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antique & simplement appliqué, on le découvre en sondant les bords de la médaille, qui ne sont jamais si parfaitement unis que l’on ne s’apperçoive de quelque chose, & que les deux marques ne découvrent la jointure ou la différence du métal. Tel étoit un Vérus, à qui l’on avoit attaché une Lucille, pour en faire une médaille rare, sans avoir considéré que le Vérus étoit de cuivre rouge, & Lucille de cuivre jaune.

La septieme imposture se fait dans les légendes, soit du côté de la tête, soit du côté du revers. Il est plus ordinaire de le tenter du côté de la tête par l’intérêt qu’on a de trouver des têtes rares, ce qui manque communément dans les suites. Or, cela s’exécute en substituant avec adresse un nom à l’autre, sur-tout quand il y a peu de lettres à changer ou à ajouter. C’est ainsi que, dans le cabinet du P. Jobert, il y avoit une Lucille changée en Domitia de grand bronze, & un jeune Gordien d’Afrique, moyennant l’addition d’un peu de barbe, & le changement des lettres P. F. en AFR. C’est encore ainsi que dans le cabinet de M. l’abbé de Rothelin, il y avoit une Coelonia d’or, qui n’étoit autre chose qu’une Agrippine, mere de Caligula.

La huitieme finesse trompeuse est de contrefaire le vernis antique, ce qui sert à empêcher qu’on ne reconnoisse les médailles moulées, & à cacher les défauts des bords & des caracteres, comme nous l’avons déja dit. Il y en a même qui mettent les médailles en terre, afin de leur faire contracter, si ce n’est le vernis, du-moins une certaine rouille qui impose aux connoisseurs moins habiles : d’autres emploient le sel armoniac mêlé avec le vinaigre ; d’autres le simple papier brûlé, qui est la maniere la plus facile.

On se défend aisément de cette tromperie, parce qu’on ne peut donner au vernis moderne ni la couleur, ni l’éclat, ni le poli du vernis antique qui dépend de la terre. D’ailleurs on n’a pas la patience de laisser une médaille en terre assez long-tems pour qu’elle puisse y prendre cette belle rouille qu’on estime plus que le plus riche métal. Il faudroit être assûré d’une longue vie, & pouvoir compter sur un prince aussi dupe que l’étoit le pape Paul III. pour tenter ce qui réussit à un fourbe italien. Il fit frapper sur le plomb un buste de S. Pierre, avec ces mots, Petrus Apostolus Jesu Christi : au revers deux clés en pal, Tibi dabo claves regni cælorum. Il enfouit cette piece fort avant en terre, & l’y laissa quelques années : ensuite faisant creuser dans cet endroit comme par hazard, on y trouva cette médaille qu’il décrassa soigneusement, & qu’il montroit à tout le monde comme un monument de la piété des premiers chrétiens. Le bruit s’en répandit bientôt à Rome : le pape voulut avoir cette médaille, il la demanda au possesseur, & la lui paya mille écus. Enfin le vernis moderne est tendre, & se pique aisément, au lieu que l’antique est dur comme le métal même.

La neuvieme supercherie a pour fondement un accident qui arrive quelquefois aux médailles qu’on frappe, ce qui a fait dire aux Antiquaires que toute médaille, dont les bords ont éclaté, est infailliblement frappée. Pour profiter de cette préoccupation, ceux qui font de fausses médailles, tâchent de les faire éclater lorsqu’ils les frappent effectivement, ou même de les fendre tout exprès quand elles sont assez bien moulées.

On n’en sera pas la dupe si l’on examine ces fentes avec un peu de soin ; car quand elles ne sont point assez profondes, ou que la coupure n’en est pas franche, ou qu’elles ne finissent pas par certains filamens presque imperceptibles ; c’est une preuve que cela n’est point arrivé par l’effort du coin, mais par artifice.

Enfin le moyen général de se précautionner contre toutes les fourberies des brocanteurs, c’est de s’appliquer à la connoissance de l’antique qui comprend le métal, la gravure des coins & le poinçonnement des caracteres ; c’est ainsi qu’on acquiert ces yeux, que Cicéron appelle oculos cruditos. Mais exiger d’un homme de lettres qu’il s’attache à démêler la différence de l’antique & du moderne, qu’il descende jusqu’au détail de la gravure & de la fabrique des médailles, n’est-ce point le réduire à la condition d’un simple artiste ? n’est-ce point même lui imposer une obligation qu’il sera hors d’état de remplir, puisque le goût qu’il doit avoir pour la lecture, ne peut s’accorder avec la dissipation inséparable de la vie d’un homme qui s’occuperoit à visiter les cabinets.

Nous conviendrions de la force de cette objection, si la connoissance du matériel de la médaille demandoit une occupation longue & sérieuse, ou, si l’on ne supposoit pas un goût né pour les médailles, dans celui qui veut acquérir cette connoissance. En effet, sans ce goût, ce seroit faire trop peu de cas de son tems que de le consacrer à de tels soins. Mais il s’agit ici d’un curieux, en qui l’amour des lettres augmente le penchant naturel qu’il se sent pour déchiffrer ces précieux restes de l’antiquité. Il s’agit d’un curieux qui se propose sans cesse d’étudier le sens, l’esprit des médailles, & pour y parvenir de consacrer ses veilles à la lecture des ouvrages, dans lesquels il peut puiser des lumieres. Nous allons donc lui en indiquer les principaux.

Livres sur les médailles. Je suppose qu’il sait aussi bien que moi qu’on ne fera jamais de progrès dans l’art numismatique sans la connoissance des langues savantes, de l’Histoire greque & romaine, de la Géographie ancienne & moderne, de la Chronologie & de la Mythologie. Si cependant je parlois à un jeune homme qui n’eût pas étudié préalablement toutes ces sciences, je lui conseillerois de commencer à les apprendre par les tables chronologiques du P. Pétau, les paralleles géographiques du P. Briet, la mythologie de l’abbé Banier, ou autres semblables.

Le livre du P. Pétau est connu sous le titre de Dionysii Petavii rationarium temporum ; il y en a grand nombre d’éditions. Celui du P. Briet est intitulé : Philippi Brietii parallela geographiæ veteris & novæ. Mais attendu qu’il n’est pas complet, il est nécessaire d’y joindre la géographie ancienne de Cellarius, Christoph. Cellarii notitia orbis antiqui, ab ortu rerum publicarum ad Constantinorum tempora ; cum tabulis geographicis : on préférera l’édition de Leipsic 1733, in-4°. deux volumes, avec les observations de M. Schuwartz.

Comme l’Histoire doit être la principale étude d’un curieux en médailles, on conçoit bien que, pour les entendre, il doit lire Hérodote, Dion, Denis d’Halicarnasse, Tite-Live, Tacite, César, Velleius Paterculus, &c. A mesure qu’il fera des progrès dans l’art numismatique, il faudra qu’il ait sous les yeux Suidas, Pausanias, Philostrate, & parmi les modernes Rhodiginus, Giraldus, Rosinus, & autres semblables, qui lui fourniront des lumieres pour l’explication des types & des symboles.

A ces secours, il joindra le livre du P. Hardouin, intitulé : Nummi populerum & urbium illustrati ; ce livre où l’on trouve cent choses curieuses, quoique souvent conjecturales, a été réimprimé avec des changemens & des augmentations dans le recueil des œuvres choisies du même auteur : Joan. Hardouin Opera selecta, Amstelod. 1709, in-fol. mais si notre curieux veut s’animer encore davantage dans la carriere qu’il a choisie, il faut qu’il lise le savant traité de M. Spanheim sur l’usage des mé-