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pte un nombre presqu’infini. Il n’y a presque point de religion qui n’ait eu ses martyrs, si l’on prend le titre de martyrs dans un sens général pour ceux qui meurent pour la défense de leur religion, soit vraie, soit fausse. Mais les théologiens catholiques soutiennent, après les peres, que ce nom ne convient qu’à ceux qui perdent la vie pour la vérité de l’Evangile dans l’unité de l’Eglise catholique ; ainsi ils le refusent à ceux qui meurent pour le nom de Jesus-Christ, mais dans le schisme ou dans l’hérésie. Leur maxime capitale sur cette matiere est que ce n’est point le supplice qu’on souffre, mais la cause pour laquelle on souffre qui constitue les martyrs. Martyrum non facit pæna sed causa. Ce que S. Augustin explique très bien dans ce passage, en parlant des Donatistes qui vantoient la constance de leurs prétendus martyrs. Jactant fallaciter innocentiam suam, & quam non possunt à Domino accipere, ab hominibus quoerunt martyrum gloriam. Veri autem martyres illi sunt de quibus Dominus ait : beati qui persecutionem patiuntur propter justitiam ; non ergo qui propter iniquitatem & propter christianæ unitatis impiam divisionem, sed qui propter justitiam persecutionem patiuntur, hi martyres veri sunt… Ideo in psalm. xlij. vox illa intelligenda est vererum martyrum volentium se discerni à martyribus falsis : judica me Deus, & discerne causam meam de gente non sanctâ : non dicit, discerne pœna meam, sed discerne causam meam. Potest enim esse impiorum similis poena, sed dissimilis est martyrum causa. S. August. Epist. l. veter. edit. Ce qui a fait dire à S. Cyprien, dans son livre de l’unité de l’Eglise, qu’un schismatique peut bien être massacré pour la défense de certaines vérités, mais non pas couronné : talis occidi potest, coronari non potest. Ou il faut admettre ces principes, ou confondre le fanatisme avec la religion.

On conservoit anciennement avec soin les actes des souffrances & de la mort des martyrs qui avoient versé leur sang pour la défense de la religion chrétienne. Cependant, malgré toute la diligence qu’on y apportoit, il nous est resté peu de ces actes. Eusebe composa un martyrologe pour réparer ces pertes ; mais il n’a point passé jusqu’à nous, & ceux que l’on a rétablis depuis sont très-suspects. Voyez Martyrologe.

L’ere des martyrs est une ere que l’Egypte & l’Abyssinie ont suivie & suivent encore, & que les Mahométans même ont souvent marquée depuis qu’ils sont maîtres de l’Egypte. On la prend du commencement de la persécution de Dioclétien, qui fut l’an de Jesus-Christ 302 ou 303. L’ere des martyrs s’appelle aussi l’ere de Dioclétien.

MARTYRE, s. m. martyrium, (Théol.) témoignage rendu à Jesus-Christ & à sa religion, & scellé par la mort de celui qui le rend : ou, si l’on veut, la mort endurée par un chrétien dans l’unité de l’église pour avoir confessé la foi de Jesus-Christ ; car on distinguoit les martyrs des confesseurs. On donnoit ce dernier nom aux chrétiens qui ayant été tourmentés pour la foi, avoient cependant survécu à la persécution, & on appelloit proprement martyrs ceux qui avoient donné leur vie pour l’Evangile.

Voici quelles étoient les principales & les plus ordinaires circonstances du martyre, selon M. Fleury.

