens de lettres, & anima dans sa nation, la vive curiosité d’apprendre les sciences, que les Grecs avoient si glorieusement cultivées.

Alors les Arabes firent un grand cas de la médecine étrangere, & écrivirent plusieurs ouvrages sur cette science. Parmi ceux qui s’y distinguerent, on