La persécution commençoit d’ordinaire par quelqu’édit qui défendoit les assemblées des Chrétiens, & condamnoit à de certaines peines tous ceux qui ne voudroient pas sacrifier aux idoles. Il étoit permis de fuir la persécution, de s’en racheter même par argent, pourvu qu’on ne dissimulât point sa foi. Mais les regles de l’Eglise défendoient de s’exposer soi-même au martyre, ni de rien faire qui pût irriter les payens & attirer la persécution ; comme de briser leurs idoles, mettre le feu aux temples, dire des injures à leurs dieux, ou attaquer publiquement leurs

superstitions. Ce n’est pas qu’il n’y ait des exemples de saints martyrs qui ont fait des choses semblables, & de plusieurs entr’autres qui se sont dénoncés eux-mêmes. Mais on doit attribuer ces exemples singuliers à des mouvemens extraordinaires de la grace. La maxime générale étoit de ne point tenter Dieu, & d’attendre en patience que l’on fût découvert & interrogé juridiquement pour rendre compte de sa foi.

Quand les chrétiens étoient pris, on les menoit devant le magistrat, qui les interrogeoit juridiquement, assis sur son tribunal. S’ils nioient qu’ils fussent chrétiens, on les renvoyoit d’ordinaire sur leur parole, parce que l’on savoit bien que ceux qui l’étoient véritablement ne le nioient jamais, ou dès-lors cessoient de l’être. Quelquefois, pour s’en assurer, on leur faisoit faire quelqu’acte d’idolâtrie. S’ils confessoient qu’ils fussent chrétiens, on s’efforçoit de vaincre leur constance, premierement par la persuasion & par les promesses, puis par les menaces & enfin par les tourmens.

Les supplices ordinaires étoient, étendre sur un chevalet par des cordes attachées aux piés & aux mains, & tirées des deux bouts avec des poulies ; ou pendre par les mains, avec des poids attachés aux piés ; battre de verges, ou de gros bâtons, ou de fouets garnis de pointes, nommés scorpions, ou de lanieres de cuir crud, ou garnies de balles de plomb. On en a vu grand nombre mourir sous les coups. D’autres, étant étendus, on leur brûloit les côtés, & on les déchiroit avec des ongles ou des peignes de fer ; en sorte que souvent on découvroit les côtes jusqu’aux entrailles, & le feu entrant dans le corps, étouffoit les patiens. Pour rendre ces plaies plus sensibles, on les frottoit quelquefois de sel & de vinaigre, & on les rouvroit lorsqu’elles commençoient à se fermer.

Pendant ces tourmens, on interrogeoit toujours. Tout ce qui se disoit ou par le juge ou par les patiens, étoit écrit mot pour mot par des greffiers, & il en demeuroit des procès-verbaux bien plus exacts que tous ceux que font aujourd’hui les officiers de justice ; car comme les anciens avoient l’art d’écrire par notes abrégées, ils écrivoient aussi vîte que l’on parloit, & rédigeoient précisément les mêmes paroles qui avoient été dites, faisant parler directement les personnages ; au lieu que dans nos procès-verbaux, tous les discours sont en tierce personne, & rédigés suivant le style du greffier. Ce sont ces procès-verbaux recueillis par les Chrétiens, qui forment les actes que nous avons des martyrs. Voyez Actes, Scribes, Notaires

Dans ces interrogatoires, on pressoit souvent les chrétiens de dénoncer leurs complices, c’est-à-dire les autres chrétiens, sur-tout les évêques, les prêtres, les diacres, & de livrer les saintes-écritures. Ce fut particulierement dans la persécution de Dioclétien que les payens s’attacherent à faire périr les livres des Chrétiens, persuadés que c’étoit le moyen le plus sûr d’abolir leur religion. Ils les rechercherent avec soin, & en brûlerent autant qu’ils en purent saisir. Mais sur toutes ces sortes de questions, les chrétiens gardoient un secret aussi profond que sur les mysteres. Ils ne nommoient jamais personne, & ils disoient que Dieu les avoit instruits, & qu’ils portoient les saintes-écritures gravées dans leur cœur. On nommoit traditeurs ou traitres, ceux qui étoient assez lâches pour livrer les saintes-écritures, ou pour découvrir leurs freres ou leurs pasteurs. Voyez Traditeurs.

Après l’interrogatoire, ceux qui persistoient dans la confession du christianisme, étoient envoyés au supplice ; mais plus souvent on les remettoit en prison pour les éprouver plus long-tems, & les tour-